États-unis : pourquoi tant d’OGM ?

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Le pays cultive la moitié de la superficie mondiale consacrée aux OGM. Soja, coton et maïs, transgéniques en quasi-totalité, satisfont farmers et consommateurs.

Aux Etats-Unis, les cultures transgéniques ont la part belle. En 2008, elles se sont étendues sur 62,5 millions d’hectares, soit la moitié de la superficie mondiale consacrée aux OGM. Cette année-là, 92 % du soja, 86 % du coton et 80 % du maïs américains étaient transgéniques et ces variétés ont occupé le tiers de la surface agricole du pays. Pourquoi un tel succès ?

L’expansion rapide des biotechnologies a été favorisée par la conjonction de plusieurs facteurs. Il règne aux Etats-Unis une foi forte dans le progrès, le business, l’innovation, et en tout cas un niveau de confiance dans la science et la technologie globalement plus élevé qu’en Europe. Ainsi, en 2004-2005, si 60 % des Européens interrogés pensaient que " la science change trop rapi-dement nos modes de vie ", ce point de vue n’était partagé que par 33 % des citoyens aux Etats-Unis. Inversement, pour 84 % des Amé­ricains, " les bénéfices de la recherche scientifique l’emportent sur ses résultats néfastes ", une proposition à laquelle n’adhéraient que 52 % des Européens 1.

Outre cette attitude de l’opinion, les biotechnologies ont reçu un soutien continu de la part du gouvernement, d’organisations professionnelles (l’Association américaine des producteurs de soja, celle des producteurs de blé, etc.), de nombre de scientifiques et de sociétés savantes qui ont publié des positions en général favorables ou de net appui. Cela contraste avec la France, où les OGM ont d’autant moins de supporters que leur commercialisation a débuté en 1996, en pleine crise de la vache folle. Même s’il existe aux Etats-Unis des associations opposées aux OGM, comme Greenpeace ou le Sierra Club, elles ne mobilisent guère une opinion en général peu inquiète sur ce sujet.

Zoom Repères : rRépublicains et démocrates égaux devant les OGM ?

Au niveau politique, il n’y a pas de différence sensible d’opinion entre les républicains et les démocrates : les deux camps sont largement favorables aux OGM. Cependant, les opposants aux OGM - peu nombreux - sont plus proches des démocrates. Par ailleurs, les démocrates favorables aux OGM - la grande majorité - sont plus enclins à renforcer les réglementations relatives à l’autorisation des OGM, et un certain nombre d’entre eux soutient leur étiquetage obligatoire.

Aux Etats-Unis, le recours aux OGM en agriculture est resté en définitive un sujet assez technique, intéressant relativement peu le grand public, même si des associations le posent plus largement en termes de choix de société. Certes, il y a un essor de l’agriculture biologique, ainsi que des préoccupations envers le productivisme, mais à un niveau bien moindre qu’en France. Cet écart entre les deux pays correspond aussi à des attentes différentes envers l’agriculture. Elle est considérée outre-Atlantique comme un secteur économique qui à l’instar de tout autre doit innover : les OGM sont vus comme un facteur de compétitivité et s’inscrivent dans le progrès général. Le rapport à l’alimentation diffère également de ce qu’il est dans l’UE, avec un plus fort attrait pour ce qui est pratique et un moindre attachement à la " tradition ". A noter pourtant qu’au fil du temps, l’enthousiasme pour les biotechnologies semble s’éroder. Ainsi, à un sondage de l’International Food Information Council qui demandait : " Pensez-vous que les biotechnologies amèneront des bénéfices pour vous ou votre famille dans les cinq prochaines années ? ", 75 % des Amé­-ricains interrogés répondaient positivement en 2005, contre 85 % en 1997.Il ne faudrait pas pour autant surestimer le rôle de l’opinion. Outre-Atlantique, le processus législatif et la politique gouvernementale sont plus influencés par les lobbies industriels qu’en Europe. Les décisions de l’administration s’appuient sur des considérations scientifiques mais aussi sur la responsabilité juridique du secteur privé et des industriels : les éventuels problèmes seront réglés a posteriori par des actions en justice. De ce fait, l’attente vis-à-vis de la réglementation est moindre qu’en France. Les Etats-Unis privilégient l’approche " coûts/bénéfices " et sont hostiles au principe de précaution. Ils considèrent que la composition du produit, non la méthode d’obtention, doit être la base de l’évaluation. La réglementation américaine part donc du principe que les OGM ne se distinguent pas fondamentalement des organismes traditionnels (sauf quand ils induisent une modifica-tion de composition). La méthode utilisée pour fabriquer un aliment, comme le recours à la transgénèse (intégration d’un gène étranger au patrimoine génétique héréditaire), est considérée comme secondaire : l’essentiel est de s’assurer de l’innocuité de l’aliment et il existe à cet égard un assez bon niveau de confiance envers la Food And Drug Administration, chargée de la sécurité sanitaire des aliments, qui délivre les autorisations à la consommation.

Les OGM sont donc évalués au regard de la législation déjà existante. La philosophie d’intervention, énoncée en 1986 par l’Office of Science and Technology Policy dans son document Coordinated Frame-work for Regulation of Biotechnology, affirme que les produits de la biotechnologie doivent être évalués " essentiellement de la même façon que ceux obtenus par d’autres techniques, en ce qui a trait à leur sécurité et à leur efficacité ". D’où l’absence d’étiquetage des OGM aux Etats-Unis et de réglementation spécifique sur la coexistence des cultures transgéniques et conventionnelles.

Quel intérêt pour les farmers ?

Acceptés dans l’opinion, approuvés par la classe politique, autorisés par l’administration, pourquoi le soja, le coton et le maïs OGM ont-ils été largement adoptés par les agriculteurs ? Parce que ces derniers y ont trouvé des avantages. Prenons le cas du soja, qui représente un peu plus de la moitié des superficies OGM dans le monde et dont la caractéristique introduite par transgénèse est d’être tolérant à un herbicide total, le glyphosate. Cette caractéristique permet une nouvelle mé­thode de désherbage : quand on épand le glyphosate, toutes les mauvaises herbes sont détruites mais la culture n’est pas affectée. L’un des premiers intérêts pour les farmers est que cela simplifie le désherbage. Ils utilisent un seul herbicide (au lieu de devoir en choisir plusieurs selon les plantes à éliminer). Ce soja transgénique nécessite ainsi moins de passages du tracteur et la période où l’on peut traiter est un peu plus longue. Un appréciable gain de temps, que l’agriculteur peut consacrer à d’autres activités. Et ce soja s’associe bien avec la culture en rangs plus serrés (le passage d’un tracteur pour sarcler entre les rangs n’étant plus nécessaire) et les techniques de conservation des sols (où labour et travail du sol sont réduits), qui permettent de limiter l’érosion.

Certes, l’engagement par contrat de ne pas réutiliser sa semence la campagne suivante en renchérit le coût. Mais en 1996, au moment où les OGM ont fait leur apparition, 76 % des surfacesde soja aux Etats-Unis étaient déjà ensemencées par des graines achetées. Un farmer explique le point de vue de la profession : " Les agriculteurs, pour la plupart, admettent les contrats demandés par Monsanto [le leader du marché des semences OGM, ndlr]. Ils voient les bénéfices du programme et comprennent que Monsanto a besoin d’un retour sur investissement. Ils n’aiment certes pas le fait de ne pas pouvoir ressemer une part de leur récolte, mais les agriculteurs achetaient de plus en plus de nouvelles semences chaque année avant que la nouvelle technologie Roundup Ready [le soja tolérant au Roundup, glyphosate commercialisé par Monsanto, ndlr] devienne disponible. L’une des raisons de ne pas ressemer est que les firmes améliorent d’année en année leurs semences. "

Evolution de l’adoption des OGM aux Etats-Unis
Soja : évolution du coût des semences et des pesticides

Gain de temps et facilité du travail

De plus, si la variété transgénique est un peu plus coûteuse, cela est généralement compensé par des dépenses moindres en herbicide 2. Les rendements étant par ailleurs proches, sojas conventionnel et transgé­nique ont une marge économique voisine, avec pour le soja tolérant au glyphosate un avantage sensible si l’on tient compte des gains de temps, de la facilité du travail et de l’association aux techniques de conservation des sols. En 2009 est commercialisé un nouveau soja tolérant au glyphosate ayant un rendement plus élevé. Et plusieurs nouveautés devraient être mises sur le marché ces prochaines années, en particulier du maïs tolérant mieux la sécheresse. Les OGM semblent donc avoir de l’avenir aux Etats-Unis.

Zoom Canada : "J’ai réduit les coûts et l’usage des pesticides"

France Lamonde, agricultrice québécoise,est tout sauf une forcenée du productivisme, mais elle n’a jamais songé à partir en guerre contre les OGM, qui poussent dans ses champs depuis plus de dix ans. Elle est convaincue de leur innocuité et de leur utilité. " Ils permettent de baisser nos coûts de production et de réduire les épandages de pesticides ", résume l’agricultrice de 52 ans. Elle fait pousser du maïs-grain, de l’avoine, du blé et du soja sur les terres que la famille de son mari cultive depuis quatre générations à Saint-Jean-Chrysostome, non loin de Québec.

Tout n’est pas transgénique chez les Lamonde-Cantin, loin de là. Seul le quart des 300 hectares est ensemencé avec des variétés de maïs-grain portant la signature de Monsanto. La variété la plus utilisée sur l’exploitation est le maïs Roundup Ready, pourvu d’un gène résistant au Roundup, l’herbicide le plus vendu au monde. Mais quand la pyrale du maïs est en recrudescence, le couple sème une variété dotée du gène de l’insecticide Bt pour éloigner la vorace bestiole des plants.

La fermière explique que les OGM font désormais partie de sa routine agronomique, au même titre que le semis direct, l’utilisation du fumier - qu’elle préfère aux engrais chimiques -, et la rotation des cultures. " Je tourne sur quatre ans. La première année, je plante du maïs Roundup Ready. Cela me permet de faire un bon ménage, de me débarrasser de toutes les mauvaises herbes. Les trois années suivantes, j’ai beaucoup moins d’interventions à faire dans mon avoine, mon blé et mon soja non transgénique ", raconte Mme Lamonde.

Elle précise qu’elle n’utiliserait pas d’OGM sans raison, simplement parce que c’est à la mode en Amérique du Nord. Au Québec, presque 60 % des 395 000 hectares ensemencés en maïs étaient GM en 2008. Cette proportion est de 50 % pour le soja et de 80 % pour le colza. Non, elle emploie " le minimum d’OGM, toujours ", parce qu’elle craint comme la peste que le chiendent ou les insectes ne développent une résistance, comme cela est arrivé aux fanatiques qui en plantaient partout, tous les ans. Elle ne plante que du soja classique, donc, car il pousse bien dans les traces du maïs Roundup Ready et qu’il prend la route du Japon, où les OGM ont subi une décote.

En recourant au maïs transgénique, France Lamonde indique avoir réduit ses coûts de production d’environ 15 %, car les dépenses en herbicides et en insecticides diminuent. Et d’ajouter : " Cela fait moins de produits chimiques à manipuler et moins de résidus dans le sol. "

Qu’il y ait des OGM dans son assiette ne la "préoccupe pas une miette". Il y a trois ans à peine, l’étable de la famille abritait sous son toit bleu roi 200 vaches laitières, nourries de fourrages partiellement GM. Les Lamonde n’ont jamais hésité à boire leur lait et à manger leur viande. " Ça me fait bien moins peur qu’un aliment importé d’on ne sait où. Une pomme qui a été arrosée dix fois dans l’été avec des pesticides, ce n’est pas tellement mieux ", souligne notre interlocutrice en mimant à la fois le voyage en avion et la cueillette du fruit.

Ce sont des ennuis de santé et un manque de relève qui ont forcé la vente du quota laitier et la conversion de la ferme de Saint-Jean-Chrysostome aux grandes cultures. Sur les 4 000 agriculteurs québécois occupant le même créneau, plus de trois sur quatre cultivent des OGM, selon différents sondages. Mais peu s’en vantent. " Non pas qu’ils rechignent à les semer, mais il y a ce débat international sur l’à-propos des biotechnologies agricoles ", note France Lamonde. Elle, ne se cache pas. Ni pour afficher ses couleurs, ni pour critiquer les multinationales des semences, qui " ont accru leur contrôle sur les producteurs et font des profits faramineux à leurs dépens ". Agacée, elle se gratte le sourcil, relève le col de sa veste et soupire : " Ils viennent chercher une bonne partie de notre gain. "

  • 1. Enquêtes effectuées par la National Science Foundation aux Etats-Unis et Eurobaromètre dans l’UE.
  • 2. Cependant, cet avantage pourrait se réduire avec l’apparition de mauvaises herbes résistantes au glyphosate due à l’usage intensif de cet herbicide.

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