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Afghanistan : le pavot pousse où l’Etat flanche

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Dans certaines zones, la culture du pavot recule grâce à des aides adaptées aux besoins locaux et, surtout, permettant d'écouler les nouvelles productions agricoles. Mais le pays est toujours le premier fournisseur mondial d'opium.

Au milieu de ses champs, à 15 kilomètres de Jalalabad, dans la province du Nangarhar, Haji Ibrahim est content de montrer ses nouvelles cultures : choux, laitues et citronniers. Il y a trois ans, il ne produisait ici que du pavot. Lorsque le gouverneur du Nangarhar, pressé par le président afghan, en a annoncé l’interdiction ainsi que les peines de prison encourues, Haji Ibrahim s’est demandé comment il pourrait s’en sortir. Impossible en effet, en ne faisant pousser que du blé - la base de l’alimentation du pays -, de dégager des ressources monétaires suffisantes pour lui et sa famille, vu ce que rapporte la culture des céréales.

Si Haji Ibrahim a finalement réussi à s’assurer des moyens d’existence légaux, c’est grâce aux ingénieurs agronomes de Development Alternatives, Inc. (DAI), une agence privée de consultants qui met en oeuvre, pour le compte de la coopération américaine (USAID), des programmes de développement agricole et rural dans les zones de culture illicite. " Obtenir la confiance et l’adhésion des agriculteurs est à la base de notre travail, souligne Jonathan Greenham, responsable de DAI à Kaboul. Nous n’arrivons pas dans un village avec des solutions clé en main. Nous partons de la demande de la communauté, évaluons ensemble les besoins et les priorités, construisons ensemble un projet. Et surtout, nous ne promettons jamais rien que nous ne pouvons tenir. Ces principes sont une condition du succès des programmes, mais aussi une garantie pour la sécurité de nos agents sur le terrain. "

Engagement écrit

La confiance s’établit aussi grâce au fait que les équipes locales de DAI sont principalement constituées d’Afghans. Si elles ont rappelé à Haji Ibrahim et à ses homologues les interdits de l’Etat et de l’islam entourant la drogue, elles ont surtout apporté à l’ensemble du village des moyens de développement économique. Le soutien de DAI n’est en effet pas limité aux seuls ex-producteurs de pavot : c’est l’ensemble de la communauté qu’il s’agit de sortir de la pauvreté. Outre la fourniture de semences de qualité, d’engrais et d’outils, DAI a soutenu la réfection des canaux d’irrigation et formé les paysans pour qu’ils diversifient leurs productions. Haji Ibrahim a ainsi adopté la culture du chou de Bruxelles, un légume rare dans le pays... En contrepartie des aides qu’il reçoit, renouvelables durant quelques années, chaque fermier s’engage par écrit à arrêter - ou ne pas démarrer - la culture du pavot. Faute de quoi, ces aides seront suspendues. Une menace que DAI n’a pas eu à mettre à exécution dans le village. Aujourd’hui, Haji Ibrahim ne dépend plus de ces aides. Et trois ans après, il n’a pas eu besoin de se remettre au pavot. Grâce à son activité de maraîchage, il gagne même un peu plus d’argent qu’avant.

Assurer des débouchés

Mais si Haji Ibrahim peut vivre de sa production et être autonome, c’est parce que ses récoltes trouvent un débouché. D’une part grâce à l’amélioration générale des infrastructures dans le Nangarhar, avec la construction de routes et la réhabilitation des marchés urbains. D’autre part grâce au développement de la demande en aval, auquel contribue DAI en soutenant la création d’entreprises. L’agence a ainsi créé il y a trois ans une petite société d’empaquetage, d’une vingtaine de personnes, pour expédier des produits agricoles à Kaboul. DAI cherche des investisseurs locaux pour reprendre cette PME qui peut à présent voler de ses propres ailes.

DAI soutient aussi des entreprises existantes. A Jalalabad, une petite société fabriquant de la sauce tomate avait fait appel à elle car elle rencontrait des difficultés financières. En échange de l’embauche de dix employés supplémentaires, DAI a accepté de prendre en charge l’ensemble des salaires de cette société, le temps qu’elle consolide son activité. En plus d’assurer des débouchés aux agriculteurs, ces microentreprises créent des emplois dont la rareté, en milieu rural, est l’un des ressorts de la culture du pavot, très gourmande en main-d’oeuvre.

Dans le Nangarhar, les surfaces de pavot ont largement diminué ces dernières années : 300 hectares en 2009 contre près de 19 000 en 2007. Le premier motif invoqué par les fermiers est l’interdiction. C’est pourquoi il est très important que les gouverneurs de province, dans un pays où l’Etat est extrêmement faible, s’engagent personnellement pour faire respecter l’interdit officiel de la culture du pavot. Celui du Nangarhar privilégie le dialogue. Son équipe va discuter avec les anciens des villages pour les convaincre d’abandonner ces cultures sur leurs territoires. Cet engagement politique des autorités locales est un élément clé de la réussite des programmes de " développement alternatif " à la culture du pavot : " Il est important que les paysans sachent que la sanction est possible, sans quoi on ne peut les persuader de faire autre chose ", rappelle Jonathan Greenham.

Bastions talibans

Le bilan des projets de développement alternatif tels ceux que mène DAI est extrêmement difficile à établir : dans quelle proportion précisément ont-ils contribué au recul de la production de pavot dans le Nangarhar, alors que d’autres facteurs comme l’engagement des autorités locales pour faire respecter la loi ou le développement d’infrastructures qui profitent à l’ensemble de la province jouent tout autant ? Pour les responsables de ces projets, le seul critère à retenir est finalement l’amélioration des conditions de vie des populations concernées.

Une certitude : le succès relatif dans le Nangarhar n’est pas transposable partout. Ce n’est pas un hasard si en Afghanistan, où le pavot a reculé en 2009 pour la seconde année consécutive, 84 % des 123 000 hectares cultivés l’an dernier se concentrent désormais dans les cinq provinces du Sud (le pays en compte 34), en particulier dans le Helmand (70 000 ha) : les talibans y tiennent leurs bastions et il y règne la plus grande insécurité. " Cette question de la sécurité est centrale, souligne Jonathan Greenham. Si les pays occidentaux se désengageaient demain militairement et économiquement de l’Afghanistan, le pavot reviendrait à coup sûr dans les régions où il a quasiment disparu. " Et d’ajouter : " Les progrès déjà enregistrés dans les autres parties du pays ne seront durables que si les efforts en faveur du développement de l’Afghanistan se poursuivent. Dans le Nangarhar, les paysans auraient certainement du mal à écouler leurs tomates sans une agence comme DAI qui finance aujourd’hui à perte une usine de concentré à Jalalabad...

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