Négociations climatiques : tirez les premiers, messieurs les développés

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Pour les quatre grands du Sud, c'est aux pays développés de réduire les émissions de gaz à effet de serre et non à eux d'hypothéquer leur croissance économique, au détriment des populations.

L’apparition d’une coalition de grands pays émergents est récente dans les négociations climatiques internationales. Le groupe Basic (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) est né à la conférence de Copenhague en 2009 pour bloquer un projet d’accord élaboré par les pays industrialisés. Et de fait, le document final a été rédigé par les Etats-Unis et ces quatre pays, tandis que l’Union européenne (UE) se retrouvait sur la touche. Si, à l’avenir, l’UE veut parvenir à un accord plus ambitieux en matière climatique, et pour cela trouver des alliés dans le groupe du Basic, elle doit avoir une claire compréhension de leurs intérêts respectifs et de leur cohésion.

Les quatre pays du Basic sont responsables de près de 30 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, mais leurs parts respectives sont très variables : la Chine est de loin le premier émetteur, avec près de 20 % des émissions mondiales en 2005, suivie par l’Inde (près de 5 %) et le Brésil (près de 3 %). L’Afrique du Sud contribue à 1 % à peu près des émissions mondiales. En revanche, avec 7,2 tonnes, ses émissions par habitant sont très supérieures à la moyenne mondiale (4,3), alors que celles de la Chine se situent dans cette moyenne et celles du Brésil (1,9) et de l’Inde (1,1) sont plus faibles. Leur consommation énergétique étant largement fondée sur le charbon, la Chine et l’Afrique du Sud font partie des vingt économies ayant la plus forte intensité en carbone. A l’inverse, le Brésil, qui s’appuie surtout sur l’hydroélectricité, appartient aux pays qui ont la plus faible intensité en carbone par unité de produit intérieur brut. La perspective change si l’on prend en compte les changements d’usage de la terre et la question des forêts. En effet, le Brésil connaît une déforestation rapide de l’Amazonie qui réduit sa capacité à stocker du gaz carbonique. Et cela contribue à 66 % de ses émissions. Par contraste, les émissions résultant de ce type de phénomènes sont mineures en Chine, en Inde et en Afrique du Sud.

Les intérêts économiques et les orientations en matière de politique étrangère diffèrent aussi d’un Basic à l’autre. Ce qui se traduit par des divergences d’appréciation sur la forme que devrait prendre un futur accord sur le climat. Le Brésil a joué traditionnellement un rôle important dans la diplomatie climatique internationale et il accueillera en 2012 le sommet des Nations unies marquant le vingtième anniversaire de celui de Rio en 1992, ce qui accentue ce positionnement. Il devrait être par ailleurs l’un des principaux bénéficiaires des flux financiers découlant du mécanisme " Redd plus " (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) lorsque celui-ci entrera en application. Les progrès des négociations dans ce domaine sont pour lui particulièrement importants, à l’inverse des autres pays.

La Chine, l’Inde et le Brésil ont tiré grand profit des transferts de technologie dont ils ont bénéficié dans le cadre d’un autre mécanisme, en vigueur lui, le mécanisme de développement propre (MDP). 80 % des réductions d’émissions obtenues dans le monde grâce au MDP ont été réalisées par ces trois pays qui sont favorables à sa reconduction dans sa forme actuelle. L’Afrique du Sud, de son côté, demande que le bénéfice du MDP soit mieux réparti entre les continents. Par ailleurs, Pretoria, qui entend représenter l’Afrique, continuera à réclamer que les pays pauvres qui sont très faibles émetteurs de gaz à effet de serre reçoivent des compensations pour s’adapter à ses effets. L’Inde, elle, a traditionnellement mis l’accent sur les difficultés d’accès des populations pauvres à l’énergie et sur sa forte dépendance envers les importations d’hydrocarbures. Elle est donc très intéressée par la promotion des énergies renouvelables. Quant à la position chinoise dans les négociations climatiques internationales, elle est surtout déterminée par la position des Etats-Unis, deuxième plus grand émetteur après Pékin, les deux pays s’accusant de ne pas faire d’efforts suffisants dans le domaine climatique. Pour le gouvernement chinois, le développement économique est vital pour maintenir la stabilité sociale et politique du pays, mais il a intensifié ses efforts pour rendre la croissance plus économe en énergie.

En dépit de ces différences, les quatre Basic partagent un substrat commun dans les négociations climatiques. Ils se pensent comme des membres du groupe des pays en développement, lesquels n’ont pas été soumis à des engagements contraignants par le protocole de Kyoto qui expire en 2012. Et les Basic veulent renforcer l’unité du groupe des 77 qui, aux Nations unies, défend les intérêts des pays en développement. Ils considèrent que l’ONU est le seul cadre légitime pour les négociations climatiques, et pas d’autres instances comme le G20. Ils insistent sur le principe des " responsabilités communes mais différenciées " des Etats inscrit dans la Convention cadre des Nations unies sur les changements climatiques (1992), soulignant le droit des pays du Sud au développement économique pour combattre la pauvreté. Tout engagement contraignant de réduction du niveau absolu de leurs émissions de gaz à effet de serre est vu comme une entrave à la croissance économique, et donc exclu pour les Basic. Il revient selon eux aux pays développés responsables de l’essentiel des émissions accumulées dans l’atmosphère de réduire le niveau de leurs propres émissions. Les quatre Basic attendent donc du sommet de Cancún en ce mois de décembre 2010 qu’il prépare le terrain pour des engagements contraignants qui seraient décidés lors de la conférence de fin 2011 en Afrique du Sud. Deux aspects sont essentiels, à leurs yeux, pour progresser à Cancún : le démarrage rapide de financements correspondants aux engagements souscrits par les pays développés en 2009 et l’établissement de " mécanismes effectifs " (sans précision) pour des transferts de technologie vers les pays en développement.

Quelles sont les conséquences pour les négociations à venir ? Les quatre Basic travailleront de manière pragmatique, formant un bloc capable d’opposer un veto lorsque les priorités des pays en développement sembleront menacées. Et ils s’opposeront avec détermination à tout éclatement du groupe des 77, où les positions chinoises sont parfois contestées. Pour autant, les intérêts des quatre pays sont différents dans certains domaines. Sur des sujets tels que les approches par secteur, l’Union européenne peut trouver des alliés en leur sein. Le Brésil en particulier est intéressé par la protection de la forêt et, aussi, par la réforme des institutions de gouvernance internationales, comme le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue). De son côté, la Chine, qui a mis sur pied d’importants programmes de promotion des énergies renouvelables, est un partenaire potentiel important pour une coopération dans ce domaine. Et si l’Inde a besoin du groupe Basic pour ne pas se trouver isolée sur la scène internationale, elle accepterait aussi les offres de l’Union en la matière. Enfin, Pretoria est un interlocuteur de poids pour traiter du changement climatique à l’échelle du continent africain. Même si Basic est une coalition qui vise à défendre certains sujets particuliers dans les négociations climatiques, son existence n’empêche pas chacun de ses membres de prendre des engagements bilatéraux avec l’UE et ses Etats membres.

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