Agir

Cambodge : un métier pour pouvoirfuir un mari violent

4 min

A Phnom Penh, une ONG accueille des femmes battues avec leurs enfants, et leur donne les moyens de sortir de l'emprise de leur bourreau.

Dans un petit coin de la périphérie de Phnom Penh, un discret portail rouillé, que signale un simple numéro, s’ouvre sur une cour ombragée. Des femmes et leurs jeunes enfants, bercés au rythme de balancelles, bavardent dans un climat serein, loin des querelles ou des coups. Srey Sra, 29 ans, a le sourire triste et le bras en écharpe, séquelle d’un dernier passage à tabac.

Son mari, alcoolique et infidèle, a tenté de lui trancher l’avant-bras avec un couteau, l’entaillant jusqu’à l’os. En dix ans de mariage, elle avait toujours préféré taire son calvaire. Ne travaillant pas, elle dépendait des revenus de son époux, et leurs quatre enfants aussi. Et elle avait peur du regard des autres, dans une société où la violence conjugale est per-çue comme une affaire privée et la victime souvent tenue pour responsable.

Faute de services sociaux publics vers lesquels se tourner, Srey Sra a débarqué, trois semaines auparavant, avec sa progéniture et sans un sou en poche, dans l’un des trois refuges de l’ONG Cambodia Women’s Crisis Center (CWCC), créée en 1997. Depuis, ils mangent à leur faim. Les plus jeunes sont à la crèche du centre, les plus grands ont été scolarisés à la communale. La mère soigne ses plaies, physiques et morales, grâce à un suivi médical assuré sur place et l’aide d’une conseillère, avant de pouvoir suivre l’une des formations professionnelles proposées par l’ONG. Srey Sra hésite entre l’atelier de cuisine et ceux de fabrication de souvenirs et de couture. " On est bien ici et j’y apprendrai un métier pour subvenir à nos besoins ", murmure-t-elle entre deux sanglots, sans cacher sa peur de voir resurgir son époux tyrannique.

" Au Cambodge, une femme sur cinq est violentée par son mari, rappelle Say Vathany, la directrice de CWCC. Le résultat d’années de guerre et d’instabi-lité politique, de la destruction de la cellule familiale sous les Khmers rouges, de l’éclatement du tissu social, du chômage... mais aussi d’une faible application de la loi de 2005 sur les violences domestiques, et d’un climat d’impunité. " Les refuges de l’ONG accueillent à la fois les victimes de violence conjugale, de viol et de trafic d’êtres humains, mais les premières constituent le gros du bataillon des femmes qui viennent frapper à leurs portes.

" D’année en année, elles sont plus nombreuses à chercher de l’aide à l’exté­rieur, se réjouit la directrice. Elles osent dire "je ne peux plus supporter cette situation !" " L’ONG mène une enquête sur leur situation et leur offre, si besoin est, une assistance juridique. Elle leur enseigne les règles d’hygiène, de la prévention contre le sida, leur apprend à se départir de la peur, de la honte aussi, et tente de leur donner les moyens de conquérir leur indépendance. " Soixante à 70 % de ces femmes trouvent un emploi en sortant. Nous les aidons à se réintégrer, à lancer leur propre commerce ou à trouver un travail ", explique Kong Lakhena, l’assistante de Say Vathany.

" Il ne me retrouvera pas "

Sous des airs de jeune femme épanouie, Mom, 27 ans, parle avec détachement des mauvais traitements et des viols à répétition qu’elle a subis en six ans de mariage. Depuis un an au refuge, elle s’est reconstruite. " J’irai bientôt, avec ma fille, rejoindre mon frère en province et je compte ouvrir une échoppe de souvenirs, grâce à ce que j’aurai appris ici. Je suis confiante. Et je sais que mon mari ne me retrouvera pas ", raconte-t-elle sur le ton affirmé de celle qui ne se fera plus dicter son destin.

Le centre phnompenhois est surveillé par caméra et sécurisé 24 heures sur 24 pour éviter que les maris ne tentent de ramener leur femme par la force. Mais depuis un an, à la demande des femmes, les activités ciblent aussi les hommes pour leur montrer comment détourner leur colère sur d’autres exutoires. " Beaucoup disent qu’ils ignoraient mal agir, pen-sant que par la violence ils affirmaient leur rôle de chef de famille, comme ils ont vu leur père le faire ", souligne Say Vathany.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !