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Birmanie : déserteurs en quête d’une trêve

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Un soldat de l'armée birmane sur cinq serait un mineur. Les pays frontaliers voient arriver des enfants qui ont déserté - et risquent donc la mort -, dont la prise en charge reste embryonnaire en raison des pressions de la junte.

Le nom est imposant : Institut birman d’éducation aux droits de l’homme. La réalité bien plus modeste. Cette petite ONG installée en Thaïlande, juste à la frontière, est l’une des rares associations à être dotée d’un programme dédié aux enfants-soldats birmans. La Birmanie est pourtant le pays du monde qui compte le plus de mineurs dans ses différentes troupes armées, gouvernementales ou pas. L’Institut défend la cause des enfants-soldats dans les instances internationales, explique son directeur, Aung Myo Myint. L’autre volet de son travail consiste à orienter les jeunes combattants qui ont réussi à fuir la Birmanie vers des groupes locaux créés eux aussi par des exilés birmans, comme la Social Action for Women (SAW), et qui ont mis en place, dans les localités frontalières de Mae Sot ou Mae Sariang, de petits refuges pour accueillir les mineurs déserteurs. Loin d’être de véritables foyers dotés de programmes structurés de réinsertion dans la vie civile - comme on en trouve dans certains pays d’Afrique déchirés par des conflits -, les refuges informels de Thaïlande sont de simples tremplins temporaires où les jeunes peuvent séjourner quelque temps avant de gagner un autre pays ou, le plus souvent, de rejoindre les centaines de milliers de migrants birmans, en majorité illégaux, qui travaillent en Thaïlande. Pour les enfants-soldats, revenir au pays est exclu : dans l’armée birmane, les déserteurs sont exécutés.

A l’intérieur de la Birmanie elle-même, le seul programme notable d’aide aux enfants-soldats a été mis en place par l’Organisation internationale du travail (OIT) qui, au nom de la lutte contre le travail forcé, mène des actions de conscientisation auprès des officiers de l’armée pour leur expliquer que le recrutement d’enfants est un délit international qui peut être qualifié de crime de guerre. En théorie d’ailleurs, c’est aussi un délit aux yeux de la loi birmane, qui stipule que les soldats doivent avoir plus de 18 ans. En février dernier, l’OIT a enregistré sa première victoire : trois officiers ont été condamnés à des peines de prison pour recrutement d’enfants-soldats.

Pauvres ou orphelins raflés

Ce petit pas, et les modestes activités de rares ONG à la frontière avec la Thaïlande, sont hélas des gouttes dans l’océan. Car en Birmanie, des gamins de 9, 10 ans à peine sont recrutés aussi bien par l’armée gouvernementale que par les nombreuses guérillas qui se battent au nom d’une des ethnies du pays (Karens, Kachins, Shans, etc.). Dans un rapport publié en 2002, Human Rights Watch estimait qu’au moins 70 000 des 350 000 soldats de l’armée gouvernementale étaient des mineurs. Et la situation ne s’est pas améliorée depuis. Selon un autre document, publié celui-là par les Nations unies en 2009, des garçons sont enrôlés par l’armée dans des gares ou à des arrêts de bus. L’armée a même " ciblé les jeunes novices des monastères pour son recrutement ", estime le rapport. Et des orphelins ou enfants de familles pauvres livrés à eux-mêmes sont régulièrement raflés et conduits dans des camps d’entraînement.

Les guérillas aussi

Le comportement de beaucoup de guérillas n’est guère différent de celui de l’armée. Ainsi, l’Armée unie de l’Etat de Wa (USWA), un ancien groupe rebelle de 20 000 hommes qui a signé un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement en 1989, exige que chaque famille qui vit dans la zone qu’il contrôle, à l’est du pays, lui livre un fils. Cette guérilla, basée principalement sur la frontière entre la Birmanie et la Chine, est très impliquée dans le trafic de drogue qui sévit dans ce Triangle d’Or. L’héroïne et les amphétamines sont fabriquées dans des laboratoires clandestins au sein de sa zone d’opération. Laboratoires qui sont souvent gardés par des enfants-soldats lourdement armés. L’USWA ne se bat pas contre le gouvernement. En revanche, elle a pris part à d’importantes batailles contre l’Armée de l’Etat shan, un groupe du nord-est du pays qui n’a pas conclu de cessez-le-feu avec le gouvernement. Des enfants de 12 ans sont envoyés sur le front où ils sont victimes des tirs et des mines antipersonnel.

Des observateurs qui se sont rendus à la frontière entre la Thaïlande et la Birmanie ont raconté qu’ils avaient vu des enfants du même âge dans les rangs de l’armée de l’Union nationale karen (KNU), qui n’a pas conclu d’accord de cessez-le-feu avec le pouvoir birman, ainsi que dans d’autres guérillas à base ethnique.

Les déserteurs de l’armée birmane, des enfants pour la plupart, vivent dans des camps de réfugiés du côté thaïlandais de la frontière, où ils se mêlent aux réfugiés karens ou à d’autres groupes - en essayant de ne pas dévoiler qu’ils appartiennent à la majorité ethnique birmane et non à l’une des minorités auxquelles les programmes d’aide sont réservés. Ceux parmi les jeunes déserteurs qui sont accueillis dans l’un des refuges informels tenus par de petits groupes locaux comme SAW y reçoivent un peu de soutien psychologique, un embryon de formation professionnelle, puis ils partent chercher du travail sur les chantiers de construction ou dans les usines de Thaïlande. S’ils ont de la chance, ils réussissent à partir en Europe, en Australie ou en Amérique du Nord pour tenter d’y refaire leur vie.

La question des déserteurs de l’armée, quel que soit leur âge, est une question très sensible en Thaïlande. La junte militaire birmane a fait pression sur les autorités de Bangkok afin qu’elles n’autorisent pas les agences des Nations unies ou les ONG à traiter avec les groupes armés sur la frontière. Les Thaïlandais ont transmis l’information aux organisations humanitaires, mais en privé, ils leur ont fait savoir qu’elles pouvaient faire ce qui leur semblait nécessaire tant qu’elles restaient discrètes et qu’elles ne faisaient pas de publicité sur leurs actions. Malgré cette autorisation voilée, les agences des Nations unies ont préféré se tenir à l’écart de toute activité. Un coordinateur local a même été muté hors de Thaïlande par l’une d’elles pour avoir tenté de porter assistance à des mineurs qui avaient déserté de l’armée birmane.

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