Burkina Faso : aide qui s’éparpille rate sa cible

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La question agricole en Afrique de l'Ouest retient l'attention des donateurs. Mais leur efficacité n'est pas au rendez-vous tant ils ignorent les priorités fixées par des Etats qui n'ont pas les moyens de s'imposer. Sauf à s'unir et agir à l'échelon régional.

Après la crise alimentaire de 2005 et la hausse brutale des prix agricoles en 2008, des millions de personnes sont de nouveau exposées à la faim au Sahel. Face à la multiplication des situations d’urgence, les pays donateurs et les institutions internationales réinvestissent peu à peu dans l’agriculture des pays en développement après vingt ans de désintérêt pour ce secteur. Au-delà des engagements financiers 1, ils entendent mieux coordonner leurs actions pour accroître l’efficacité de leur aide. Mais beaucoup reste à faire. Exemple, le Burkina Faso.

Comme dans d’autres pays sahéliens, l’investissement public agricole au Burkina dépend fortement de l’aide extérieure : à 91 % en 2007. Une aide délivrée par une multitude d’acteurs : outre la myriade d’ONG locales et étrangères, le gouvernement comptabilisait en 2007 plus de 130 projets en cours d’exécution dans le secteur rural, mis en oeuvre par 27 organisations publiques bilatérales et multilatérales. Mais qui travaillent en ordre dispersé : " Chacune promeut sa propre approche du développement agricole ", se plaint un responsable du ministère de l’économie et des finances. Loin des clichés du " chèque en blanc ", l’aide délivrée dans le secteur agricole est souvent directement mise en oeuvre par les donateurs. Et si les projets sont, en principe, discutés avec le gouvernement, ils reflètent les priorités de qui tient les cordons de la bourse. " Sur le terrain, de très nombreux projets se juxtaposent, ne sont pas coordonnés, voire sont incohérents ", poursuit le responsable burkinabé. Après la crise de 2008, la Banque mondiale et la FAO avaient distribué des semences, mais pas selon les mêmes critères de définition des populations bénéficiaires, ni les mêmes modes d’intervention : l’une procédait à des distributions gratuites et l’autre vendait les semences à prix modéré, parfois dans les mêmes zones.

L’état court-circuité

Il arrive même que les initiatives de donateurs concurrencent celles de l’Etat. Le gouvernement a conçu des plans d’action pour développer les filières céréalière, maraîchère et animale - des cadres dans lesquels les actions des donateurs devraient s’inscrire. Ils sont en fait sous-financés. Car parallèlement, six programmes sont directement mis en oeuvre par la Banque mondiale et les coopérations allemande, danoise et canadienne pour développer une trentaine de filières agricoles - sans respect pour les priorités fixées par l’Etat. Le sésame, l’oignon et le lait reçoivent ainsi l’appui de plusieurs donateurs, alors que des cultures vivrières (maïs, riz) ne bénéficient que de peu d’aides.

Il existe pourtant au Burkina Faso un cadre de concertation, qui réunit les principaux donateurs intervenant dans le secteur rural, créé en 2002 à l’initiative de l’Allemagne. Mais il s’agit plutôt d’un lieu d’échanges d’informations sur les projets en cours, et pas d’un cadre pour l’élaboration de projets communs et de positions communes vis-à-vis du gouvernement. De plus, ni les organisations paysannes, ni les ONG locales et étrangères ne sont représentées dans cette instance. Sans accès à l’information, elles ne peuvent faire bénéficier les donateurs de leurs connaissances de terrain ou proposer des améliorations dans la conduite d’un projet, et participent malgré elles à l’éclatement de l’aide. Certes, des représentants d’agences de développement étrangères souhaitent faire évoluer la situation, mais ces bonnes intentions sont entravées par les pesanteurs de leurs institutions. De son côté, le gouvernement burkinabé ne montre pas beaucoup plus de volonté à imposer un changement d’approche, de peur de perdre des financements.

Émeutes de la faim

Outre l’investissement sur le terrain, l’aide devrait aussi renforcer les capacités administratives des pays du Sud afin qu’ils puissent mettre en place des politiques publiques efficaces de lutte contre la faim. Mais la dispersion des donateurs affaiblit les faibles ressources humaines de l’Etat. L’administration du Burkina est accaparée par le suivi des projets de chaque donateur. En 2007, le pays a reçu près de 330 équipes, tous bailleurs confondus, ce qui donne lieu à de nombreuses réunions : présentation initiale du projet, comité de suivi, évaluation, etc. Par ailleurs, les écarts importants de salaires entre personnel local et expatrié, et de conditions de travail, représentent une force d’attraction souvent irrésistible pour les cadres des ministères, dont beaucoup sont finalement recrutés par des agences de coopération, voire des ONG.

La hausse soudaine des prix des produits alimentaires en 2008, qui a plongé des millions de personnes supplémentaires dans la pauvreté dans le monde, a cependant agi comme un électrochoc pour la communauté internationale. La gravité de la crise a poussé les donateurs, au-delà de leurs programmes nationaux, à s’intéresser davantage à la construction de politiques agricoles à l’échelle régionale. Ils ont signé le 12 novembre dernier avec la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) un partenariat pour mettre en oeuvre cette politique régionale, qui veut combiner investissement et mesures politiques visant à assurer la souveraineté alimentaire - en particulier une protection commune aux frontières pour favoriser les échanges intrarégionaux 2. Les Etats de la région se sont engagés à inscrire leurs plans d’investissements nationaux dans ce cadre, ce que s’efforce de faire aujourd’hui le Burkina. Les bailleurs ont accepté, eux, d’agir au sein de cette architecture régionale et de coordonner leurs interventions. Reste à savoir si ces intentions se concrétiseront mieux au niveau régional qu’elles ne l’ont été à l’échelon national. Et si les bailleurs sauront réformer leur outils, comme le demande la Cedeao et comme ils s’y sont engagés en signant la Déclaration de Paris de 2005 sur l’efficacité de l’aide, en abandonnant progressivement les projets pour financer directement les futurs plans d’investissement.

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