Suisse : le droit de l’enfant à savoir d’où il vient

4 min

Suivant l'exemple suédois, la Suisse a levé en 1992 l'anonymat du don de sperme, et permet à l'enfant d'accéder à des données sur son ascendance. Une disposition étendue, depuis, aux enfants adoptés.

Voilà bientôt dix-sept ans que le droit de l’enfant de connaître l’identité du donneur de sperme a été consacré dans la Constitution helvétique. C’est dire que ce droit est aujourd’hui largement accepté et n’est plus sujet à controverse en Suisse. Mais il est utile de rappeler comment on en est arrivé à une telle situation.

Jusque dans les années 1980, les méthodes hétérologues (avec don de sperme) de procréation médicalement assistée (PMA) se déroulaient en Suisse dans le respect complet de l’anonymat des donneurs. Le dogme de l’anonymat, imposé par les milieux qui pratiquaient la PMA, n’était pas critiqué. Du moins pas publiquement. Il était consacré dans les directives d’éthique médicale de l’Académie suisse des sciences médicales, auxquelles se référaient les quelques lois canto-nales qui existaient à l’époque sur le sujet. Pourtant, dès que la Suède eut, en mars 1985, admis dans sa législation la levée de l’anonymat du donneur de sperme, quelques juristes influents en Suisse, encouragés par un courant de pensée qui se développait en Allemagne, ont affirmé que l’enfant avait un droit de connaître l’identité de ses géniteurs.

Une initiative populaire, forte de 126 686 signatures (il en faut 100 000), demandant de modifier la Constitution fédérale fut alors lancée par ces milieux. Elle proposait de transférer la compétence de légiférer sur la PMA des cantons vers la Confé­dération suisse et d’ancrer dans la Constitution divers principes, notamment le droit de l’enfant de connaître son ascendance. Lors des débats au Parlement fédéral, des députés soulignèrent l’importance de ce droit pour le bon développement et l’équilibre psychique de l’enfant, ainsi que pour son épanouissement personnel. A l’inverse, des voix isolées prétendirent que faute d’anonymat, on ne trouverait plus de donneur. Elles dénoncèrent aussi une intrusion excessive dans la vie privée des familles recourant à la PMA et des donneurs eux-mêmes.

Le 17 mai 1992, 40 % des citoyens et citoyennes suisses ayant le droit de vote se déplacèrent aux urnes 1 et acceptèrent cette modification de la Constitution à une très confortable majorité (74 %). La levée de l’anonymat des donneurs de sperme n’avait guère suscité de remous dans l’opinion publique dans les semaines qui précédèrent ce vote.

La disposition constitutionnelle fut ensuite concrétisée en 1998 par une loi fédérale sur la procréation médicalement assistée (LPMA). Cette loi prévoit qu’un ensemble de données doit être consigné lors de chaque PMA hétérologue.

L’article 27 de la LPMA prévoit que dès 18 ans, l’enfant né d’une telle PMA peut obtenir les données concernant l’identité du donneur et son aspect physique. S’il fait valoir un intérêt légitime, il peut accéder en outre, même avant 18 ans, aux résultats des examens médicaux passés par le donneur lors du don de sperme. Le même article précise que le donneur doit être informé de la démarche de l’enfant avant que les informations soient communiquées à ce dernier et a le droit de refuser de rencontrer l’enfant. La loi étant récente, il est trop tôt pour savoir si la majorité des enfants demanderont à rencontrer le donneur et comment ceux-ci répondront.

Les choix législatifs faits par la Suisse constituent aussi une forme de compromis permettant la PMA tout en l’encadrant strictement. Il faut savoir en effet que dans les années 1980-1990, un mouvement assez fort dans la partie alémanique du pays surtout prônait l’interdiction du recours à toute méthode de PMA, sauf l’insémination artificielle avec le sperme du conjoint. Ce mouvement a même lancé une initiative populaire dans ce sens, que le peuple a refusé nettement (72 %) le 12 mars 2000 mais qui fit néanmoins pression sur le Parlement fédéral.

Il est intéressant de noter que le droit de l’enfant d’accéder aux données relatives à son ascendance a, en 2003, été consacré expressément dans le code civil pour l’enfant adopté. Et dans le prolongement d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 13 juillet 2006 (Jäggi c. Suisse), un arrêt du Tribunal fédéral, du 28 février 2008, vient au surplus d’étendre ce droit à tous les enfants, pour autant qu’ils aient un doute fondé sur l’identité de leur géniteur. Ce droit de l’enfant de connaître son ascendance ne s’accompagnera pas nécessairement de l’établissement d’un lien juridique de filiation.

Il est frappant de voir comment, en une vingtaine d’années, une idéologie (l’anonymat du donneur, plus généralement le secret de l’ascendance) a ainsi été remplacée par une autre (le droit de l’enfant à connaître ses géniteurs).

  • 1. Il n’y a pas de quota de participation minimale pour qu’un texte soit adopté par votation populaire directe.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !