Les chinois se rebellent (introduction du dossier)

3 min
Par Yann Mens

Le silence contre la croissance. La docilité contre un espoir de prospérité. Tel est le pacte social que les dirigeants du Parti communiste chinois imposent à leur peuple depuis trente ans.Quitte à lui en rappeler parfois les termes dans le sang, comme lors de la terrible répression de Tiananmen, en juin 1989.Si la pauvreté a considérablement baissé au cours de ces trois décennies, les iné­galités en revanche se sont accrues entre individus. Et le système administratif hérité du maoïsme réserve aux citadins l’essentiel des prestations sociales, les autres étant des citoyens de deuxième zone. Les observateurs étrangers n’en finissent donc pas de se demander comment le pacte tient. Comment on peut instaurer le libre jeu du marché, dans sa version la plus brutale souvent, sans que monte inexorablement la demande de liberté d’expression. Pourquoi en somme les Chinois ne se révoltent pas.

Faute de pouvoir répondre, chacun applaudit l’incroyable courage des dissidents qui, comme Guo Quan (lire p. 39) ou les signataires de la récente Charte 08 appelant les dirigeants à sortir de "la modernisation autoritaire", affrontent le régime de face, à mains nues. Pour mieux appréhender l’évolution politique du pays, il est sans doute utile de déplacer un peu la focale et de s’intéresser à des mouvements de protestation collective qui portent moins sur le libre choix des gouvernants que sur le respect de ses propres lois par le régime lui-même. Pour désigner ces rébellions sociales, éparses et diversement structurées, les autorités ont forgé l’expression d’"incidents de masse". Des incidents dont le nombre n’a cessé de gonfler (8 700 en 1993, 32 000 en 1999, 58 000 en 2003, 87 000 en 2005). Au point que le ministère de la sécurité a arrêté de publier des statistiques sur le sujet en 2006 1.

Immenses réserves financières

Ces "incidents de masse" vont de la simple manifestation pacifique à l’émeute. Ils touchent tant l’accès aux terres agricoles, un des principaux sujets d’exaspération de la population chinoise (lire p. 30) que les conditions de travail dans les usines d’exportation (lire p. 34), les droits des propriétaires de logements dans des villes qui ne cessent de grossir (lire p. 37), la pollution effrénée de certaines activités industrielles (lire p. 43) ou les scandales tel celui du lait frelaté (lire p. 33).

Ces protestations ont grossi avec la croissance chinoise. Elles pourraient exploser alors que le pays subit les conséquences de la crise économique mondiale. Certes, le régime tente de compenser la perte des marchés, occidentaux notamment, par une politique de grands travaux d’infrastructure et une relance de la consommation intérieure. Mais cela prendra du temps (lire p. 40), or les autorités ont reconnu que déjà 20 millions d’ouvriers migrants originaires des régions rurales se retrouvent sans emploi. Que feront-ils demain ? Essayer de survivre dans leur village alors que la lutte pour la terre y est déjà intense ? Tenter de nouveau leur chance en ville, avec quelles chances de succès ? Certes, si la crise économique ne s’éternise pas, le régime peut compter sur ses immenses réserves financières pour apaiser le malaise social. Et sur l’appareil répressif pour contenir les expressions de colères contre tel ou tel pouvoir local. Mais à moyen terme, il faudra bien que les choix politiques, économiques et sociaux qui engagent l’avenir du pays ne soient plus limités aux seuls cénacles du Parti. Et que les dirigeants négocient avec leur peuple un véritable pacte social.

  • 1. Beijing Stimulus Plan, par Willy Lam, China Brief, The Jamestown Foundation, 24 novembre 2008.

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