Economie : la France joue mal ses atouts

7 min

Si ses grandes entreprises sont en pointe dans l'aéronautique, l'agroalimentaire ou l'énergie, le pays néglige ses PME et investit trop peu dans la recherche. Face au dynamisme des émergents, il doit miser sur des synergies en Europe.

Vu de l’extérieur, le comportement de la France semble plutôt frileux vis-à-vis de la mondialisation. Tandis que 56 % des Européens (et 63 % des Allemands) y voient une opportunité pour la croissance, 44 % seulement des Français le pensent, contre 41 % qui sont d’un avis contraire 1. Quand Dominique de Villepin, alors premier ministre, a lancé le slogan du " patriotisme économique " en 2005, nombre d’observateurs étrangers se sont gaussés de la " ligne Maginot pour la France des entreprises " (Financial Times, 3 mars 2006) et de " la grande nation derrière le mur de béton " (Die Welt, 6 avril 2006). Et quand, à l’automne 2010, le gouvernement français, pour garder le monopole d’Alstom, a tenté d’empêcher la société Eurostar de commander des rames de Siemens, il a semblé justifier ces jugements peu flatteurs.

Filières structurantes

Pourquoi cette frilosité, manifeste dans une bonne partie de la classe politique mais aussi du grand public, par rapport à l’ouverture mondiale et à la notion de concurrence ? Comme souvent en France, on constate un hiatus entre les discours et la réalité. Car loin d’être une victime de la mondialisation, l’économie française en est un acteur important et un grand bénéficiaire : la France est la cinquième puissance économique du monde (voir infographie p. 34), le cinquième exportateur et importateur mondial. Elle est le deuxième pays émetteur d’investissements directs étrangers (IDE, voir carte p.39) et le troisième pays d’accueil au niveau mondial.

Comme le constate un rapport qui fait le bilan des Etats généraux de l’industrie lancés fin 2009 par le gouvernement, la France " est avec les Etats-Unis et l’Allemagne un des trois pays qui conservent une forte industrie automobile et une industrie aéronautique puissante ; or, ces deux filières ont un effet structurant sur l’ensemble du tissu industriel. Elle est leader dans le domaine nucléaire et bien placée sur d’autres filières industrielles structurantes comme le bâtiment et les travaux publics, le traitement et la distribution de l’eau et le traitement des déchets, les industries ferroviaires, les industries alimentaires. " 2. Ceci se traduit aussi par la présence de grands champions industriels. Dans le top 500 mondial des grands groupes, on trouve 40 firmes françaises (contre 39 allemandes et 26 britanniques). Bon nombre d’entreprises se trouvent parmi les leaders mondiaux de leur branche, comme Danone (alimentation), Veolia (approvisionnement d’eau), LVMH (produits de luxe), L’Oréal (cosmétique), Alstom (matériel de transport), Decaux (publicité et armature urbaine) et bien d’autres.

Les douze premiers PIB, en milliards de dollars, en 2009

A l’instar des groupes du CAC 40, dont 39,2 % du capital est détenu par des investisseurs étrangers et qui sont de véritables global players (acteurs de niveau mondial), les grandes entreprises sont fortement ouvertes vers le monde, mais aussi présentes sur les marchés mondiaux. Ainsi, dans l’automobile et les biens d’équipement, plus de la moitié du chiffre d’affaires est réalisée à l’exportation. Bref : la France ne manque pas d’atouts considérables dans l’économie-monde, ni dans la compétitivité de ses entreprises ni dans l’attractivité de son territoire.

Rattrapée par la crise

En ce qui concerne le modèle économique français, objet de maintes critiques internationales mais aussi nationales (on se souvient des discours du candidat Nicolas Sarkozy avant 2007...) en raison de son penchant colbertiste et étatiste, est-il réhabilité par l’expérience de la crise financière internationale ? Oui, au moins partiellement. C’est ainsi que le très libéral hebdomadaire The Economist - qui n’avait jamais raté une occasion de fustiger le côté " ringard " du modèle français - a fait un mea culpa intéressant le 7 mai 2009, en vantant la bonne résistance de l’économie française devant la crise et en décernant un premier prix à la France devant les modèles allemand et britannique. Et le président Sarkozy d’enchaîner que " le monde d’après la crise sera un monde où le message de la France sera mieux entendu et mieux compris. (...) Au moment où le monde redécouvre les limites d’une logique exclusivement marchande (...) le modèle français a de nouveau sa chance. " 3.

Or à l’épreuve des faits, le cocorico sur la-France-qui-résiste-mieux-à-la-crise n’a pas tenu. Il a été rattrapé par une réalité plus grise. L’économie peine à retrouver du souffle et à rejoindre une nouvelle dynamique de la croissance et de l’emploi, alors que l’Allemagne, redevenue la locomotive de l’économie européenne, s’impose de nouveau comme la référence de tous ses partenaires et concurrents.

Au centre des problèmes : le déclin de la compétitivité de l’industrie. La part de marché de la France dans les exportations mondiales a reculé de 5,8 % en 1995 à 3,8 % en 2008 (voir infographie p. 35). Même si une partie de ce recul s’explique par la montée en puissance de nouveaux concurrents (Chine, Inde, Brésil, etc.), il n’en reste pas moins que la France en souffre davantage que ses voisins.La part française dans les exportations de la zone euro a également fléchi de 18 % (1999) à 13 % (2008).

La balance commerciale, après avoir affiché un modeste mais stable excédent au début des années 2000, s’est dégradée ensuite pour devenir négative. Et quand on se compare au voisin (et concurrent) allemand, le résultat a l’air accablant : la dégradation de la balance commerciale française contraste avec un solde allemand qui ne cesse de s’améliorer depuis 1999 ; au déficit français de 21 milliards d’euros correspond un excédent allemand de 274 milliards (chiffres pour 2008, hors industrie agroalimentaire). Quant au poids réciproque des deux pays, le rapport des Etats généraux de l’industrie constate qu’" alors que les exportations françaises de produits manufacturés représentaient en 2000 un montant équivalent à 56 % des exportations allemandes, elles n’en représentent plus en 2008 que 37 %. "

Jouer la carte européenne

Pourquoi la France n’a-t-elle pas saisi la formidable opportunité qu’a représentée l’accélération des échanges et de la croissance mondiale depuis 1999 ? Pourquoi les entreprises françaises ne sont-elles pas davantage capables de profiter des nouveaux marchés des pays émergents ? La clé des faiblesses se trouve dans la structure productive. Les producteurs offrent une gamme de produits trop peu sophistiquée, reposant trop peu sur un effort d’innovation permanent des entreprises, ce qui rend les exportateurs français, plus que d’autres, vulnérables aux variations de prix, donc du cours de l’euro ou de l’évolution des coûts salariaux. Comparativement à l’Allemagne notamment, la part des dépenses de recherche et développement dans le produit intérieur brut a baissé en France, et tout particulièrement dans le secteur privé (voir infographie ci-contre).

Parts des exportations dans le commerce mondial (en %)
Dépenses de R&D des entreprises (en % du PIB)

Ceci renvoie à une faiblesse fondamentale du tissu industriel français : un nombre trop faible de PME indépendantes, notamment d’entreprises moyennes dynamiques à l’exportation ou à forte croissance (surnommées " gazelles "). La politique de modernisation centraliste adoptée par la France pendant les Trente Glorieuses a en effet privilégié les grandes entreprises - privées ou publiques - et délaissé la modernisation du tissu des PME. Or un tel tissu ne se crée pas par décret ni par de grands plans spectaculaires en faveur des petites entreprises, mais exige un " écosystème ", réglementaire notamment, favorable au développement de ce genre d’entreprises. C’est donc une affaire de longue haleine. Plus qu’ailleurs en Europe enfin, l’industrie est en recul, ce qui risque d’entamer la dynamique et le poids international de l’économie française tout entière.

Les exportations et les investissements à l’étranger se font pour l’essentiel dans le cadre de l’Europe communautaire

Certes, quand elle se mesure au voisin allemand, qui joue dans la cour des grands de l’économie mondiale, la France se trouve au second rang. Mais où est le mal ? Plutôt que se fixer sur des hit-parades superficiels, il importe d’assurer un modèle de développement capable de maintenir une certaine dynamique économique et une cohésion sociale. A cet égard, la référence allemande ne doit pas conduire la France à un pessimisme démesuré. Dans la division internationale du travail, chaque pays doit trouver sa voie correspondant à sa trajectoire historique. Comme on l’a vu, la France n’est pas sans avantages.

Enfin, ne faut-il pas plutôt raisonner en termes européens ? Seules, ni la France ni même l’Allemagne ne pèsent lourd. Si elles veulent continuer à avoir une influence sur le cours du monde, elles doivent apprendre à jouer davantage la carte européenne. En admettant une division européenne du travail par exemple dans laquelle chacun a ses forces, l’Allemagne dans la mécanique et la machine-outil notamment, la France dans le nucléaire ou le secteur de l’eau. En utilisant aussi des synergies en termes d’espace européen de la recherche, de grands projets et d’infrastructures trans-europenne. En facilitant la mobilité des chercheurs et des salariés... Raisonner en termes européens, cela vaut d’ailleurs aussi bien pour la présence économique internationale que pour la défense d’un modèle du capitalisme, social et régulateur.

  • 1. Sondage Eurobaromètre, printemps 2010.
  • 2. Etats généraux de l’industrie - rapport final. La Documentation française, janvier 2010, www.industrie.gouv.fr/egi/
  • 3. Nicolas Sarkozy, discours devant le Congrès, 22 juin 2009.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet
Foo Série 3/5
Elections

L’avenir incertain de l’industrie allemande

William Desmonts