Royaume-Uni : le juge a le dernier mot

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La divulgation de secrets a été largement dépénalisée en 1989 et dans les cas qui restent sensibles, le tribunal tranche entre l'intérêt public et la sécurité nationale. Ce qui pousse l'exécutif à renouveler sa communication en la matière.

Par Ian Leigh

Le secret britannique est légendaire. La loi de 1911, qui longtemps l’a encadré, avait été adoptée pour lutter contre l’espionnage dans un climat de tensions internationales. Ce qui avait permis au gouvernement de faire adopter un texte très répressif, couvrant la divulgation de toutes les informations officielles. Au fil des décennies, cette législation était devenue inapplicable et les tribunaux n’en tenaient plus compte. C’est le gouvernement de Margaret Thatcher qui a libéralisé la réglementation britannique en 1989. La loi sur les secrets officiels (Official Secrets Act) a dépénalisé la diffusion de la plupart des informations officielles et restreint le contrôle légal aux questions de renseignement, de sécurité nationale, de défense, de relations internationales pour l’essentiel.

La loi actuelle conserve néanmoins des dimensions répressives. Ainsi, celui qui est accusé d’avoir divulgué une information classifiée ne peut se défendre en avançant qu’il est légitime que l’opinion publique en ait connaissance. Quand à la fin des années 1990, David Shayler, officier du MI5 (les services de renseignement intérieur), fit état dans la presse de l’incompétence et de comportements illégaux des services de sécurité et de renseignement, il fut condamné à six mois de prison. Katherine Gun, traductrice au service de transmissions, eut plus de chance lorsqu’elle révéla en 2003 que les Etats-Unis avaient demandé que les membres du Conseil de sécurité des Nations unies soient mis sous surveillance avant un vote crucial sur l’Irak. Le gouvernement abandonna les poursuites. Apparemment, il ne souhaitait pas divulguer certains détails de l’avis qu’il avait reçu du Procureur général du Royaume avant le conflit et concernant la légalité de la guerre en Irak.

Zoom Et en France... qui peut classifier ?

Il revient à l’autorité administrative qui émet un document couvert par le secret d’apprécier le niveau de protection dont il relève, en fonction de critères fixés à titre indicatif seulement par une circulaire ministérielle. Les règlements mettent en garde contre une classification excessive, mais précisent surtout que la non-classification d’un document qui aurait dû l’être engage la responsabilité de l’autorité qui l’a émis. Le besoin de classifier une pièce doit être réexaminé tous les dix ans. Par ailleurs, un document classifié versé aux archives publiques est en principe communicable de plein droit à l’expiration d’un délai de cinquante ans, mais à condition que l’autorité qui l’a émis vérifie que les délais qui sont applicables ont bien expiré.

Outre la loi pénale, les gouvernements successifs ont utilisé la loi civile imposant la confidentialité aux membres des services de sécurité pour empêcher certains d’entre eux de publier leurs mémoires. Dans les années 1980, les autorités essayèrent notamment de prévenir la publication de Spycatcher, l’autobiographie de Peter Wright, un ancien directeur-adjoint du MI5. Mais la parution du livre aux Etats-Unis montra que l’interdiction de le publier au Royaume-Uni était inefficace et elle fut abandonnée. Restent les demandes de dédommagements, comme celle qui fut présentée en 1990 à George Blake, auteur de No Other Choice, mais surtout agent double condamné pendant la guerre froide. De son côté, le gouvernement peut invoquer la protection de l’intérêt public devant un tribunal pour retirer un élément de preuve, en arguant de ce que sa divulgation risquerait de causer un préjudice à la sécurité nationale. Mais à la différence de ce qui se passe aux Etats Unis, c’est le juge en charge du procès qui a le dernier mot au Royaume-Uni et qui peut examiner les éléments concernés. Ainsi, lorsque les autorités ont refusé que soient communiqués à Binyam Mohamed, ancien prisonnier à Guantanamo, des éléments qui leur avaient été communiqués par les Etats-Unis concernant les tortures qu’il avait subies, la cour d’appel a estimé que l’intérêt public l’emportait sur le danger qu’une telle divulgation pouvait entraîner pour de futurs échanges de renseignement avec des pays étrangers.

La législation sur la liberté d’information a été introduite très tard au Royaume-Uni (en 2000) et n’est en vigueur que depuis 2005. Tony Blair a déclaré que l’adoption de ce texte était la pire erreur qu’il ait commise, mais c’est un texte d’une assez faible portée en réalité. Il ne s’applique pas aux services de sécurité et de renseignement. Et les autres administrations peuvent brandir une vingtaine d’exceptions pour refuser l’accès à des documents. Ses effets commencent pourtant à se faire sentir. L’une des plus grandes controverses a porté sur la publication de l’avis juridique préalable que le Procureur général avait donné au gouvernement sur la légalité de la guerre en Irak. Bien que les gouvernements de Tony Blair, puis de Gordon Brown s’y soient longtemps opposés, l’avis a été publié, mais en 2010 seulement. Autre sujet de polémique : l’accès aux notes de frais des parlementaires qui avaient fait l’objet de fuites dans le Daily Telegraph. Michael Martin, le président de la Chambre des Communes, qui avait désespérément tenté d’empêcher leur publication, a fini par démissionner l’an dernier.

Les seuls vestiges de la culture britannique du secret sont irrémédiablement démodés. Ainsi, pendant la majeure partie du XXe siècle, les médias d’information recevaient des " conseils " sur ce qui pouvait être publié sans risque, sous la forme de " directives défense " (D-Notices) émises par un comité dont le secrétaire général était habituellement un amiral à la retraite. Ce petit arrangement, qui n’avait aucune base légale, a commencé à se déliter dans les années 1960, mais reste en vigueur, même si sa forme a évolué. C’est un vrai dinosaure à une époque où l’on peut accéder aux médias internationaux via internet (les fameuses directives concernent uniquement les médias britanniques) et où des membres des forces armées publient des blogs personnels.

La seule option praticable pour l’avenir consiste à gérer l’information. Les grands services de sécurité et de renseignement britanniques ont un visage public désormais, ainsi qu’un site internet. Récemment, des histoires officielles du MI5 et du MI6 ont été publiées par des historiens indépendants qui ont été autorisés à accéder aux dossiers des services (dans le cas du MI5 et du MI6 cependant, cela concerne uniquement la période précédant la guerre froide). Le gouvernement espère qu’en informant mieux l’opinion sur les questions de sécurité et de renseignement, il sera possible d’endiguer les théories du complot les plus débridées qui ont fleuri dans le passé et de légitimer les mesures antiterroristes les plus controversées qui ont été prises depuis 2001. La divulgation publique d’informations recueillies par les services de renseignement est bien sûr porteuse de défis pour le gouvernement. Ainsi, le débat fait toujours rage à propos des dossiers publiés en 2000 par le gouvernement Blair et supposés établir la présence d’armes de destruction massives en Irak. Mais le génie est sorti de la boîte et il est impossible de l’y faire retourner.

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