Éditorial

L’islamisme au défi de la démocratie

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Par Yann Mens

Ni fatalisme, ni fanatisme. Les révolutions tunisienne, égyptienne et d’autres peut-être qui viendront après l’écriture de ces lignes, ont montré que les clichés culturalistes qu’on nous rabâche depuis des années sur le monde arabe sont faux et absurdes. Les populations du Maghreb et du Machrek ne sont ni résignées, ni passives, ni envoûtées par les hommes à poigne, comme le voudraient des chromos coloniaux toujours vivaces. Pas plus qu’elles ne sont mécaniquement vouées au radicalisme islamique, comme le prétendent des clichés plus contemporains destinés à légitimer l’interdiction de toute liberté politique. Place Tahrir ou avenue Habib-Bourguiba, des manifestants de tous horizons idéologiques, que leurs propres sociétés n’avaient pas vus venir, ont mis à bas sans violence des dictatures. Espérons que si d’autres soulèvements prennent de l’ampleur, ils puissent rester aussi pacifiques.

Bien sûr, la fin de la dictature n’est qu’un début. Bien sûr, la belle unité des soulèvements cèdera la place aux conflits d’intérêt. Bien sûr, des responsables de l’ancien régime feront partie du nouveau. Et oui, bien sûr, les sociétés arabes sont travaillées au corps par des courants qui mêlent le politique et le religieux. Comment s’en étonner quand les potentats locaux ont, avec les encouragements de leurs parrains occidentaux, choyé les mouvements islamistes pour faire barrage au communisme durant la guerre froide, puis tenté de les mater quand ils n’en avaient plus l’usage, mais que leur voix commençait à porter fort sur fond d’exaspération sociale ?

Pas plus qu’ailleurs cependant, la politique arabe n’est un éternel recommencement, surtout dans des sociétés où le niveau d’éducation, celui des filles notamment, a fait de considérables progrès. L’Egypte et la Tunisie de 2011 ne sont pas l’Algérie de 1992 dont le coup d’Etat militaire reste une phobie pour les islamistes arabes. Peu à peu, ces derniers, ou au moins certains d’entre eux (lire p. 12 et s.), ont appris, dans les interstices d’expression des régimes autoritaires, dans les scrutins sous contrôle que ces derniers organisent parfois, à participer au jeu politique autrement que sur le mode de l’incantation, à confronter leurs arguments avec des acteurs d’autres horizons, à s’adresser à des électeurs qui ne sont pas de leur camp. Ont-ils renoncé à mêler la religion au politique ? Non. Sont-ils prêts, et jusqu’où, à en négocier le dosage avec ceux qui ont manifesté à leurs côtés pour renverser les tyrans ? C’est l’un des principaux défis que devra affronter le nouveau monde arabe qui naît devant nous.