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Liban : des classes pour les autistes

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À Beyrouth, des parents ont fondé une association pour aider les familles concernées par l'autisme, via la prise en charge des enfants dans un milieu scolaire adapté. Une nécessité, dont l'Etat est pourtant loin de se préoccuper.

Charbel, du haut de ses 10 ans, tire sa mère avec une force prodigieuse, la faisant presque tomber par terre. Il est 13 heures et le garçon sort de la salle Tournesol, une des trois classes pour enfants autistes mise en place par la Lebanese Autism Society (LAS), la première ONG spécialisée dans le domaine de l’autisme au Liban. Charbel reste hyperactif, mais il n’est plus le même depuis qu’il a été pris en charge par l’association. " Il arrive à se concentrer beaucoup plus facilement, il a appris à manger et se laver seul. Depuis quelques semaines, il se met à parler, alors qu’on nous avait dit qu’il ne prononcerait jamais aucun mot ", raconte Marlène Mehanna, sa mère. Lancée en 1999 par cinq familles et quelques professionnels engagés, la LAS compte aujourd’hui plus de 400 familles membres. " Nous avons fait des progrès considérables en dix ans, explique la présidente de la LAS, Arwa El-Amine Halawi. Au début, quand nous parlions d’autisme, les pédiatres comprenaient "otite" ! ". La LAS apporte un soutien psychologique aux parents, sensibilise la société libanaise aux problématiques de l’autisme. " Nous nous sommes rendu compte que nous n’étions plus seuls au monde. Nous avons rencontré d’autres parents, et appris à mieux aimer, accepter notre enfant ", explique Marlène Mehanna.

Aucune structure publique

La structure spécialisée permet surtout aux enfants d’acquérir une certaine autonomie, dans un environnement scolarisé. En 2000, elle a mis en place des CCA (" classes for children with autism "), un programme d’intégration scolaire qui regroupe une vingtaine d’enfants de 3 à 11 ans. La majorité d’entre eux sont suivis dans de petits groupes de trois à quatre enfants. Mais certains autistes sont directement intégrés dans des classes régulières du collège Sacré-Coeur, une école chrétienne de Beyrouth qui héberge toutes les activités de la LAS. Les enfants sont pris en charge sans distinction de religion. Au total, 27 professionnels assurent un suivi pluridisciplinaire. Tout cela a bien entendu un coût. " Une année scolaire dans les CCA revient environ à 12 000 dollars par an (environ 8 800 euros), explique Arwa El-Amine Halawi. La plupart des familles ne peuvent pas payer une telle somme, elles contribuent en fonction de leurs moyens ", ajoute la présidente de la LAS. Le reste est complété par l’Etat libanais, qui finance ces classes à hauteur de 15 %, des donateurs privés ou des fonds étrangers (Union européenne, Banque mondiale, etc.).

Ces dons restent cependant souvent insuffisants. " Il n’existe aucune volonté étatique de faire changer la situation. De manière générale, le handicap n’intéresse pas les responsables politiques, car c’est très coûteux et peu rentable. Ils considèrent dans l’absolu que les personnes handicapées n’apportent rien à la société ", explique Sami Richa, chef du service de psychiatrie à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu. " Il n’existe aucune structure publique prenant en charge les enfants autistes et sans l’action des associations, la situation serait dramatique. Même avec leurs efforts, près de 90 % des autistes au Liban de forme sévère ne sont pas pris en charge ", assure le médecin. Soit ils ne sont pas " visibles ", soit ils sont " tolérés " dans des écoles ordinaires, soit ils finissent internés dans les trois hôpitaux psychiatriques du Liban, avec un risque très fort de régression. " Le manque de financements de l’Etat ne permet pas de former un nombre suffisant de spécialistes ni de mettre en place des structures de diagnostic pointues dans les hôpitaux ", affirme aussi Edith Kouba Hreich, responsable du service recherche et développement au sein de l’association Sesobel, qui accueille 40 enfants autistes, mais prend également en charge d’autres types de handicaps.

Ateliers professionnels

Pour pallier l’absence de diagnostic - cruciale pour améliorer la prise en charge -, la Lebanese Autism Society a mis en place en 2005 le Centre de diagnostic et d’intervention précoce (CDIP) pour les enfants en bas âge, à l’intérieur du collège du Sacré-Coeur. Différents bilans (orthophonie, orthopédagogie, psychomotricité etc.) permettent d’évaluer la situation de l’enfant et de le faire bénéficier si nécessaire d’une prise en charge individualisée. L’ONG a aussi lancé en 2006 des classes techniques pour adolescents autistes, afin de les préparer à la vie professionnelle, via des ateliers. Elles accueillent sept adolescents de 15 à 21 ans. " Aucun des jeunes n’est encore apte à travailler régulièrement, certains sont à l’essai un jour par semaine dans une entreprise. Nous continuerons jusqu’à ce qu’ils soient prêts ", martèle Arwa El-Amine Halawi.

Le point d’interrogation concerne les projets de vie des adultes. " Nous souhaitons créer un centre spécialisé pour les autistes, en particulier les adultes, qui ne peuvent pas bénéficier d’une intégration scolaire. Il y a un énorme manque dans ce domaine ", explique Arwa El-Amine Halawi. " C’est encore un no man’s land, on ne sait pas ce que deviennent les autistes à l’âge adulte ", conclut le professeur Sami Richa.

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