Femmes : l’émancipation entravée (introduction au dossier)

3 min
Par Yann Mens

Emancipation ou double peine ? Partout, les femmes travaillent de plus en plus en dehors de l’espace familial. Parce que les progrès de la scolarisation des filles, de l’école primaire à l’université, leur permettent d’accéder à des métiers autrefois réservés aux hommes. Et parce que les contraintes économiques exigent que les deux conjoints contribuent au revenu de la famille. Cette sortie de l’espace privé où elles étaient confinées et financièrement dépendantes est un début d’émancipation qu’elles paient très cher, tant l’essentiel des soins aux enfants et des travaux ménagers continue de peser sur elles. L’inégalité de charges domestiques se double d’une inégalité de traitement au travail, où la différence de salaire reste la règle.

Certaines, dans les pays occidentaux, font donc des choix drastiques. A défaut de pouvoir mener sereinement de front vie professionnelle et vie familiale, elles renoncent à avoir des enfants. Ce phénomène prend parfois des proportions telles qu’il contraint l’Etat à réviser ses politiques publiques - moins par souci de l’émancipation des femmes que pour combattre le risque d’une crise démographique, notamment. Ainsi de l’Allemagne, où la forte baisse du taux de fécondité s’explique entre autres par la non-procréation chez les diplômées de l’enseignement supérieur, dans un pays où, traditionnellement, les mères de jeunes enfants sont stigmatisées lorsqu’elles travaillent 1. Et où les crèches sont peu nombreuses, en comparaison avec la France par exemple, au taux de fécondité bien supérieur (2,02 enfants par femme, contre 1,37 outre-Rhin).

Transmission familiale

Dans de nombreux pays, les choix ne se posent pas dans les mêmes termes pour les femmes qui n’ont pas, ou peu, la maîtrise de leur fécondité. Parce que les méthodes de contraception modernes sont peu accessibles, mais aussi en raison du poids des normes sociales ou des pressions de l’entourage, qui valorisent une maternité nombreuse (lire p. 33). Mais cet entourage peut aussi se révéler le meilleur allié de celles qui travaillent à l’extérieur du foyer. Ainsi de ces mères turques, véritables sponsors de leurs filles cadres et qui réalisent à travers elles des aspirations frustrées (lire p. 30). Ailleurs, faute de crèches, les femmes emploient d’autres femmes (et exclusivement des femmes) pour s’occuper de leurs enfants. Des employées issues des milieux populaires, souvent venues de la campagne du fait d’un exode rural massif. Ou des migrantes arrivées de l’autre bout du monde et qui ont dû parfois laisser leurs propres enfants au pays (lire p. 32).

Mais, même volontaristes, les politiques publiques n’infléchissent pas sensiblement la division sexuée des rôles au sein du couple. Comme l’observent trois sociologues 2, dans les pays du nord de l’Europe qui ont pourtant développé des politiques incitatives à l’égard des pères, les mères assument une part des soins aux enfants bien plus importante et prennent une durée de congés parentaux nettement plus étendue qu’eux. Si les carences de l’action publique, en matière éducative notamment, expliquent sans doute la persistance de modèles inégalitaires, une grande part de l’émancipation féminine se joue aussi hors de sa portée. Dans l’intimité familiale, où chaque mère et chaque père enseigne aux futurs adultes des deux sexes, plus ou moins consciemment et dans les moindres gestes du quotidien, comment se comporter.

  • 1. Cf. AI 35, La fin des " mauvaises mères ", A. Hege.
  • 2. " Etat/Travail/Famille, " conciliation" ou conflit ? ", Cahiers du Genre, 46/2009, pp.6-7.

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