Diplomatie : ambitions à la baisse

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La France, qui n'a plus les moyens d'être partout, cherche à acquérir une influence dans les enceintes internationales et a besoin pour cela de ses partenaires européens alors même que le projet communautaire se heurte au scepticisme de son opinion.

D’Abidjan à Washington, l’année 2011 s’est ouverte sur une note de réalisme en ce qui concerne la place de la France dans le monde, confirmant les grandes tendances qui ont caractérisé sa politique extérieure depuis une décennie au moins. En Côte d’Ivoire, la France n’a pu faire grand-chose pour influencer, et moins encore résoudre, la crise qui a suivi l’élection présidentielle du 28 novembre. Bien qu’elle ait sur place un grand nombre de ressortissants et de militaires, que les deux présidents rivaux, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, aient des partisans dans l’Hexagone, Paris n’a pas été tenté d’intervenir directement sous une forme ou sous une autre. Personne, il est vrai, n’a requis ses services fût-ce comme intermédiaire, et a fortiori comme gendarme de la communauté internationale. Hors l’appel lancé par Nicolas Sarkozy à Laurent Gbagbo pour qu’il démissionne, la France n’a pas été encline à donner des leçons à Abidjan.

Si la fin de la " Françafrique " est un objectif affiché par les présidents français depuis François Mitterrand, elle paraît désormais se concrétiser. Comme l’a confirmé la récente révolution en Tunisie, la France doit désormais gagner le droit de parler - en anglais si nécessaire - au sud comme au nord du Sahara, et surtout dans ses anciennes colonies. Elle doit aussi s’y battre pour ses parts de marché. Et de plus en plus, il lui faut justifier sa présence militaire sur le continent africain en intégrant ses forces dans des missions multinationales de maintien de la paix.

Sarkozy, homme de crise

De même, la visite de Nicolas Sarkozy à Barack Obama au début de janvier n’a pas témoigné d’une quelconque relation spéciale entre la France et les Etats-Unis mais simplement du fait que Paris assume, pour un an et en vertu d’une règle automatique, la présidence du G20 (et du G8), à un moment critique pour la stabilité économique de la planète. Dans ce cadre, le travail de la France en 2011 sera d’emmener ses partenaires des quatre coins du monde vers des accords concernant des sujets aussi délicats que la stabilité des marchés de devises et de matières premières, la réforme des instruments de gestion de l’économie mondiale, la croissance durable, le développement de l’Afrique et la régulation d’internet (lire p. 46).

Le président français semble se saisir de cette opportunité avec un enthousiasme comparable à celui dont il avait fait preuve lors de la présidence française du Conseil de l’Union européenne (de juillet à décembre 2008). La France avait alors, dans l’ensemble, réussi à entraîner ses partenaires vers la mise en oeuvre des objectifs que l’UE s’était fixés pour le semestre, en particulier dans le domaine de la politique climatique. Et le goût de Nicolas Sarkozy pour les feux de la rampe avait favorisé la résolution des crises dangereuses qui avaient surgi, en Géorgie d’abord à la suite de l’intervention russe, sur les marchés financiers internationaux ensuite. Mais il y a une différence entre la gestion de crise et le leadership politique ou la capacité à bâtir des consensus.

Hors opérations internationales, les forces armées françaises sont surtout stationnées en Afrique

De fait, pour ce qui concerne le G20 du moins, les diplomates français ont veillé jusqu’ici à bien prendre en compte les membres les plus importants du forum, dont la Chine, qu’ils ont invités à mettre des idées sur la table. Plus globalement, la France cherche à acquérir une influence durable dans de nombreuses enceintes internationales (UE, G20/G8, Nations unies, Otan) et en a fait une des priorités de sa politique étrangère depuis qu’elle a perdu la position relativement confortable dont elle bénéficiait durant la guerre froide. A l’époque, l’Allemagne était divisée et Paris pouvait afficher une politique étrangère indépendante, au moins sur le papier, sur fond de rhétorique gaulliste exaltant la " grandeur " de la France.

Le deuxième contributeur au budget de l’Union européenne

Elle déplace ses pions

Pour exercer une influence dans le monde d’aujourd’hui qui a vu la réémergence des grandes puissances régionales (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine...) au côté des visages plus familiers mais toujours obsédants des Etats-Unis et de la Russie, la France a besoin de ses amis, au sein de l’Union, et tout spécialement de l’Allemagne et du Royaume-Uni. Mais pour cela, Paris doit apprendre à travailler efficacement dans les environnements multinationaux où il garde souvent l’image d’une diplomatie arrogante, notamment.

Ces défis ont conduit la France à réévaluer ses ressources, ses capacités et ses priorités pour aborder le monde comme il est, particulièrement en matière de défense et de sécurité. Certes, les différentes analyses qui ont été réalisées à cette occasion n’ont pas toutes conforté les thèses du " déclin ", lesquelles dressent le portrait d’une France qui ne serait plus que l’ombre honteuse de son passé glorieux. Mais la plupart d’entre elles, y compris celles qui ont été élaborées dans les cercles officiels, sont pour l’essentiel critiques 1.

De ce fait, des budgets ont été réduits, des ressources rationalisées, des procédures revues et les priorités de la France dans le monde ont changé. Elle a ainsi ouvert en 2009 une nouvelle base militaire dans les Emirats arabes unis, avant de réduire l’année suivante sa présence militaire ancienne au Sénégal. De même, en 2009, le président Sarkozy a poussé à la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’Otan, basé en Belgique. Il estimait qu’une telle décision permettrait de mieux mettre en cohérence les contributions - très significatives - de Paris aux opérations de maintien de la paix dirigées par l’Otan dans le monde, et en Afghanistan notamment. Et les troupes françaises présentes en Afrique agissent désormais de plus en plus souvent sous mandat de l’ONU, comme en Côte d’Ivoire.

De manière plus significative, la France poursuit sa vieille ambition de renforcer la défense européenne en favorisant la coordination des efforts des Etats membres dans ce domaine, au moins sur le plan bilatéral. Ainsi, en 2010, la brigade militaire franco-allemande créée en 1989 a vu pour la première fois un bataillon allemand stationner dans l’Hexagone. De même, Paris et Londres ont signé en novembre 2010 deux traités de défense qui s’étendent jusqu’à la coopération nucléaire. Pour orienter tous ces efforts, la France a publié deux livres blancs depuis 2008 : l’un sur la défense et la sécurité nationale, l’autre sur la politique étrangère et européenne. Ils fixent des objectifs de réduction et de concentration des ressources, notamment la diminution progressive d’un cinquième des effectifs des armées, la réorganisation du Quai d’Orsay, et la rationalisation du réseau culturel français. L’objectif est de conserver une présence universelle de la France, mais essentiellement à travers son action au sein de l’Union européenne et à moindre coût.

2011 : l’occasion de se rattraper ?

Des voix critiques estiment que tout cela ne constitue pas une doctrine politique cohérente et lisible, ce qui nuit à l’influence de la France. Qu’en outre, certains traits actuels de son fonctionnement démocratique compromettent l’image du pays à l’étranger, et partant son rayonnement. Le président Sarkozy lui-même est réputé pour ses déclarations fracassantes, concernant " l’homme africain " par exemple, ou pour ses éclats devant la presse. De même, il peine à gérer la relation franco-allemande. D’autres événements, de politique intérieure, hypothèquent la prétention de la France à jouer un rôle dirigeant dans la régulation des affaires du monde. Les " affaires " concernant le financement illégal de partis politiques touchent les sommets de l’Etat et jusqu’au président, donnant l’impression d’une véritable irresponsabilité institutionnelle. L’opposition, de son côté, est divisée, et dans le cas du Parti socialiste, en plein désarroi idéologique. La politisation de la question migratoire s’est traduite par des décisions aussi radicales que le renvoi, en Roumanie notamment, de familles roms au cours de l’été 2010, ce qui a valu à la France d’être qualifiée de " mauvais " Etat membre de l’Union. Ces différents développements ont incité un organisme comme l’Economist Intelligence Unit britannique, à dégrader la note de la France, qualifiée désor-mais de " démocratie défectueuse " 2.

Par ailleurs, si certaines batailles menées par la France dans le monde ne sont pas encore perdues, elles absorbent beaucoup d’énergie politique pour peu de gain : ainsi, par exemple, du combat - défendu en termes vigoureux par le président Sarkozy -pour promouvoir l’usage mondial de la langue française, alors même qu’il est patent que le français est de moins en moins une langue de travail viable dans les enceintes européennes (même la brigade franco-allemande utilise l’anglais pour ses opérations). Enfin, le projet européen dans son ensemble a perdu une large part de son soutien dans l’opinion publique, perte incarnée par le vote négatif lors du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel.

Depuis cette date, la France a utilisé sa présidence de l’Union en 2008, et maintenant celle des G20 et G8, pour fixer ses priorités internationales de court terme. Elles se concentrent sur la mise en place d’une régulation globale afin de " protéger " la France et l’Europe contre les dangers du changement climatique et des marchés de capitaux " sans morale ", contre des menaces sécuritaires comme les ambitions nucléaires de l’Iran, et contre la perspective de plus fortes vagues migratoires à destination de l’Hexagone et d’autres pays de l’Union. L’année 2011 offre à la France une chance de présenter un bilan cohérent de son action à l’étranger dans la poursuite de ces différents objectifs. Rien n’est moins certain cependant.

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