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Enfants-soldats : comment revenir à la vie civile ? (Introduction au dossier)

3 min
Par Yann Mens

Les gens nous montraient du doigt en disant : "Celui-ci a tué mon père, celui-là a tué ma mère, tel autre a brûlé ma maison" " 1. Pour cet adolescent démobilisé après le conflit sierra-léonais (1991-2002) comme pour des milliers d’autres enfants-soldats dans le monde, le calvaire ne s’arrête pas quand ils déposent enfin le fusil. Ceux qui avaient été enrôlés de force par une armée ou enlevés par une guérilla doivent rechercher leur famille, souvent déplacée, et découvrent parfois qu’elle a été décimée. Quand ils ont survécu, leurs parents sont en général prêts à les accueillir, mais ce n’est pas toujours le cas du village, du quartier, effrayés par ces gamins qui ont du sang sur les mains, parfois celui de membres de leur propre communauté. Mais l’accueil familial lui-même n’est pas garanti. Pour les filles surtout lorsqu’elles ont subi des violences sexuelles et qu’elles reviennent avec un enfant (lire p. 72). Avant de réadmettre les ex-combattants, leur communauté leur impose parfois des rituels de " purification " (lire p. 71) qui leur permettent de se faire accepter, mais les contraignent aussi à repasser sous des autorités (aînés, hommes...) dont ils s’étaient de fait émancipés.

Stigmatisation et hostilité

Durant la guerre, ces enfants et adolescents ont révélé d’impressionnantes capacités d’adaptation pour survivre. Mais une fois démobilisés, ils n’ont souvent aucun bagage scolaire, ni formation, ni emploi qui leur permette de gagner leur vie, de reconquérir un statut dans la société, d’apporter une contribution à leur famille, à leur village. Et tenter de faire oublier leur passé. C’est parce que ce retour dans la collectivité est habituellement leur priorité que les préoccupations matérielles sont premières dans leurs demandes (lire p. 69), avant le soutien psychologique dont certains pourtant auront un besoin impératif parce qu’ils ont été témoins d’atrocités ou en ont commises. Plus ils ont combattu longtemps, plus le risque est élevé.

Beaucoup se débrouillent seuls pour se réinsérer dans la vie civile. D’autres reçoivent l’aide d’organisations internationales et d’ONG dans le cadre des programmes officiels de DDR (désarmement, démobilisation et réintégration), trop souvent conçus pour les seuls adultes, ou pour les seuls garçons (lire p. 74). Mais cette aide peut les stigmatiser davantage : " Grâce au DDR, j’ai pu porter de belles chaussures et de nouveaux habits ", raconte un autre Sierra-Léonais 2. " J’étais très reconnaissant, car je n’aurais pas pu revenir de la brousse dans l’état où j’étais. Mais les autres n’avaient pas de belles chaussures ou de beaux habits. On me regardait avec hostilité. " De fait, les enseignements tirés du passé montrent que si certains requièrent un suivi spécifique, les ex-combattants ne doivent pas, pour l’essentiel, être traités différemment de l’ensemble des enfants et adolescents victimes de la guerre afin d’espérer retrouver une place qu’ils n’auraient jamais dû perdre.

  • 1. Cité par Theresa Betancourt et al, dans " Psychosocial Adjustment and Social Reintegration of Children Associated with Armed Forces and Armed Groups ", Psychology Beyond Borders, 2008.
  • 2. Cité par M. Wessels dans Child Soldiers(lire p. 74).

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