Qui fait la police ?

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Le nombre croissant de satellites en circulation autour de la Terre, opé-rationnels ou en fin de vie, rend inévitables de futures collisions. Mais pour réguler la circulation, chaque pays devrait fournir des données " sensibles ".

La collision entre un satellite américain de télécommunications et un satellite militaire russe en février 2009 a ravivé des angoisses récurrentes liées à l’espace. Et notamment celle de voir qu’il n’est plus possible d’y circuler librement, les rivalités terrestres s’exportant désormais au-dessus de nos têtes. Le contexte particulier de la guerre froide qui a présidé aux débuts de la conquête spatiale a sans doute contribué à cette perception latente dans les esprits d’un risque venu du ciel, car après le premier bip-bip de Spout-nik en 1957, le mythe d’une bombe qui pourrait être embarquée dans l’espace a été imaginé par certains.

Si par la suite, les outils spatiaux sont devenus plus familiers à l’opinion publique à travers leurs usages multiples, les télécommunications ou l’observation de la Terre et son environnement par exemple, le retour aux Etats-Unis, depuis 2004, des concepts de programmes antimissiles, avec leur extension spatiale, contribue à une inquiétude latente en termes de sécurité internationale. Une préoccupation accrue par les lancements de satellites annoncés récemment par des pays comme l’Iran ou la Corée du Nord - même si les risques ici concernent surtout la prolifération des technologies de missiles, proches de celle des lanceurs de satellites.

Comment est occupé l’espace aujourd’hui ? Il est d’abord dominé par les satellites strictement civils, près de 600 étant aujourd’hui opérationnels. Et de plus en plus d’Etats en disposent. La majorité de ces pays n’ayant pas la capacité de les fabriquer eux-mêmes, ils les ont achetés à l’une ou l’autre des grandes puissances spatiales, essentiellement les Etats-Unis, l’Europe, mais aussi de plus en plus souvent, la Russie et la Chine. Il s’agit principalement de satellites de télécommunications et d’observation de la Terre. L’offre de petits satellites, à un prix accessible et avec une complexité technologique limitée, intéresse en effet des Etats soucieux d’acquérir une première expérience en matière de gestion des ressources spatiales. Les pays arabes illustrent particulièrement cette tendance.

Satellites " duaux "

Les satellites strictement militaires, en revanche, sont l’apanage d’un nombre limité d’Etats aux capacités profondément inégales. A eux seuls, les Etats-Unis, qui détiennent déjà la plus grande flotte civile, en possèdent 80 %. Et surtout, ils sont les seuls à déployer la gamme complète des systèmes existants (télécommunications, navigation, observation, alerte, écoute...). Viennent ensuite la Russie, l’Europe, puis la Chine. La Russie a des compétences plus diversifiées que l’Europe mais son niveau technologique est moins sophistiqué, tandis que la Chine fait, à tout point de vue, figure de nouveau venu.

La longue marche de la Chine dans l’espace

Puissance émergente, en orbite comme sur terre, la Chine a réalisé en janvier 2007 un test antisatellite spectaculaire en détruisant l’un de ses vieux satellites météorologiques avec un missile. L’explosion a dispersé plus de 1 600 débris à 850 kilomètres d’altitude.

La longue marche de la Chine dans l’espace

Puissance émergente, en orbite comme sur terre, la Chine a réalisé en janvier 2007 un test antisatellite spectaculaire en détruisant l’un de ses vieux satellites météorologiques avec un missile. L’explosion a dispersé plus de 1 600 débris à 850 kilomètres d’altitude.

Il faut ajouter aux satellites civils et militaires une troisième catégorie, celle des satellites parfois dits " duaux " parce qu’ils servent à la fois des besoins civils et militaires. L’équilibre entre les deux usages se fait en général au bénéfice des utilisateurs civils, en particulier pour les télécommunications. Mais l’imbrication des missions permet à des pays qui, pour des raisons diverses, souhaitent afficher une définition purement pacifique de leur compétence spatiale d’utiliser aussi ses satellites à des fins militaires. L’Inde, le Japon, l’Union européenne (en tant qu’entité, indépendamment des programmes de chaque Etat) et Israël ont adopté cette approche technologique. C’est finalement la possibilité de libre accès, ou non, aux données fournies par les satellites duaux qui indique le mieux la priorité conférée par leur propriétaires plutôt aux civils ou plutôt aux communautés du renseignement...

Quels que soient les objectifs et les moyens de chaque pays, les conditions de la circulation dans l’espace intéressent désormais la totalité des Etats, qu’ils y soient déjà présents ou qu’ils prévoient de l’être à plus ou moins long terme. L’accident entre un satellite russe gouvernemental en fin de vie s’apprêtant à brûler dans l’atmosphère, et un satellite américain actif, appartenant à un opérateur privé, a donc pris une valeur symbolique. Les agences spatiales avaient déjà mis en garde depuis longtemps contre la multiplication des débris circulant dans l’espace et qui vont de quelques dizaines de milliers à plus d’un million selon la taille. Avec la collision de 2009, leurs craintes se sont concrétisées d’une manière beaucoup plus spectaculaire puisqu’il s’agissait en l’occurrence non d’un morceau, mais d’un satellite au complet.

Degré de confiance

Cet accident a en tout cas reposé la question de la détection du risque et des moyens de l’éviter. Or cette capacité de détection est aujourd’hui très concentrée. Seuls les militaires américains ont une vision complète et en temps réel des objets supérieurs à une dizaine de centimètres orbitant dans l’espace. La Russie, l’Europe et la Chine tentent d’améliorer leurs compétences en la matière, mais peut-on imaginer que chaque pays possédant des satellites en orbite doive assurer pour son compte la police de la route spatiale ? On pourrait concevoir qu’une instance internationale en soit chargée, mais cela pose un problème de confidentialité. Le secret sur l’orbite des satellites militaires est en effet considéré comme une condition de sécurité nationale par les pays qui en possèdent. Peut-on alors imaginer que ceux-ci communiquent de leur plein gré sur les risques éventuels ? Le service serait-il gratuit ? Quel serait le degré de confiance qui pourrait lui être accordé par les pays tiers ? Autant de questions qui restent encore en suspens mais auxquelles il faudra bien trouver des solutions pour garantir le bon usage de l’espace.

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