Agir

Inde : le suicide, un symptôme

4 min

Dans une société en mutation tiraillée entre ses traditions et la modernité, il est en zone rurale la première cause de décès des jeunes mariées. Mais la prévention est prise en charge par de rares bénévoles, dans les grandes villes seulement.

Périodiquement, l’Inde s’indigne devant le cas d’élèves qui, sous la pression des examens, se donnent la mort, ou d’agriculteurs qui, submergés par les dettes, avalent leurs insecticides. Les responsables politiques promettent des réformes, débloquent des fonds d’aide. Mais au-delà de ces cas frappants et facilement politisés, la majorité des 130 000 suicides qui ont lieu chaque année dans le pays glisse en silence dans l’oubli, entre honte de la famille et indifférence de l’Etat. " En pourcentage, à environ 11,5 suicides pour 100 000 habitants, l’Inde se situe juste dans la moyenne internationale, bien en dessous de la Russie ", note Peter Meyer, professeur à l’université d’Adelaide et auteur d’un livre sur le suicide en Inde. " Mais ce qui est surprenant, c’est la part disproportionnée des hommes jeunes et des femmes mariées ", souligne le chercheur. Dans le sud de l’Inde, ce taux dépasse parfois trois fois la moyenne nationale. " C’est la première cause de décès pour les femmes mariées en milieu rural, par exemple, et pourtant rien n’est fait. "

Anonymat et confidentialité

En fait, la prévention du suicide est laissée à une poignée d’associations. A New Delhi, Sumaitri (" bonne amitié " en hindi) n’offre qu’un service : une oreille attentive, sans jugement, sans conseil, hors de la religion ou de la politique. Au coeur du Delhi administratif, la municipalité a mis à la disposition des 35 bénévoles - qui se relaient, deux par deux - cinq pièces simples et dénudées, au sous-sol d’un foyer de jeunes filles. Créée en 1988, l’ONG Sumaitri est affiliée à Befrienders Worldwide, une organisation d’origine anglaise qui regroupe 400 centres dans le monde, et dont elle suit les principes, comme le bénévolat et la neutralité absolus. Elle reçoit des appels ou, à l’occasion, des visites, toute la semaine, huit heures par jour - douze le week-end.

" Seul le garçon de bureau de l’association reçoit un salaire, tout le reste de l’argent récolté auprès de sponsors, dans la vente de cartes de voeux et autres initiatives, passe dans les programmes de sensibilisation ", explique Nalini, aujourd’hui à la tête de Sumaitri et bénévole depuis quatorze ans. Ici, chacun n’est connu que par son prénom, pour préserver l’anonymat et la confidentialité et pour effacer auprès des interlocuteurs toute trace de caste, lisible dans le nom de famille. " Nous avons fait des séminaires auprès des employés du métro, de l’armée et des familles de militaires, dans des écoles, auprès de compagnies privées, et surtout nous faisons environ deux fois par an des campagnes de presse ", précise Nalini. Les membres de l’association ont conscience d’être une goutte d’eau dans l’océan. " Il faudrait pouvoir toucher plus de gens, trouver plus de bénévoles ", se désole Nalini.

Conflits familiaux

Les bénévoles sont triés sur le volet. Après une formation d’une dizaine de jours, seuls 2 % des candidats sont intégrés. Avec davantage d’aide, le centre pourrait pourtant fonctionner 24 heures sur 24. Aujourd’hui, il reçoit en moyenne 15 appels par jour. " Ces appels durent souvent 30 à 40 minutes et l’on en ressort parfois éreinté psychologiquement ", souligne Rajinder, un bénévole. Les appels sont tant en anglais qu’en hindi et reflètent toutes sortes de milieux économiques, avec des raisons très variées où dominent cependant les conflits avec les parents ou la famille.

Treize organisations similaires assurent ce service de prévention dans les grandes villes d’Inde. Dans les campagnes, c’est le désert... Le suicide des femmes mariées et des jeunes gens est souvent dû à la difficulté de trouver sa place dans une société en mutation ; les aspirations sentimentales ou professionnelles se heurtent à un contexte encore conservateur : la caste, la religion, l’éducation... Peter Meyer s’empresse pourtant d’ajouter : " Beaucoup survivent à cette tension et peut-être y a-t-il, à la base, chez ceux qui décident de mettre fin à leurs jours, des problèmes psychiatriques, mais ils ne sont pas reconnus comme tels, ils ne font pas partie des cadres de pensées et ne sont donc pas traités. " Les programmes de sensibilisation et la prévention sont d’autant plus nécessaires.

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !