La relance dans une main, l’armée dans l’autre

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Pour compenser les effets de la crise sur l'économie du pays, le pouvoir veut doper la consommation intérieure. Mais reste prêt à réprimer toute contestation sociale.

Jusqu’au 15 septembre 2008, les officiels chinois étaient plutôt optimistes quant à la santé économique du pays. Mais ce jour-là, la quatrième banque des Etats-Unis, Lehman Brothers, a demandé à être placée sous la protection de la loi américaine sur les faillites, marquant ainsi le déclenchement de la crise financière de l’automne dernier. Le lende-main, la banque centrale chinoise annonçait la première baisse des taux d’intérêt depuis six ans et baissait le ratio de réserves obligatoires des banques du pays pour la première fois depuis 1999. Ces décisions marquaient un virage à cent quatre-vingts degrés de la politique du gouvernement de Pékin. Alors que jusque-là, il s’était efforcé de juguler l’inflation, il tente désormais de soutenir la croissance économique.

La plupart des responsables chinois ont été pris au dépourvu. Au cours des mois précédents, ils avaient reçu pour consigne de réduire la plupart des projets d’investissement financés par l’Etat et de resserrer fortement le crédit bancaire afin de contenir la hausse des prix qui avait atteint, en février 2008, le niveau inquiétant de 8,7 %. L’expérience du passé a en effet montré au gouvernement chinois que l’inflation est préjudiciable à l’économie, mais qu’elle peut aussi entraîner des protestations massives et des émeutes. A l’initiative des étudiants le plus souvent. Ainsi, au-delà des raisons politiques, la hausse des prix a été l’un des facteurs qui a mené aux manifestations de la place Tiananmen en 1989. Dans un pays comme la Chine, dont les dirigeants ne sont pas directement élus par la population, l’inflation peut facilement amener l’opinion à demander au gouvernement des comptes sur sa gestion du pays.

Le 9 novembre 2008, les autorités chinoises annonçaient un plan d’un montant équivalent à 460 milliards d’euros pour les deux ans à venir, dans le but de relancer la demande intérieure et de maintenir la croissance de l’économie à un rythme annuel compris entre 8 % et 9 %. Le gouvernement précisait que l’essentiel de la somme serait réparti sur dix secteurs clés, parmi lesquels le logement pour les catégories à revenu modeste, les infrastructures des régions rurales, le transport, la reconstruction des zones affectées par le tremblement de terre de mai 2008, sans oublier des mesures sociales en matière d’éducation, de santé, de retraites, etc.

Par la suite pourtant, les propos des officiels ont montré que ce paquet de relance n’était pas aussi substantiel qu’il le paraissait. En réalité, le gouvernement central prévoit d’investir l’équivalent de 115 milliards d’euros et espère que les gouvernements locaux et le secteur privé investiront les 345 milliards restants, sans préciser leurs parts respectives. Ce plan de relance est surtout un artifice de communication : les investissements annuels en Chine se sont en effet élevés en 2008 à plus de 1 955 milliards d’euros. La contribution du gouvernement central au plan de relance équivaut donc à 5 % seulement de ce montant.

Vague de chômage

En décembre dernier, le gouvernement a rendu public, en urgence, un premier volet d’investissements de 11,5 milliards d’euros, dans les infrastructures essentiellement. Pour le présenter, les responsables de la planification nationale ont dû demander aux dirigeants des provinces de faire remonter en quelques jours des projets vers Pékin. Résultat : la plupart de ceux qui ont été approuvés en décembre étaient déjà planifiés depuis un moment et d’autres qui avaient été rejetés ont été repêchés in extremis... Les projets vraiment nouveaux sont donc rares dans ce programme. Plus globalement, le gouvernement chinois promet depuis des années d’investir davantage - dans les services sociaux notamment - mais sans progrès jusqu’à présent.

Les statistiques les plus récemment publiées ont montré que la crise financière mondiale et les erreurs politiques nationales ont déjà sévèrement affecté la croissance économique du pays. Le taux de croissance annuel du PNB (produit national brut) est tombé de 9 % au troisième trimestre à 6,8 % au quatrième. Résultat : pour l’ensemble de 2008, il est de 9 %, la performance la plus basse depuis sept ans. L’indice des prix à la consommation et à la production sont respectivement tombés à 1,2 % et - 1,1 % en décembre : la déflation a ainsi remplacé l’inflation comme première préoccupation des décideurs. Elle pourrait provoquer une contraction persistante de l’activité économique, entraînant de nombreuses fermetures d’entreprises et des pertes massives d’emploi. Le gouvernement continue de prévoir une croissance de 8 à 9 % pour 2009, mais de nombreux observateurs sont beaucoup plus pessimistes, les projections les plus basses étant de 4,5 %. Il est pourtant essentiel de maintenir un taux d’au moins 8 % pour créer des millions d’emplois, faute de quoi la vague de chômage menacerait la stabilité du pays.

La Chine s’est très largement appuyée sur la demande étrangère et sur l’investissement pour asseoir sa croissance économique. Au cours des quinze dernières années, ensemble ils ont respectivement représenté en moyenne 80 % du PNB (30 % pour les exportations, 50 % pour l’investissement). Aujourd’hui pourtant, la baisse de la demande sur les marchés d’exportation américains et européens contraint la Chine à s’appuyer davantage sur l’investissement et la consommation intérieure pour revitaliser son économie.

Taux d’épargne spectaculaire

Las, la faible efficacité des pouvoirs publics en matière d’investissement est notoire. Après avoir passé en revue l’ambitieux programme de construction d’infrastructures des autorités chinoises, de nombreux observateurs ont mis en garde contre les risques de corruption et de détournements de fonds. Qui plus est, l’investissement représente déjà une part excessive du PNB. L’accroissement de ces dépenses risque donc de conduire à terme à des surcapacités supplémentaires dans l’économie chinoise. Certes, de tels investissements peuvent provisoirement soulager l’économie, en créant des emplois. Mais à long terme, ils risquent de compliquer encore la vie des gouvernants chinois.

La seule façon d’assurer une croissance économique saine et durable, c’est de relancer la consommation intérieure. A l’heure actuelle, faute d’un système complet de prestations sociales, en matière de santé et d’éducation notamment, la plupart des Chinois gardent leurs économies à la banque en prévision de dépenses futures dans ces domaines. Résultat : le taux d’épargne en Chine a atteint en 2007 le taux spectaculaire de 51,2 % du PNB, soit 13,5 % de plus qu’en 2000. Le plan de relance de novembre dernier prévoit d’augmenter les dépenses sociales, pour les populations rurales comme pour les populations urbaines. Mais beaucoup d’interrogations demeurent quant à l’efficacité des mesures envisagées, surtout au vu des mauvais résultats des programmes antérieurs en la matière.

Les sombres perspectives économiques ont déjà conduit à la faillite de milliers d’entreprises. Au cours du premier semestre 2008, 67 000 petites et moyennes entreprises (PME) ont fermé leurs portes, mettant au chômage des millions de personnes. Par la suite, des statistiques officielles ont confirmé que le taux de chômage s’est élevé à 4,2 % en 2008, soit 0,2 % de plus que l’année précédente. Mais cet indice n’inclut ni les migrants ruraux qui viennent travailler en ville (130 millions de personnes environ), ni les personnes licenciées des entreprises d’Etat à la fin des années 1990. La plupart des experts chinois estiment que le taux de chômage réel se situe entre 12 et 15 %. Certains instituts étrangers l’évaluent même à 20 %. Ces chiffres sont surprenants. Dans la plupart des pays du monde, on estime qu’un chômage de plus de 10 % est susceptible de provoquer des mouvements de protestation sociale, voire des émeutes. Maisen Chine, dont la population a souvent enduré des passes difficiles sans se révolter et qui est gouvernée par un parti unique, les autorités paraissent capables d’affronter la situation.

Retour à la terre

Les médias estiment qu’au moins 10 millions de travailleurs migrants ruraux sont déjà retournés dans leur village d’origine après que leurs usines ont fermé. Même si les autorités nient que le taux de chômage soit élevé, certains officiels ont reconnu que 20 millions de migrants ruraux, soit 15 % du total, ont perdu leur emploi. Des émeutes d’ampleur réduite se sont produites quand des propriétaires d’entreprises ont omis ou clairement refusé de payer les salaires de leurs ouvriers. Ces problèmes ont été rapidement résolus après l’intervention des autorités locales. En janvier, à l’occasion des fêtes du Nouvel An chinois, les migrants ruraux sont repartis au village pour cette période de vacances tradi-tionnelles. Beaucoup sont employés en ville depuis longtemps, ont pris goût à la vie urbaine et n’ont pas travaillé la terre depuis de très longues années. Souvent d’ailleurs, les terrains agricoles dont ils étaient simplement détenteurs (lire p. 30) ont été confiés à d’autres par les autorités locales. Ce qui veut dire qu’à l’issue de leurs vacances, ces migrants repartiront vers les villes chercher du travail. Il sera possible d’évaluer leur nombre total à partir d’avril. S’ils ne trouvent pas d’emploi à ce moment-là, ils constitueront un très sérieux sujet de préoccupation pour les autorités.

Mais il est un autre groupe social très nombreux qui cherche du travail : les étudiants. En 2008, 5,9 millions de diplômés sont sortis des universités et un quart d’entre eux sont encore en quête d’un emploi. Environ 6,1 millions d’autres les rejoindront en 2009. L’économie qui entre en récession ne pourra les absorber. En novembre dernier, 775 000 candidats, diplômés pour la plupart, se sont présentés à des concours d’entrée dans la fonction publique. Mais un sur 57 seulement sera retenu. Le gouvernement a promis des aides aux diplômés qui se porteront volontaires pour aller travailler dans des provinces isolées. Il aidera ceux qui s’engagent dans l’armée à rembourser leurs prêts étudiants. Enfin, il a annoncé des réductions d’impôt et des prêts aux créateurs d’entreprise. De leur côté, les PME qui recrutent des étudiants recevront des aides publiques. Comme pour les dépenses sociales promises par les autorités, l’efficacité de ces mesures est très hypothétique. En pratique, beaucoup d’étudiants ont choisi de prolonger leurs études, repoussant de plusieurs années leur quête d’un emploi.

Ceux qui seront les plus touchés par la récession et la hausse du chômage sont les cols bleus des villes, car ils seront confrontés à la fois au coût élevé de la vie en zone urbaine et aux vagues de licenciement. Ils ne peuvent pas compter sur le très faible système de protection sociale chinois pour les aider à passer ce cap. Les grèves récentes des chauffeurs de taxi dans beaucoup de grandes villes témoignent d’ailleurs de la profondeur du mécontentement vis-à-vis des autorités locales. Généralement pourtant, ces mouvements de protestation, fondés sur des revendications précises, sont de petite échelle et peuvent être résolus en douceur.

Pas encore le chaos

Bien que le chômage atteigne des niveaux étonnamment élevés et que le plan de relance gouvernemental ne semble pas à même de résoudre les épineuses questions auxquels le pays est confronté à long terme, la probabilité que nous assistions à des protestations de grande ampleur, voire que la Chine plonge dans le chaos social, est mince. Pour plusieurs raisons. D’abord parce que le Parti au pouvoir contrôle fermement l’armée (2,3 millions de soldats) et qu’avec son appui, il ne tolérera aucune forme de manifestation qui pourrait mettre en péril la stabilité du pays. Ensuite, parce que le gouvernement a visiblement renforcé son contrôle sur les médias et sur internet depuis que la crise économique mondiale a éclaté, et qu’aucun pays ne dépense autant que la Chine pour cette surveillance. Enfin, parce que la nature de la société et de la culture chinoises fait que la majorité de la population supportera une baisse de son niveau de vie, du moins tant que la vie de chaque individu et de ses proches ne sera pas menacée.

Il n’en reste pas moins que la plupart des mesures prises par le gouvernement ne font que renvoyer à plus tard la véritable résolution des problèmes de fond de l’économie et de la société chinoises. Tôt ou tard, tous resurgiront. Et ils poseront alors un gigantesque défi au pays.

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