Togo : une douche et un savon pour retrouver la dignité
En Afrique de l'Ouest, Prisonniers sans frontières pallie en partie les insuffisances des Etats qui n'ont pas les moyens de traiter correctement les détenus.
Daniel Laam-Kuaba, 44 ans, est un habitué de la prison de Sokodé, la deuxième ville du pays. Cet enseignant togolais rend visite aux détenus au moins trois fois par semaine. A moto, sur la nationale 1, en direction de Lomé, on aperçoit vite la grande enceinte. Passé la grille, les bâtiments des gardiens ; puis un second mur, haut de cinq à six mètres. Il enfermait début février 251 personnes pour 300 places, dans cinq cours : trois pour les hommes, une pour les femmes, une pour les mineurs.Deux cours ont été équipées d’apatams. "Un résultat concret de notre action", indique Daniel. Sortes de halles dont la toiture est montée sur pilotis, les apatams protègent des morsures du soleil. Car à la différence des prisons des pays riches, celles d’Afrique ont ce mince avantage qu’on y vit dans la cour, à l’air libre. On y parle, on y joue, on y tient, pour certains, sa petite boutique ou atelier de couture, de bijouterie... on s’y dispute mais, surtout, on s’y ennuie. Le soir, les prisonniers sont enfermés dans les cellules collectives formant les côtés de la cour. Capacité : 30 à 50 personnes. Qui dorment sur des matelas, pour les mieux lotis. Sinon, sur des nattes, non fournies par l’administration qui n’en a pas les moyens. "Nous donnons des nattes à ceux qui n’en ont pas", s’excuse presque Daniel. Il est l’animateur national de Prisonniers sans frontières (PRSF, www.prsf.org), une ONG basée à Paris et qui vient en aide à 27 000 détenus dans sept pays d’Afrique de l’Ouest. Il complète : "A Sokodé, au moins, il n’y a pas de surpopulation. Chacun a deux mètres carrés pour dormir. A Tsévié ou à Notsé, plus au sud, ils n’ont que 0,7 m2." Joachim Kodjo, le directeur de l’administration pénitentiaire, confirme : "Nous avons en ce moment 3 700 détenus dans nos douze prisons ; plus du double des capacités."
Mandatés par l’union européenne
"C’est en partie pour cette raison qu’on n’arrive pas à en finir avec la gale", continue Daniel, dont l’association mène régulièrement des opérations de désinfection. Depuis 2006, la situation sanitaire a pourtant bien changé. Trois ans plus tôt, l’équipe de PRSF avait été mandatée par l’Union européenne pour présenter un plan de réhabilitation de l’ensemble des prisons du pays. "Il y a de nombreuses compétences bénévoles chez nous : architectes, médecins, etc. Nous avons été sollicités en raison du savoir-faire déjà acquis ailleurs, en Côte d’Ivoire notamment", indique Emmanuel Guéras, retraité et responsable en France des activités de PRSF au Togo. De 2004 à 2006, l’UE a financé à hauteur d’environ 2 millions d’euros et mis en oeuvre le programme conçu par PRSF : réfection des toitures et des sols, installation de fosses septiques, équipement des cellules d’une arrivée d’eau, de douches et de WC... Le problème des maladies liées à l’eau était la grande urgence. Mais une fois ces travaux terminés, les équipes de PRSF n’ont pas cessé de travailler à l’amélioration de la situation sanitaire. "Nous avons constitué des comités d’hygiène composés des détenus eux-mêmes, à qui nous remettons de l’eau de Javel et du savon", dit Daniel.
A l’origine de PRSF, un "Blanc" d’Abid-jan, Jacques Risacher (décédé en 2008), qui dans les années 1980 venait en aide aux 500 mineurs incarcérés dans la capitale ivoirienne. "Il y a bien d’autres prisons en Afrique", lui lance un jour son ami l’archevêque de Cotonou. Ce sera l’acte de naissance de l’ONG, dont les activités débutent en 1995. Le principe : constituer des groupes de bénévoles africains pour visiter les détenus et leur apporter un soutien moral et matériel. Proches des Eglises ou concernés par l’incarcération d’un proche, ces hommes et femmes solidaires sont aujourd’hui 600 en Afrique de l’Ouest, constitués en 86 équipes-terrain intervenant dans autant de prisons. Alphabétisation, santé, développement d’activités artisanales... chacun agit selon ses aptitudes et ses disponibilités, se forme au cours de multiples séminaires. Une aide de l’ordre de 120 euros par mois est accordée à chaque équipe grâce à des parrains en France, pour couvrir de petites dépenses tel l’achat de savon, ou le transport en urgence d’un détenu à l’hôpital... Les opérations comme la réalisation d’un apatam sont faites au coup par coup selon les financements publics ou privés que les trois salariés parisiens de l’ONG - en tout et pour tout - réunissent.
"Notre premier travail est d’écouter les détenus, explique Daniel. Ensuite, leur venir en aide, à partir de leurs demandes." Cela passe par l’instauration d’une relation de confiance avec l’administration. Elle implique de ne jamais dénoncer à l’extérieur les situations observées, mais PRSF ne se prive pas de signaler en interne les mauvais traitements dont ils peuvent être les témoins.
Après la santé, les droits
Pour Joachim Kodjo, cette collaboration avec ses services est "un soulagement énorme". Les comités d’hygiène et les stocks de médicaments de base mis en place par PRSF limitent les problèmes de santé. Les potagers cultivés par les détenus également. Au Togo, l’ONG en a créé quatre. Haricots, choux, tomates et autres légumes enrichissent la "sauce" qui complète la seule nourriture que fournit la prison : 200 grammes de pâte ou de bouillie de céréales par personne et par jour. Avec un budget alimentaire de300 millions de francs CFA (0,34 euro par détenu par jour), l’administration ne peut faire mieux. "Ce budget n’a pas aug-menté en quatre ans, s’alarme Emma-nuel Guéras, et les prix ont explosé en 2008, cela se répercute sur les rations. Ceux qui n’ont pas de famille à proxi-mité doivent s’en contenter, et la malnutrition, cette année, s’est aggravée."
La baisse de la détention n’en est que plus urgente dans ce pays où 61 % des prisonniers sont en préventive et attendent leur procès parfois des années, et où beaucoup qui devraient être libérés ne le sont pas faute de suivi de leur dossier. Si PRSF compte renforcer son action en matière de santé et d’alimentation, la question des droits des prisonniers est devenue pour l’ONG un troi-sième chantier clé.