Italie : une ombre sur l’empire de Silvio Berlusconi

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Chaque fois que la Cour constitutionnelle s'est inquiétée de la concentration des médias, des lois taillées sur mesure ont favorisé le groupe du chef du gouvernement. Aujourd'hui, il est surtout menacé par son ancien allié, Rupert Murdoch.

Silvio Berlusconi a construit son empire médiatique durant une longue période d’a-réglementation audiovisuelle, entre 1974 et 1990. En 1975, une loi sup- prime le monopole de la Radio- televisione Italiana (RAI, publique) à l’échelle locale et partage le contrôle des trois chaînes nationales entre les partis politiques. De son côté, la Cour constitutionnelle autorise les télévisions privées locales " pirates " qui existaient depuis quelques années, sur le câble d’abord. Silvio Berlusconi en crée une près de Milan, où il est promoteur immobilier. Il étend sa diffusion hertzienne à toute la Lombardie, puis à l’Italie du Nord avant de créer, en 1980, un réseau national, Canale 5, par agrégation des télés locales. Sur le papier, la RAI garde son monopole sur les programmes nationaux, dont les émissions en direct tels les journaux télévisés et les matchs de football qui drainent audience et publicité. Mais de fait, son monopole est battu en brèche par ces chaînes locales qui diffusent simultanément le même programme, avec spots publicitaires préinsérés. Profitant des difficultés des éditeurs Rusconi et Mondadori qui se sont diversifiés dans la télévision, Berlusconi rachète leurs chaînes Italia 1 (1982) et Rete 4 (1984). Il a trois chaînes généralistes commerciales et peut rivaliser avec la RAI.

Durant cette période, il bénéficie de l’appui de son ami milanais Bettino Craxi, secrétaire du Parti socialiste. Via la coalition au pouvoir avec les démocrates-chrétiens, puis directement, quand Craxi devient président du Conseil. En août 1984, des juges suspendent les émissions diffusées par le Cavaliere en infraction à la loi de 1975, mais Craxi adopte un décret-loi, surnommé " décret Berlusconi ", qui légitime ses chaînes privées nationales. Puis il aide son ami à entrer en France sur La Cinq, et en Espagne sur Telecinco.

En 1990, une loi de régulation du système audiovisuel " photographie " le duopole constitué par la RAI et le groupe Fininvest du Cavaliere, d’où son surnom de " loi Polaroid ". Elle met fin au monopole public au niveau national, et autorise les chaînes de Berlusconi à diffuser des émissions en direct. Mais le texte interdit à un groupe détenant des chaînes nationales financées par la publicité de posséder plus de 10 % du capital des chaînes à péage qui émergent - telle Canal Plus qui entre alors sur le marché italien (remplacée en 2003, par Sky Italia, filiale du groupe News Corp. de Rupert Murdoch). Cette disposition et un décret-loi de 1993 qui limite le nombre de chaînes nationales menacent la dynamique du groupe Fininvest, enfermé sur le marché audiovisuel financé par la publicité. Pour se diversifier, Berlusconi rachète Mondadori avec sa cinquantaine de magazines, puis en 1993, annonce " sa descente sur le terrain " politique.

Après la chute du mur de Berlin et l’enquête anticorruption Mains propres, la classe politique est décimée. Berlusconi crée un parti politique à partir de sa régie publicitaire et gagne les législatives de 1994. Il devient président du Conseil mais ne reste aux affaires que sept mois. Le centre gauche de Romano Prodi revient au pouvoir en 1996. Il ne modifie pas le périmètre de la Fininvest alors que Berlusconi, dirigeant politique et propriétaire d’un empire multimédia, est au centre d’un conflit d’intérêts. Car la gauche sous-estime le berlusconisme, et Massimo d’Alema, leader du Parti des démocrates de gauche (ex-communiste), souhaite négocier avec lui la mise en place d’une Assemblée constituante pour renforcer l’exécutif. En outre, la gauche défend la constitution de " groupes champions " dans l’audiovisuel pour contrer l’hégémonie nord-américaine. Enfin, les électeurs plébiscitent le groupe Berlusconi lors de trois référendums, en 1995, qui autorisent une même personne à être propriétaire de plusieurs chaînes, permettent à une régie publicitaire de travailler avec plus de deux chaînes nationales et maintiennent la coupure publicitaire dans les films. Le gouvernement Prodi fait néanmoins adopter la loi du 31 juillet 1997 pour tenter de réduire le poids du duopole, en interdisant à un même groupe de contrôler plus de deux chaînes nationales et plus du tiers des recettes de la télévision, et en instaurant une autorité de régulation. Mais le centre gauche, paralysé par ses divisions, ne parvient pas à réduire le nombre de chaînes de la RAI et de Mediaset (filiale télé de la Fininvest). La Cour constitutionnelle insiste pour que soit mis fin au duopole RAI-Mediaset. Le Parlement ne réagit pas.

En 2001, Berlusconi revient au gouvernement. La Cour constitutionnelle constate en 2002 " une aggravation de la concentration ". Elle demande que la RAI 3 abandonne la publicité et que Rete 4 migre sur le satellite, où l’audience est plus faible. Nouveau désaveu : le Cavaliere signe fin 2003 un décret-loi pour bloquer le transfert de sa chaîne et fait adopter en mai 2004 une nouvelle loi audiovisuelle. Elle maintient la situation de Rete 4, permet à la Fininvest d’augmenter son chiffre d’affaires et autorise la privatisation de la RAI. Cette dernière disposition n’est pas mise en oeuvre, Berlusconi ne souhaitant pas qu’un concurrent vienne réduire sa part du marché publicitaire.

En 2006, Romano Prodi revient aux affaires mais son gouvernement ne peut faire adopter un projet prévoyant le transfert sur le satellite d’une chaîne de Mediaset et d’une de la RAI. Berlusconi sauve ses trois chaînes généralistes. En 2009, un nouveau front s’est ouvert pour le Cavaliere : moins avec la gauche affaiblie dans l’opposition qu’avec son ancien allié et concurrent, Rupert Murdoch. La télévision à péage Sky Italia est devenue le deuxième groupe audiovisuel de la péninsule. Devant Mediaset. Pour limiter son expansion, le gouvernement Berlusconi a augmenté la TVA sur les abonnements et réduit le volume de publicité autorisé sur les chaînes à péage. La guerre commerciale du Cavaliere contre Murdoch semble désormais plus vive que celle, politique, qui l’oppose au centre gauche. Si un oligopole tripolaire s’est imposé (Sky, RAI, Mediaset), " l’anomalie italienne " persiste puisqu’un seul homme, propriétaire d’un empire médiatique, dirige le premier parti politique et le gouvernement.

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