Éditorial

Les Iraniens ont la parole

3 min
Par Yann Mens

Hors d’Iran, nombre d’amis de la démocratie s’impatientent. Trente ans après la chute du Shah, ils voudraient que les Iraniens renversent le régime islamique, écartent le clergé du pouvoir et ouvrent grand les portes du pays à tous les courants de pensée. Ils risquent d’être déçus. La Révolution islamique et ses troubles, que suivit de très peu la guerre contre l’Irak (1980-1988) avec ses centaines de milliers de victimes, sont encore dans la mémoire de nombreux citoyens d’Iran. Ils ne veulent pas d’une nouvelle période de violence. Si en dépit de leur envie de liberté, ils ne prennent pas la rue pour changer de système politique, ce n’est pas seulement à cause de la crainte que leur inspire la répression, mais parce qu’ils souhaitent une transition pacifique. Donc lente et forcément sinueuse.

Depuis la Révolution islamique de février 1979, les Iraniens ont voté une trentaine de fois. Et ils s’apprêtent en juin prochain à élire leur président. Bien sûr, des élections ne font pas une démocratie. Et ce scrutin, pas plus que le précédent, ne sera entièrement libre. Le Conseil des gardiens, chargé d’habiliter ceux qui veulent briguer un mandat, interdira sans doute à certains candidats de se présenter. Il pourrait même tenter de barrer la route à Mohammad Khatami, qui occupa pourtant deux fois le siège présidentiel et qui veut concourir à nouveau. Il n’empêche. Les électeurs iraniens auront un choix à faire entre des factions aux options sensiblement diverses, en matière diplomatique notamment. Et ils pourraient en profiter pour surprendre leurs élites politiques. Comme ils le firent en 1997 en élisant Mohammad Khatami qui appartient aux courants les plus ouverts aux réformes. Et plus encore en 2005 quand ils désignèrent le néoconservateur et populiste Mahmoud Ahmadinejad. Les pronostics électoraux sont d’autant plus difficiles que le taux de participation est erratique. Les campagnes, réputées conservatrices et qui ont été travaillées au corps par le président sortant, voteront-elles beaucoup plus que les villes qui, lors des législatives de 2008, se sont largement abstenues ? Quel sera le poids du Guide de la République, Ali Khamenei, dirigeant suprême du pays, qui appuie le sortant ? Comment se comportera le haut clergé qui, aiguillonné par un autre ancien président, Ali-Akbar Hachemi Rafsanjani, voit parfois d’un mauvais oeil Mahmoud Ahmadinejad parce qu’il ne sort pas de ses rangs et qu’il a placé ses affidés à de nombreux postes stratégiques ?

L’état de l’économie jouera à coup sûr un rôle central dans le choix de l’homme de la rue. Or elle subit la chute des cours du pétrole - alors que l’or noir représente la quasi-totalité des exportations du pays. L’inflation, le chômage font d’autant plus de ravages que la politique du président en place, élu sur ses promesses de justice sociale, a été démagogique et inefficace 1. En dépit des rodomontades de certains dignitaires, l’Iran a besoin d’investissements occidentaux que seul, sans doute, un rétablissement de ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis, rompues en 1980, rendrait possibles. Barack Obama a commencé à tendre la main à Téhéran. En pleine campagne électorale, aucun homme politique iranien ne peut la saisir ouvertement sans être qualifié de suppôt de l’ennemi, tant le souvenir de George W. Bush et de ses menaces sont encore présents. Mais chacun sait qu’un rapprochement avec Washington serait plus facile avec d’autres hommes que Mahmoud Ahmadinejad. Sur le dossier nucléaire, singulièrement. La parole est aux électeurs iraniens.

  • 1. Lire Alternatives internationales n°38, mars 2008.

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