Géopolitique

La France, nouvelle terre de missions

4 min

Le réseau de transport et la disponiblité de friches industrielles en Seine-Saint-Denis y ont attiré une forte proportion des lieux de cultes évangéliques de France. Ces communautés autonomes s'intègrent désormais à de plus grandes structures, pour gagner en visibilité.

Chaque année au printemps, des communautés évangéliques et pentecôtistes franciliennes organisent dans les rues de Paris une Marche pour Jésus. Cette " Christian Pride " est l’occasion pour plusieurs milliers de chrétiens de témoigner de leur foi par la musique et par les chants, et d’interpeller les passants, plutôt amusés, par cette visibilité chrétienne peu ordinaire dans un pays laïc. Nombre des chrétiens présents appartiennent à des Eglises issues de l’immigration : latino-américaines, africaines ou afro-caribéennes.

Trois organisations principales

La présence de ces Eglises en France n’est pas toute récente, puisque dès 1974, une communauté rattachée à l’Eglise du christianisme céleste 1 fondée en 1947 à Porto-Novo (Bénin), s’installe en région parisienne. Néanmoins, les créations d’Eglises connaissent une accélération à partir de la seconde moitié des années 1980, et surtout dans les années 1990, les flux migratoires se réorientant en provenance d’Afrique subsaharienne. Ces Eglises se concentrent logiquement là où sont localisées les populations d’origine africaine, à savoir dans les grandes agglomérations et tout particulièrement en Ile-de-France. En termes numériques, l’historien Sébastien Fath estimait en 2005 que les communautés africaines et afro-caribéennes regroupaient un peu moins de 40 000 personnes, mais l’absence d’une structure institutionnelle unique rend périlleuse toute estimation.

On assiste aujourd’hui à un processus d’intégration de ces communautés dans les structures protestantes françaises, principalement la Fédération protestante de France et le tout nouveau Conseil national des évangéliques de France. Plusieurs organisations ont en outre vu le jour au sein des chrétiens issus d’Afrique et du bassin caribéen - plusieurs, afin d’offrir une meilleure visibilité institutionnelle aux communautés et de jouer un rôle de plate-forme d’échange entre elles. La carte ci-contre montre la répartition, dans le département de Seine-Saint-Denis, des communautés appartenant à trois organisations : la Communauté des Eglises évangéliques d’expressions africaines de France (CEAF), l’Entente et coordination des oeuvres chrétiennes (ECOC) et l’Union des Eglises évangéliques haïtiennes et afro-caribéennes de France (UEEHACF), toutes trois de sensibilité pentecôtiste. En 2010, ces trois organisations regroupaient 132 assemblées locales, dont 102 en Ile-de-France, et 50 dans le seul département de Seine-Saint-Denis.

La Seine-Saint-Denis concentre les cultes de l’Ile-de-France

Lieux financés par les fidèles

Cette concentration en Seine-Saint-Denis est-elle liée à celle des populations d’origine africaine ? S’il existe à coup sûr un lien entre ces deux variables, il ne faut pas le surestimer. Notre travail de recherche conduit auprès d’Eglises africaines a montré que les fidèles se rendant dans des lieux de culte de Seine-Saint-Denis sont loin d’être tous résidents de ce département, mais proviennent de l’ensemble de la région francilienne. En fait, la densité des lieux de culte dans le département résulte de ses avantages comparatifs : un réseau de transport particulièrement dense, facilitant la venue des fidèles, et surtout l’existence d’une réserve foncière et immobilière pouvant être facilement reconvertie en lieux de culte. Le religieux se loge là où on ne l’attend pas : dans des ateliers désaffectés, des bureaux, des entrepôts. L’accès à ces locaux exige de la part des communautés un effort financier important, presque toujours assumé par les fidèles qui sont invités à verser la dîme 2 à l’Eglise.

Les municipalités ne voient pas toujours d’un bon oeil la multiplication des espaces cultuels sur leur commune, notamment parce que les associations cultuelles sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés bâties. Les élus s’inquiètent de l’apparition de groupes dont ils ne savent rien et qui ne sont pas forcément connus des services techniques des mairies, tandis que les membres des communautés religieuses interprètent les processus de régulation comme des formes d’entrave à leur mission d’évangélisation. En 2005, le député-maire de Montreuil Jean-Pierre Brard fit irruption lors d’un culte d’une Eglise africaine afin de contrôler la conformité des locaux avec les normes de sécurité. Pour les responsables de l’Eglise, cette intervention de l’élu allait contre leur liberté de culte et les questions de sécurité ne constituaient qu’un prétexte 3.

  • 1. L’ECC est une Eglise dite " prophétique " car son fondateur, Samuel Oschoffa, se disait lui-même " prophète ".
  • 2. Il s’agit d’1/10e des revenus du foyer. Cette pratique a des justifications bibliques et comprend donc une dimension religieuse.
  • 3. Suite à cette affaire, un procès a opposé Jean-Pierre Brard et la Fédération Protestante de France. Un non-lieu a été confirmé en juillet 2010.

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