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Madagascar : Laure, volontaire, partie pour changer de regard

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A Antananarivo, les salaires des cadres sont trop élevés pour que l'association de développement CDA puisse recruter localement. Laure, jeune diplômée française, cherchait une expérience à l'étranger . Portrait d'une volontaire sur la Grande Île.

Tout juste titulaire d’un master 2 de développement social urbain, Laure Pasquier souhaitait " vivre une expérience à l’étranger ". Ses seules conditions : occuper un poste en lien avec sa formation et ne pas être envoyée dans un pays à risque. Cette deuxième requête n’a pas été vraiment satisfaite, puisque la jeune femme de 26 ans vit depuis février à Antananarivo, la capitale malgache, épicentre de la crise politique sévissant depuis le début de 2009, qui se traduit par une recrudescence du banditisme et des fusillades ponctuelles.

Zoom Paroles de volontaire : une mission passionnante en Haïti

Christiane Syallo, 31 ans

Nutritionniste, Christiane a d’abord pris la mesure de la sous-alimentation en Haïti en enquêtant pour Action contre la faim, en 2008. Elle est ensuite partie via France Volontaires, pour une mission de deux ans à la faculté d’agronomie de Port-au-Prince : " Je donnais des cours de nutrition à onze étudiants, réceptifs et motivés. " Elle relève un paradoxe : " Les agronomes haïtiens existent, mais vivent en exil en Amérique du Nord. " Le séisme du 12 janvier a mis fin à sa mission. " Depuis, j’ai reçu de nombreux e-mails des étudiants. Ils me demandent de revenir ", confie Christiane, un brin d’émotion dans la voix.

Les conséquences de l’instabilité du pays, Laure les perçoit avant tout à travers son travail au Centre de développement d’Andohatapenaka (CDA), une ONG malgache intervenant dans plusieurs quartiers défavorisés de la capitale. La cellule de recherche et développement, dont elle est responsable, a notamment pour tâche d’orienter les personnes du quartier en matière de formation et d’emploi. Créé en 1987 par un missionnaire jésuite, le CDA est incontournable dans le quartier populaire d’Andohatapenaka et ses environs, avec ses dispensaires, son centre de formation professionnelle dont sortent 120 à 150 stagiaires par an, l’appui à la scolarisation de 800 enfants, le microcrédit finançant 70 nouveaux projets par mois...

préparée à la réalité du terrain

C’est en 2004, à l’occasion d’une évaluation générale de ce qui était alors une simple association, qu’est ressorti le besoin d’une capitalisation des activités entreprises, d’évaluation et de recherche. " Vu le profil exigé, il s’est avéré difficile de recruter localement : les prétentions des candidats étaient trois à quatre fois supérieures au salaire du directeur ", explique Daniel Anaclet, responsable du CDA. Les partenaires étrangers de l’ONG malgache (Développement et paix, le Secours catholique, le CCFD, Enfance et Partage) voient mal comment inscrire une telle fonction de recherche et développement dans les projets qu’ils financent, mais le Secours catholique propose de contacter la Délégation catholique pour la coopération (DCC), qui envoie une première volontaire en 2005. " Au début, se souvient Daniel Anaclet, il y avait un peu de méfiance de la part des salariés du CDA, qui craignaient que la volontaire ne soit l’oeil de Moscou ! Et il y a naturellement une résistance au changement quand la cellule de recherche et développement se manifeste auprès d’un service avec une proposition d’amélioration. C’est elle qui a eu l’idée de la professionnalisation. "

Aujourd’hui, le bilan est positif et Laure est la cinquième titulaire du poste, qui n’a connu qu’un seul échec - une volontaire qui a " craqué " face à l’omniprésence d’une pauvreté abrupte. Laure, qui n’avait jusque-là pour expérience à l’étranger qu’un séjour Erasmus à Cambridge, a le sentiment d’avoir été " bien préparée " par la DCC aux réalités qui l’attendaient. La misère ambiante n’en est pas moins oppressante, d’autant plus que la volontaire loge dans l’enceinte de l’ONG. " A peine sorti dans la rue, on croise des enfants peu vêtus en dépit du froid, remarque la jeune femme. Et toute la journée, on voit défiler au CDA des gens qui n’ont pas de quoi manger, pas de quoi se soigner... "

échange avec les prédécesseurs

Suivant les conseils qui lui avaient été prodigués avant son départ, la jeune femme avait programmé une semaine de " break " sur l’île de la Réunion voisine au bout de son quatrième mois de travail. Pour le reste, " je savais que la vie serait différente, que je ne sortirais pas tous les soirs, dit-elle. Cela fait du bien de vivre plus simplement, d’acheter autrement, de s’offrir des petits plaisirs. " Laure touche 200 euros par mois, auxquels s’ajoutent 150 euros virés sur un compte en France. Elle a accès à internet à volonté et apprécie de pouvoir échanger avec d’autres volontaires, notamment l’une de ses prédécesseurs, restée à " Tana " depuis quatre ans.

Seule étrangère parmi la centaine de personnes travaillant au CDA, Laure ne se voit en rien comme une caution destinée à rassurer les bailleurs de fonds. Sa présence n’a jamais été mise en avant auprès d’eux par l’ONG. En revanche, elle a constaté que son statut de vazaha (" blanche ", " étrangère ") pouvait être un atout auprès d’interlocuteurs locaux. " Quand le patron (français) du Café de la gare, le plus branché de la ville, dialogue avec moi en vue d’embaucher des gens formés au CDA, il sait que je comprends ses critères. " Pour le reste, " on me demande mon avis comme à tous les chefs de cellule ", note Laure, qui constate que la " réunionite " n’est pas une exclusivité française ! Son regard extérieur a fait ressortir au CDA " de bonnes compétences mais un manque d’organisation et de rigueur dans certains domaines ". Ce qu’elle aimerait obtenir à l’issue de son mandat (un an renouvelable) : un tuilage, dont elle a ressenti le manque à son arrivée alors que son poste était resté vacant durant six mois.

Zoom Regard croisé : répondre aux vrais besoins

Embaucher un volontaire expatrié nuit-il à l’emploi d’un professionnel local ? Ce risque est à apprécier en fonction du contexte. Dans un pays très pauvre, comme le Niger, même si beaucoup de diplômés sont au chômage, les compétences existent moins qu’on ne le pense. Dans les services publics, le nombre de cadres est d’autant plus faible que les cerveaux fuient vers les ONG et les institutions de développement - à l’intérieur du pays comme à l’étranger. Du coup, l’ascenseur social est fou : une personne de niveau bac+3 ou 4 peut passer en trois ans chef de service dans un ministère, là où en Europe on demande vingt ans d’expérience.

Les bailleurs de fonds, et en particulier la France dans le cas du Niger, ont par ailleurs supprimé la coopération technique dite de substitution : les enseignants, les médecins, tous ceux qui exerçaient des missions de premier rang. Il ne subsiste grosso modo que des experts auprès des ministres. Ce mouvement est allé trop loin. Car disposer de bons techniciens sur place reste dans bien des cas extrêmement précieux pour former des locaux in situ. Les meilleurs gynécologues du Niger ont été formés en conditions réelles, là où ils exerçaient, par deux ou trois gynécologues expatriés. Cela n’existe plus. Enchaînant alors les stages à l’extérieur, les futurs médecins nigériens ne peuvent appliquer ce qu’ils ont appris, quand ils se retrouvent sur leur terrain. Des formations sur le lieu de travail par des expatriés très qualifiés, sur des durées qui peuvent être assez longues, restent donc utiles dans un certain nombre de cas, pour un certain nombre de métiers. Mais ce n’est pas n’importe quel expatrié qui peut répondre à ce type de besoin. Et tandis que les agences publiques de développement ont malheureusement totalement abandonné cette coopération technique qualifiante, les ONG qui envoient des volontaires ne me paraissent pas en mesure de répondre à cette demande. Au Niger, la formation de professionnels compétents est un enjeu énorme."

Après un apprentissage à la mairie de Nantes, Laure Pasquier envisageait de travailler dans le domaine de l’habitat social. Sans encore penser au retour en France, elle s’avoue " très contente du poste " qui lui échoit au CDA. Et elle envisage avec curiosité le " changement de regard " sur les réalités sociales de son pays que lui aura procuré l’expérience malgache.

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