Inde : volontaire, New Delhi pose ses conditions

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L'Inde veut bien participer plus à la réduction des émissions, mais exige des transferts financiers et technologiques supplémentaires.

La position de l’Inde dans les négociations internationales actuelles concernant le climat repose sur plusieurs piliers. D’abord, au niveau international, New Delhi ne prendra pas d’engagement contraignant de réduction globale de ses émissions de gaz à effet de serre. En vertu de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), elle n’y est pas obligée. Or, dans le cadre actuel, cette convention n’est pas ouverte à la négociation, ni même à réinterprétation. L’Inde estime ensuite que le protocole de Kyoto devrait être renforcé de façon à ce que les pays développés (dits "de l’annexe 1") prennent pour l’après-2012 des engagements plus importants de réduction de leurs émissions. De tels engagements permettraient en effet à l’Inde de réduire son empreinte carbone, à travers le Mécanisme pour un développement propre (MDP). Ce mécanisme permet en effet à un pays développé de financer des projets réduisant les émissions dans un pays du Sud et de comptabiliser cette baisse dans son propre quota. L’Inde est déjà le pays qui compte le plus de projets MDP au monde.

Conformément à la feuille de route adoptée à la conférence de Bali en décembre 2007, New Delhi veut que toute discussion sur des actions vérifiables et quantifiables que l’Inde pourrait entreprendre dans un secteur précis soit précédée par un plan de transfert, vérifiable et quantifiable, de ressources (financements, technologies) des pays développés vers les pays en développement. En outre, ces transferts multilatéraux devraient s’opérer sous la supervision directe de la CCNUCC, et non pas sous celle d’autres instances internationales telles que la Banque mondiale, comme le proposent certains pays développés.

D’ores et déjà, l’Inde s’est engagée sur le plan national à prendre des mesures de réduction de ses émissions qui soient économiquement rentables, dites mesures "no regret", en ce sens qu’elles accroissent la sécurité énergétique du pays et préservent son environnement tout en contribuant à la lutte contre le réchauffement climatique. Les deux domaines clés, inscrits dans le Plan national d’action sur le changement climatique adopté en juin 2008, sont l’amélioration de l’efficacité énergétique dans les industries les plus consommatrices (production d’électricité, acier, aluminium, automobile...) et la forte impulsion donnée à l’énergie solaire. Delhi estime donc que si dans le cadre des négociations climatiques en cours, la communauté internationale demandait à l’Inde des mesures supplémentaires, ce serait aux pays développés de supporter l’ensemble des coûts additionnels.

Lors du sommet du G8 de juin 2007, le premier ministre indien a d’ailleurs proposé que les émissions par habitant du pays ne dépassent pas la moyenne de celle des Etats développés, rappelant ainsi que l’équité est le principe qui fonde les négociations climatiques.

La position de négociation du gouvernement indien a été élaborée par les services de la primature qui, au cours des dernières années, sont parvenus à aplanir les différences d’approche de nombreux acteurs concernés par le changement climatique, aussi bien au sein de l’Etat indien que dans l’ensemble de la société (secteur privé, ONG, etc.). Cela a permis de définir clairement la façon dont le pays conçoit la gouvernance, nationale et internationale, du climat. Cette conception repose sur quelques principes de base et quelques réalités.

D’abord, c’est l’Occident, et non pas l’Inde, qui est responsable des émissions de gaz à effet de serre accumulés dans l’atmosphère au cours de l’histoire. Ensuite, les émissions par habitant de l’Inde sont environ vingt fois plus faibles que celles d’un pays développé comme les Etats-Unis. L’Inde a pour premier devoir d’apporter le bien-être économique à ses 267 millions de citoyens qui vivent avec moins de 1 dollar par jour et de fournir de l’énergie, électrique notamment, aux 600 millions de personnes qui en sont privées. Si elle utilisait une partie de ses ressources pour corriger une situation qui relève en réalité de la responsabilité historique des pays du Nord, elle ne ferait qu’enfoncer davantage ses populations les plus défavorisées dans la misère. Delhi craint par-dessus tout que le Nord utilise les négociations climatiques à des fins protectionnistes en imposant à l’Inde des engagements contraignants qui saperaient la compétitivité de son économie. Les secteurs industriels et les entreprises les plus fragiles du pays (installations vieillissantes, PME, industrie de main-d’oeuvre, etc.), notamment dans le textile, le charbon ou l’acier, seraient alors menacés. Les organisations représentant le secteur industriel soutiennent la position du gouvernement dans les négociations internationales sur le climat. Cela étant, ces organisations représentent surtout les intérêts des grandes entreprises du pays, alors que le secteur industriel indien compte beaucoup de petites unités. Ces grandes entreprises ne verraient sans doute pas d’un mauvais oeil l’introduction de normes d’efficacité énergétique qui, en raison de leur avance technologique, les avantagerait par rapport à leurs concurrents de plus petite taille. Mais même ainsi, ces grandes entreprises souhaitent que ces normes soient élaborées au seul niveau national. Il faut noter par ailleurs que les syndicats indiens, très affaiblis par les politiques de libéralisation impulsées depuis le début des années 1990 et monopolisés par d’autres sujets (retraites,réglementation du travail), ne participent guère à l’élaboration de la politique du pays en matière climatique.

Dans une démocratie comme l’Inde, la position du gouvernement sur ces questions se heurte tout de même à des oppositions. Si la plupart portent sur des nuances plus que sur les principes généraux, quelques-unes en revanche sont frontales. Elles proviennent essentiellement d’organisations de la société civile, souvent appuyées par des ONG internationales. Ces oppositions peuvent être, globalement, divisées en deux courants. Le premier défend l’idée qu’en tant qu’économie émergente, l’Inde doit assumer une position de leader en matière de lutte contre le changement climatique. Le pays ne devrait donc pas avoir peur de prendre des engagements internationaux. Ces organisations, Greenpeace notamment, pointent également du doigt les énormes différences de niveaux de consommation entre riches et pauvres au sein de la société indienne, et estiment que les premiers devraient être "taxés". Les promoteurs de cette idée ne précisent pas si une telle taxation devrait être d’initiative nationale ou s’insérer dans un régime international. Les tenants de ce courant bénéficient du soutien de certains mouvements de défense de la nature qui estiment que les capacités de développement du pays, et donc l’amélioration du sort des plus pauvres, seront hypothéquées à terme si l’environnement n’est pas suffisamment protégé dès aujourd’hui. Ils exigent donc une action énergique et rapide du gouvernement, mais de façon assez rhétorique, sans entrer dans le détail du processus de négociations internationales.

Le second courant critique regroupe essentiellement des think tanks (cercles d’experts), comme le Centre For Science And Environment (New Delhi), qui estiment que l’Inde doit d’une part élaborer une réponse nationale plus énergique au défi climatique (en termes d’utilisation des énergies renouvelables, par exemple) et d’autre part exiger que le Nord prenne davantage ses responsabilités. Ces think tanks voudraient que les pays développés s’engagent à réduire leurs émissions de 40 à 60 % à court terme, d’ici 2020, par rapport à leur niveau de 1990 et qu’ils aident substantiellement les pays en développement non seulement à réduire leurs émissions, mais aussi à s’adapter aux dangers que le réchauffement provoque déjà, pour les populations des zones côtières menacées par l’augmentation du niveau de la mer par exemple.

La signification et l’impact des critiques émises par la société civile doivent cependant être relativisés, car ces organisations sont surtout dominées par la classe moyenne urbaine, et leur enracinement populaire reste faible.

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