Allemagne : l’exécutif garde un domaine protégé

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En principe, le Parlement peut demander un accès aux documents qu'il pense utile de consulter. Mais la loi reconnaît au gouvernement un domaine où il reste seul juge. En pratique, il peut donc justifier son refus de les communiquer.

Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l’accès à des informations sensibles a été l’objet de multiples affrontements sur la scène politique allemande - à propos de la lutte contre la Fraction armée rouge dans les années 1970, de la gestion des archives de la Stasi après la réunification ou de la coopération récente avec des services de renseignement étrangers en matière d’antiterrorisme.

Le droit administratif allemand réserve le terme de secret d’Etat (Verschlusssache, VS) à des faits, objets ou données dont l’intérêt public exige qu’ils ne soient pas indûment divulgués. Il peut s’agir de documents, de schémas, de cartes, d’installations et même de simples paroles échangées. La loi distingue quatre niveaux de classification. Est " top secret " ce qui pourrait menacer la survie ou les intérêts vitaux de la République fédérale ou d’un des Länder. La qualification de " secret " est appliquée à ce qui peut menacer seulement leur " sécurité ". Celle de " confidentiel " à ce qui peut leur causer un " dommage sévère ". Enfin, ce qui peut leur être désavantageux est considéré comme de " diffusion restreinte ".

Zoom Et en France... qui a accès aux documents classifiés ?

Seuls ceux qui y sont habilités, en raison du poste qu’ils occupent dans l’appareil d’Etat, peuvent accéder à des documents couverts par le secret-défense. Précédée d’une enquête sur la personne concernée, l’habilitation est délivrée pour une durée limitée, soit par le haut fonctionnaire de défense attaché à chaque ministère - pour les niveaux secret et confidentiel -, soit par le Secrétariat général de la défense nationale - pour le niveau très secret. L’habilitation ne suffit pas cependant pour obtenir un accès à des documents classifiés, qui suppose aussi le " besoin d’en connaître ", c’est-à-dire la nécessité de prendre connaissance du document dans l’exercice de ses fonctions, besoin qui est apprécié par l’autorité hiérarchique de la personne habilitée.

La procédure de classification, qui, sauf indication contraire, est valable pour trente ans, ne peut être exécutée que par les plus hauts responsables dans la majorité des ministères fédéraux et des autres agences de l’Etat. Mais les ministères de l’intérieur, de la défense et des affaires étrangères ainsi que la chambre basse du Parlement nomment des officiers de sécurité spécialisés. Avant toute classification, l’institution concernée doit spécifier par écrit la menace précise, le dommage ou le désavantage qu’un défaut de protection pourrait provoquer. En général, seuls quatre domaines sont considérés comme légitimes : la sécurité extérieure du pays, ses relations extérieures, sa sécurité interne et les affaires concernant des parties tierces, des services de renseignement étrangers par exemple, que l’Allemagne s’est engagé à protéger. Une annexe à la loi fournit des exemples pour les quatre niveaux de classification. Ainsi, sont " top secret " les informations collectées par le BND, le service de contre-espionnage. En revanche, ce qui concerne les capacités de guerre cybernétique est seulement secret, tandis que la position allemande dans des négociations internationales est confidentielle. Les rapports concernant les personnels de sécurité sont de diffusion restreinte. L’accès à une information de niveau " confidentiel " ou plus est réservée aux personnes dûment habilitées et qui, de par leurs fonctions, ont " besoin de savoir ". S’y ajoutent des mesures de protection techniques (notification, stockage, etc.).

Dans leur mission de contrôle du pouvoir exécutif, des commissions parlementaires ont souvent mené bataille pour obtenir l’accès à des informations que le gouvernement avait couvertes du secret d’Etat. Ainsi de la commission formée en 2006 pour superviser des activités gouvernementales incluant notamment le BND : des membres issus de l’opposition ont mis en doute les affirmations du gouvernement selon lesquelles l’Allemagne n’avait secrètement contribué ni à la guerre en Irak, ni aux transferts extrajudiciaires de prisonniers par les Etats-Unis. Bien que la commission ait mis au jour le partage d’informations entre services allemands et américains avant et pendant la campagne irakienne, elle s’est souvent heurtée à une obstruction de l’exécutif ou à des manoeuvres dilatoires.

Deux principes constitutionnels s’affrontent, en effet. D’un côté, le gouvernement n’est légitime que dans la mesure où il est contrôlé par le Parlement. En principe, " il ne peut y avoir d’information qui soit trop secrète pour que le Parlement ne puisse en connaître ", selon l’expression du professeur Martin Schulte. Mais en vertu des principes de gouvernance en matière de sécurité, le pouvoir exécutif a, en Allemagne, le droit de protéger ses sources et détient " un domaine central de responsabilité gouvernementale exclusive ", au-delà de tout contrôle parlementaire. En pratique, l’ordonnance de protection du secret adoptée par le Parlement donne à l’exécutif trois motifs possibles pour empêcher une commission d’enquête d’accéder à ses dossiers : soit que ceux-ci relèvent du coeur de la responsabilité exclusive du gouvernement, soit qu’ils concernent des sujets dépassant le mandat strict de la commission, soit que leur divulgation complète devant les parlementaires mettrait en danger le bien public. Le gouvernement doit expliciter ses motivations par écrit dans le cas concerné. Et sa décision argumentée peut faire l’objet d’un recours parlementaire devant la Cour constitutionnelle. Ce recours peut concerner des activités gouvernementales en cours ou passées.

Dans le cas de la commission qui examinait notamment l’action du BND, toutes les requêtes portaient sur des actes du gouvernement précédent. Et la Cour a statué en faveur du Parlement, estimant que son droit à l’information l’emportait sur celui du gouvernement à ne pas divulguer des dossiers. Hélas, bien que le Parlement ait présenté son recours en 2007, les juges n’ont rendu leur décision que la semaine même où les parlementaires devaient remettre leur rapport, en juin 2009, le terme de la législature étant arrivé. Le rapport qui a approuvé l’action gouvernementale a donc été rédigé sans que les députés, de l’opposition notamment, disposent de l’ensemble des informations qui auraient pu mettre l’exécutif en difficulté.

De simples individus, sans qu’il soit besoin pour cela d’être citoyen ou même résidant en Allemagne, ou des personnes morales peuvent demander à accéder à des informations classifiées en vertu de la loi sur la liberté de l’information adoptée en 2005. Mais c’est généralement sans effet, car le texte prévoit que le gouvernement peut refuser si la divulgation des informations est susceptible d’avoir des effets négatifs soit pour les relations extérieures de l’Allemagne, soit pour des raisons militaires ou de sécurité. Certes, il doit justifier son refus cas par cas et envisager une déclassification partielle. Mais même les données concernant les activités de services de renseignement aux lendemains de la seconde guerre mondiale n’ont toujours pas été divulguées, par exemple.

Un magistrat chargé d’une instruction pénale peut demander la déclassification d’un document si c’est nécessaire pour rendre une décision dans un dossier. Dans le cas où l’administration concernée refuse, une chambre spéciale du Tribunal administratif fédéral tranche, après avoir examiné les pièces concernées dans un lieu sécurisé, hors du tribunal.

En pratique donc, le gouvernement garde globalement le dernier mot lorsqu’il invoque le secret d’Etat. Qu’il le fasse dans l’intérêt de la sécurité du pays, ou pour ne pas être mis en difficulté sur la scène politique.

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