Géopolitique : puissance militaire, mais pour que faire ?

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Si Nicolas Sarkozy lui a fait réintégrer l'Otan, la France reste réticente face à une extension du domaine de l'Alliance atlantique et tout aussi méfiante vis-à-vis des volontés affichées par Barack Obama en matière de désarmement nucléaire.

La France vit un drame géopolitique. Elle reste une grande puissance, mais pas aussi grande que les Etats-Unis, ni même que l’Allemagne. Les premiers dirigent l’Amérique du Nord et sont la clé de la stabilité mondiale. La seconde devient peu à peu celle de la stabilité européenne. Paris était le partenaire privilégié de Berlin dans le leadership européen, mais leur relation change. Parce que depuis sa réunification, l’Allemagne est plus grande et plus sûre d’elle, mais aussi parce que les fondamentaux de l’Union européenne dépendent de la politique économique allemande. Il est donc peu probable que Berlin accepte le type de gouvernement économique de l’Union que Paris semble appeler de ses voeux et qui entamerait le pouvoir de l’Allemagne.

Un commandement à l’otan

Les capacités militaires de la France restent un atout mais pas dans le cadre de l’Union. Car l’UE est une puissance civile qui ne s’intéresse pas à la puissance militaire. Les capacités de la France dans ce domaine lui sont beaucoup plus utiles dans sa relation avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni - les deux Etats les mieux dotés en terme de projection de puissance sur la scène mondiale. La France a certes beaucoup investi depuis 1995 dans la professionnalisation de ses armées et leurs capacités de déploiement dans le monde. De fait, elle est aujourd’hui reconnue comme une puissance militaire expéditionnaire d’un niveau presque comparable à celui du Royaume-Uni. Dans la province de la Kapisa, en Afghanistan, un bataillon français se bat aux côtés des Américains. Et la France, qui a réintégré en 2009 le commandement militaire intégré de l’Otan qu’elle avait quitté en 1966, est désormais en charge du Commandement Transformation de l’Alliance, basé aux Etats-Unis.

Il y a donc une tension entre les ambitions européennes de la France et sa volonté de peser dans le cadre transatlantique. Mais il est possible d’établir des ponts et Paris s’y emploie. L’une des façons de le faire consiste à déplacer la focale économique au-delà du cadre européen, en réunissant la France, l’Allemagne, les Etats-Unis et d’autres dans une instance commune appelée à exercer le leadership. C’est le but assigné au G20 que la France préside pour un an. Paris veut ainsi encourager au niveau mondial le type de gouvernance dont elle a besoin au niveau européen pour substituer à la prépondérance allemande un gouvernement économique européen. Une deuxième manière de faire serait d’entraîner l’UE sur le terrain de la puissance militaire, car un tel engagement exigerait le type de capacités dont la France dispose. Cela lui permettrait de compenser la supériorité allemande en matière économique et de conquérir un capital politique qui rentabiliserait son propre investissement militaire.

A reculons en afghanistan

Le succès de cette double entreprise est loin d’être assuré pour Paris cependant. D’abord parce que l’attitude de la France est ambivalente. Est-elle réellement prête à des réformes économiques substantielles qui lui permettraient d’accéder au leadership économique ? La France parle volontiers de gouvernance économique mais en réalité, elle pourrait bien devenir un jour le porte-parole des pays endettés et sclérosés du sud de l’Europe. Il en va de même dans le domaine militaire. La France n’est pas totalement engagée dans la guerre en Afghanistan et dans une certaine mesure ne l’a jamais vraiment été. Elle n’a décidé que tardivement d’y envoyer des troupes de combat. Jusque-là, ses soldats étaient seulement chargés de protéger Kaboul et c’était une mission relativement simple, car les véritables combats se déroulent dans le sud et l’est de l’Afghanistan où les soldats français ne sont arrivés qu’en 2008. Qui plus est, la France n’a jamais vraiment investi, à un niveau stratégique du moins, dans la coopération de type civilo-militaire qui est le leitmotiv de la campagne alliée dans ce pays. Alors que ses partenaires voudraient de longue date rapprocher l’Otan de l’Union européenne notamment, qui a une expertise en matière civile, Paris est réticent face à toute extension du champ d’action de l’Alliance atlantique.

La faiblesse de l’Union est une autre raison qui peut entraver le dessein français, faute notamment de sentiment national européen. Aussi soudée soit-elle, une élite de gouvernants ne sera pas à même d’exiger de vrais sacrifices des peuples européens qui ne sont prêts à verser ni le sang, ni beaucoup d’argent pour l’UE. Ce qui limite l’Europe à un rôle de puissance civile. C’est pourquoi régulièrement certains proposent de former une avant-garde : une coalition de pays volontaires qui pourraient entraîner l’Europe vers de nouveaux horizons sans être liés par le Royaume-Uni, le Danemark et d’autres eurosceptiques. Ce n’est pas une solution de long terme. Car la France devrait de toute façon réformer sa propre économie. Et une avant-garde manquerait de force sur le plan militaire vu le niveau des capacités européennes en la matière. Enfin, tout comme l’Union, il lui manquerait la légitimité qui permettrait d’entraîner à sa suite le reste de l’Europe. Bien sûr, si une telle avant-garde était euro-atlantique, incluant donc les Etats-Unis, la situation serait différente. Mais ce ne serait pas alors " l’Europe à l’européenne " dont la France a rêvé. Ce serait une Europe atlantique, comme celle à laquelle Charles de Gaulle avait opposé son véto dans les années 1960.

Accord avec londres

Les perspectives apparaissent plutôt sombres pour la France. Mais elle n’est pas seule dans ce cas. Le Royaume- Uni est dans une situation assez comparable. Elle n’est pas à même de concurrencer l’Allemagne en terme d’influence au sein de l’UE. Et elle perd son rôle privilégié de pont entre l’Europe et les Etats-Unis. Dans l’avenir, Berlin pourrait traiter plus directement avec Washington. Cela dit, il reste de l’espoir cependant, pour la France comme pour la Grande-Bretagne. En effet, les Etats-Unis savent que l’UE et l’Otan sont toutes deux parties de l’équation européenne et que cela n’aurait donc pas de sens de jouer l’une contre l’autre. Quant à dialoguer ouvertement avec l’Allemagne pour gérer les affaires européennes, cela risquerait de porter un coup fatal à l’Union, dont les Etats-Unis ont besoin pour travailler dans un cadre multilatéral - et donner une légitimité internationale à leurs propres actions.

L’atout que détiennent la France et le Royaume-Uni est avant tout militaire, ce qui explique qu’ils aient conclu un accord de défense en novembre 2010. Les deux pays vont coordonner l’entraînement et le déploiement de leurs porte-avions, mutualiser des moyens dans le transport aérien, s’entraîner pour des opérations expéditionnaires communes, coopérer dans le nucléaire militaire. Cette initiative fait sens, car les deux pays sont en difficulté budgétaire et doivent prouver, aux Etats-Unis notamment, qu’il faut se tourner vers eux pour prendre ensemble les grandes décisions.

La France, l’un des rares pays où les dépenses militaires représentent plus de 1 000 $ par habitant

Leçons opérationnelles

Dans ce contexte, les réformes faites par la France en matière de défense depuis le milieu des années 90 lui sont utiles, avec des limites toutefois. La professionnalisation des armées en 1995-96 a été présentée comme une avancée majeure. Mais cela a surtout consisté à l’époque à mettre fin à la conscription. Et il a fallu sept à huit années de plus pour que la France soit à même de s’engager réellement dans des opérations expéditionnaires. Cette modernisation a permis à la France d’acquérir une expertise et des capacités dont elle avait grand besoin, mais il aurait sans doute été profitable de faire ces reformes dix ans plus tôt. En outre, l’amélioration des capacités expéditionnaires repose de plus en plus sur deux piliers qui posent problème à la France. En premier lieu, elle n’a pas participé à la guerre d’Irak et seulement de manière limitée à celle d’Afghanistan. Et ce second engagement est trop modeste pour qu’elle en tire des leçons opérationnelles à même d’impulser réellement des réformes militaires - à la différence de ce qui s’est passé pour le Royaume-Uni, les Pays-Bas, le Danemark et d’autres pays davantage engagés sur le terrain. Le second pilier concerne la coopération civilo-militaire dans laquelle, comme on l’a dit, Paris ne s’est jamais vraiment impliqué à haut niveau en Afghanistan.

Principaux exportateurs 2004-2008 estimation (moyenne annuelle des livraisons)

En matière nucléaire, la position de la France qui maintient ses moyens de dissuasion est difficilement attaquable : le nombre de ses ogives ne peut guère être réduit et cet arsenal est une ressource de puissance face aux grands acteurs de la scène internationale. Mais avec la vision impulsée par Barack Obama d’un monde débarrassé de telles armes et la forte pression allemande en faveur du désarmement, la France devra intégrer une nouvelle dimension nucléaire dans sa politique étrangère. Il serait dommage cependant que des controverses autour du nucléaire la détournent de la réforme de ses forces conventionnelles.

Montant des contrats (en milliards d’euros sur 2000-2009)

Permettre à la France de conserver une influence dans le nouveau cadre européen et transatlantique exigera des choix ardus en matière économique et militaire. Dans les temps difficiles, il peut être évidemment tentant d’essayer de sortir un lapin de son chapeau. En recourant à une " alliance de revers " modernisée, avec la Russie par exemple. Mais il est prudent d’y résister. Car Moscou sait très bien jouer les Européens contre les autres. Et la France ne serait pas la mieux placée pour tirer profit d’un ébranlement de l’Union.

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