Angleterre : une police un peu plus surveillée

6 min

Avant 1986, la police était chargée de l'enquête, de l'inculpation et du réquisitoire devant le tribunal. Des compétences qui, depuis, ont été confiées en partie à un Service des poursuites pénales, dont l'influence peut encore croître.

Jusqu’en 1986, il n’y avait pas de service public spécifique et autonome en charge des poursuites en Angleterre et au pays de Galles 1 pour la majorité des délits 2. La police était alors compétente pour inculper les délinquants et elle rémunérait des avocats privés pour requérir devant les tribunaux. Souvent cependant, elle n’avait pas l’expertise nécessaire pour déterminer quels dossiers avaient de bonnes chances d’aboutir à une condamnation. Les erreurs judiciaires qui en résultaient étaient dues, au moins en partie, à ce qu’une même autorité était responsable de l’enquête, de l’inculpation et du réquisitoire devant le tribunal.

La nécessité de créer une autorité indépendante en charge des poursuites a été mise en exergue en 1981 par la Commission royale sur la procédure pénale (ou commission Philips), qui a recommandé la mise en place d’un tel service auprès de chaque force de police responsable d’une zone géographique. La police, cependant, a vu d’un mauvais oeil cette perte de pouvoir. Et les avocats privés auxquels elle avait recours ne voulaient pas se voir retirer leur rôle de représentation devant les tribunaux. Du coup, au moment de sa création en 1986, les pouvoirs du nouveau Crown Prosecution Service (CPS, le Service des poursuites pénales de la Couronne) ont été le fruit d’un compromis bancal. Devant les magistrates’ courts, tribunaux qui jugent l’essentiel des affaires et dont les juges sont en majorité non-professionnels, la police continuait à fixer les motifs d’inculpation. Puis elle transmettait le dossier au CPS qui décidait de poursuivre ou non, et qui présentait l’essentiel des dossiers devant le tribunal. En revanche, devant les High Courts (en charge des délits les plus graves), des avocats privés continuaient de représenter le CPS. A cette époque, Margaret Thatcher dirigeait le gouvernement britannique et les budgets affectés aux nouveaux services publics étaient faibles. De ce fait, les membres du CPS étaient mal payés et le statut de l’institution très bas.

La situation a changé au début des années 2000 sous le gouvernement travailliste. D’une part, le Crown Prosecution Service a vu son budget augmenter. D’autre part, la nouvelle loi sur la justice pénale de 2003 lui a accordé des pouvoirs accrus. Ce qui n’a pas changé en revanche, c’est sa tutelle. En 2007, un ministère de la justice a bien été créé pour la première fois en Angleterre, mais le CPS reste sous l’autorité d’un ministre spécifique, le procureur général 3. Le directeur des poursuites - qui dirige le CPS - est indépendant du gouvernement et responsable seulement devant le Parlement, à travers ce procureur général. Agence administrative, le CPS est géré de façon totalement séparée des magistrats du siège.

Dans le système anglais, à l’inverse du français, la police n’est pas placée sous l’autorité du procureur pendant l’enquête. Elle mène seule les investigations et sur la base de celles-ci, la responsabilité du CPS est de ne transmettre au tribunal que les dossiers dont il estime, au vu des preuves collectées, qu’ils ont de bonnes chances d’aboutir à une condamnation. Le procureur, en revanche, n’a pas le droit de classer une affaire. Il peut seulement décider de transmettre le dossier au tribunal ou le renvoyer à la police pour qu’elle cherche de nouvelles preuves par exemple. En cas de renvoi, le CPS peut parfois demander à la police d’adresser un avertissement à la personne concernée. A la différence d’autres systèmes européens, tel que l’écossais, le procureur ne peut infliger une amende. Ou, comme au Japon, négocier un arrangement entre la victime et le délinquant qui aboutit au versement d’une compensation. Plus encore, à la différence des Etats-Unis notamment, les procureurs anglais ne peuvent requérir une peine particulière devant le tribunal.

Malgré tout, le CPS est parvenu à accroître son influence au cours des années 2000. S’il ne peut pas donner d’ordres à la police, il peut lui transmettre des conseils et le fait de plus en plus souvent. Dans les premières années de son existence, cela se passait au cas par cas, par des discussions entre les policiers et le procureur. Mais depuis 2003, ce n’est plus la police qui décide d’inculper un individu et détermine les charges, mais le CPS. Du coup, ce dernier a davantage d’influence sur l’enquête. Une influence qui passe surtout par la publication de directives sur son site internet. Des directives générales sur les conditions de recevabilité et de fiabilité des preuves collectées par la police, mais aussi d’autres, plus spécifiques, concernant des sujets complexes, tel le suicide assisté, ou le viol.

Le CPS a aussi acquis un rôle plus important devant les tribunaux. Juste après sa création, le compromis bancal évoqué précédemment avait des conséquences très dommageables : la personne qui connaissait le mieux le dossier, à savoir le procureur du CPS, n’était pas celle qui le présentait devant le tribunal puisque la fonction restait réservée à des avocats privés. Plus encore, ces avocats avaient toute latitude pour agir comme ils le voulaient afin d’obtenir une condamnation.

En revanche, lorsqu’à partir de 2005, le CPS a été chargé de l’acte d’accusation, il a acquis un plus grand contrôle sur la façon dont les affaires sont poursuivies devant les High Courts. Les avocats de la Couronne, qui sont des membres permanents du CPS, présentent désormais une partie des dossiers devant ces tribunaux. Et pour les autres, les avocats privés qui continuent d’en avoir la responsabilité doivent se conformer aux directives du CPS. Le CPS n’a pas d’effectifs suffisants pour présenter toute les affaires lui même, mais il s’est fixé un objectif de 25 % en 2012. Et les avocats de la Couronne acquièrent progressivement une expertise dans les domaines les plus complexes (meurtres par armes à feu, viol, etc.). Bien qu’il ne puisse pas requérir une peine précise, le CPS a aussi, par sa fonction de conseil auprès des magistrats, une influence croissante dans le verdict. Selon le CPS, du fait de l’accroissement de ses pouvoirs, un nombre croissant d’avocats privés souhaitent intégrer son équipe permanente, ce qui renforce son autorité.

Le CPS a fait de grands pas au cours des dix dernières années. Crise économique oblige, la baisse des dépenses publiques qui suivra probablement les dernières élections législatives de mai risque de limiter les capacités des institutions publiques. A long terme pour le CPS, le scénario le plus probable est le statu quo, plutôt qu’un accroissement rapide de ses pouvoirs similaire à ce qu’il a connu depuis le début des années 2000.

Zoom Et en France...Parquet et juge d’instruction

Les enquêtes pénales peuvent être dirigées soit par le parquet (ou ministère public), soit par le juge d’instruction. Aujourd’hui, environ 96 % des enquêtes sont réalisées par le premier et seules 4 %, les plus complexes, par le second. Le juge d’instruction est saisi soit par une partie civile, soit par le parquet - obligatoirement s’il s’agit d’un crime, relevant donc de la cour d’assises, et de manière facultative s’il s’agit d’un délit, relevant du tribunal correctionnel. En pratique, le parquet saisit de moins en moins le juge d’instruction pour ces délits complexes qu’il traite lui-même. Le juge d’instruction est un magistrat du siège, donc indépendant et inamovible, alors que le parquet est soumis au pouvoir hiérarchique du garde des sceaux. Le gouvernement projette de supprimer la fonction de juge d’instruction, critiquée notamment après des affaires comme celle d’Outreau.

  • 1. L’Ecosse et l’Irlande ont leur propre système judiciaire : l’Ecosse depuis le Traité d’Union en 1707 et l’Irlande du Nord depuis 2000, à la suite des arrangements institutionnels qui ont permis une répartition des pouvoirs entre les différentes communautés du territoire.
  • 2. Un directeur des poursuites publiques existait avant 1986, mais seulement pour les crimes les plus graves tels que le meurtre.
  • 3. Le procureur général est membre du gouvernement, mais ne fait pas partie du Conseil des ministres. Il assume les fonctions de procureur en chef et conseille le gouvernement dans le domaine juridique. Il jouit d’une grande indépendance.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !