Révolutions arabes: pourquoi l’économie risque de tout gâcher (introduction au dossier)

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Par Yann Mens

Pour l’instant, il est surtout question d’institutions, d’identité nationale, d’influence de la religion sur le contenu des lois... Bien évidemment, ce sont des sujets importants. Il est logique qu’au lendemain de révolutions pacifiques comme celles qu’ont connues la Tunisie et l’Egypte, de la chute violente d’un régime comme celui de Kadhafi en Libye, un pays s’interroge sur les principes collectifs qui l’animent et sur la forme concrète qu’il veut leur donner. Il est aussi logique que ceux qui se sont battus au printemps pour la liberté, d’expression surtout, et l’égalité, entre hommes et femmes par exemple, s’inquiètent de les voir demain remis en cause au nom d’une identité culturelle ou d’une religion avec lesquels ils seraient supposés entrer en contradiction.

Pourtant, ces débats et ces différends ne sont peut-être pas la plus grande difficulté qui attend à terme les nouveaux régimes issus des urnes au Maghreb et au Machrek.

Si au printemps dernier, la part la plus visible des révolutions arabes fut une gigantesque prise de parole symbolisée par les réseaux sociaux, ces mouvements étaient portés par une exigence, moins médiatique mais sans doute plus puissante encore, de justice sociale et économique. Une exigence qu’avaient exprimée ces dernières années, malgré la répression et l’indifférence médiatique, de nombreux conflits du travail (lire p. 40). Car les tyrannies déchues ne monopolisaient pas seulement le verbe et les institutions, elles contrôlaient aussi l’essentiel de la richesse nationale (lire p. 33 et 35), ne la distribuant vraiment qu’à leurs affidés, sous le couvert de privatisations imposées par les institutions financières internationales, par exemple.

Ce faisant, et en dépit de taux de croissance parfois flatteurs, les potentats arabes ont appauvri leurs sociétés acculées à survivre dans une économie de plus en plus informelle, creusé jusqu’à l’obscène les inégalités, desespéré une partie de leur jeunesse, discrédité tant l’action de l’Etat que celle des acteurs privés.

C’est donc un pacte national qu’il faut reconstruire et qui devra se traduire dans des choix budgétaires, des modes de régulation, des politiques fiscales et sociales.... Un défi d’autant plus grand que les pays arabes doivent trouver leur place sur la scène économique mondiale et leur avantage comparatif dans un contexte de crise qui frappe leur grand voisin européen. Un défi aussi pour lequel beaucoup de forces politiques en lice semblent bien peu préparées. A commencer par les islamistes. Spontanément conservateurs, longtemps partisans d’un libéralisme à la mode assorti d’un peu de charité pour en corriger les effets pervers, ils invoquent aujourd’hui la justice et la lutte contre la corruption. Des slogans généreux mais bien vagues qui ne suffiront sans doute pas à calmer longtemps les revendications très concrètes de leurs concitoyens.

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