Sud-Soudan : le diable se niche dans le bétail

5 min

Les Nuer et les Murle se livrent une guerre meurtrière pour le contrôle des terres agricoles. Un conflit historique que le tout jeune État du Sud-Soudan, très faible, n'a pas les moyens de juguler.

Logocho Ading traîne son désespoir entre les échoppes poussiéreuses de Pibor, chef-lieu du comté éponyme à l’ouest du Sud-Soudan. L’homme a tout perdu ou presque. Son père, son oncle et les enfants de son frère ont été tués. Ses deux cents têtes de bétail ont été volées, sa maison de terre a été brûlée. Il ne lui reste rien pour nourrir sa femme et ses trois enfants.

L’histoire de Logocho se décline à l’infini. Pas un membre de son ethnie, les Murle, n’a échappé aux dernières attaques des Nuer, une autre ethnie, elle aussi agropastorale. Au coeur de ce conflit : le bétail, l’eau et les terres de pâturage.

Dans l’État de Jonglei, dans l’est du Sud-Soudan, le conflit entre les deux groupes n’est pas nouveau. Les incursions dans le territoire voisin pour y voler du bétail, parfois des enfants qui seront adoptés par leurs ravisseurs, sont inscrites dans l’histoire longue des Murle et des Nuer. Elles pouvaient occasionner quelques morts. Mais récemment, ces " raids " ont pris des proportions extrêmement violentes.

De quoi inquiéter dans le contexte actuel : le Sud-Soudan fait face aux innombrables défis d’une nouvelle nation depuis que le Mouvement populaire de libération du Soudan (MPLS) a obtenu, le 9 juillet dernier, l’indépendance vis-à-vis du Soudan, après vingt-deux ans de guerre (1983-2005), un accord de paix en 2005 et un référendum en janvier 2011. Depuis, les relations entre les deux voisins n’ont cessé de se détériorer, en particulier à propos des ressources pétrolières qui sont concentrées au sud alors que seul un transit par le nord permet aujourd’hui de les exporter. Les frontières aussi continuent d’être la cause de combats armés. Le conflit de Jonglei, interne au sud, achève donc de secouer le tout nouvel État.

Le comté de Pibor dans la province de Jonglei, zone d’affrontements sanglants

Le Sud-Soudan est découpé en dix provinces.

Le comté de Pibor dans la province de Jonglei, zone d’affrontements sanglants.

Le comté de Pibor dans la province de Jonglei, zone d’affrontements sanglants

Le Sud-Soudan est découpé en dix provinces.

Le comté de Pibor dans la province de Jonglei, zone d’affrontements sanglants.

En quête de vengeance après une incursion murle sur leur territoire en août dernier, les jeunes Nuer se sont mobilisés comme jamais. En décembre, soutenus par une diaspora très active, aux États-Unis notamment, plusieurs milliers d’entre eux prennent la direction du sud. Le 26, ils brûlent le bourg de Likuangole, tuent ceux qui n’ont pas le temps de fuir, enlèvent femmes et enfants, volent le bétail. Le 28 décembre, le vice-président Riek Machar, lui-même Nuer, se rend sur place pour dissuader les assaillants d’aller plus avant. À peine a-t-il quitté les lieux que 6 000 jeunes Nuer fondent sur Pibor. L’attaque dure plusieurs jours et coûte la vie à plus de mille personnes, principalement des hommes, d’après le préfet du comté de Pibor. Selon ses chiffres, 1 293 enfants et 497 femmes auraient été enlevées. Environ 120 000 personnes se cacheraient dans la brousse, craignant d’autres attaques. Et 375 186 têtes de bétail auraient été volées. Des données que l’ONU ne confirme pas.

Armes en libre circulation

Pourquoi un vieux conflit a-t-il ainsi dégénéré en raids meurtriers ? Nombreux sont ceux, toujours hors micro, à mentionner l’influence de l’ancienne puissance dominante, le Soudan, sur les Nuer. Mais expliquer les récentes violences par une résurgence de la " White army ", l’ancien mouvement majoritairement Nuer opposé au MPLS durant la guerre civile, soutenu par Khartoum, paraît insuffisant. Car les affrontements récents trouvent sans doute une large part de leurs racines dans les carences de l’État sud-soudanais, quasi inexistant, qui ne fournit aucun des services que les populations attendent de lui mais nourrit des conflits de pouvoir à tous les niveaux. Jonglei a toujours été le théâtre de violents événements, en particulier pendant la guerre civile.

Cette violence est d’autant plus sanglante que depuis cette époque un nombre élevé d’armes circulent dans la région. Des témoins rapportent même l’usage de lance-roquettes lors des récentes attaques. À cela s’ajoute le sentiment commun aux Murle et aux Nuer de ne pas pouvoir compter sur le gouvernement, souvent moins armé qu’eux, pour se protéger de leur ennemi respectif. La présence, dans les deux camps, de soldats déserteurs de la SPLA (le bras armé du MPLS et nouvelle armée du jeune État) expliquerait aussi l’efficacité des récentes attaques. " Ces groupes de jeunes en armes sont liés à des manoeuvres politiciennes d’anciens chefs de milices et d’autres figures politiques en quête de pouvoir aujourd’hui ", affirme un rapport de la London School of Economics1.

Rome ne s’est pas faite en un jour

La somme de ces tous paramètres semble expliquer la logique du conflit en cours, au-delà de la seule possession du bétail. Ce conflit peut-il déstabiliser le Sud-Soudan point de compromettre son existence, moins d’un an après sa création ? Le conflit de Jonglei n’y suffira pas, mais peut sérieusement y contribuer. " Tout est affaire de ressources. Le Sud-Soudan a besoin d’investissements massifs pour mettre un terme à ce cycle de pauvreté ", explique Giovanni Bosco, représentant du Bureau de coordination des affaires humanitaires de l’ONU à Juba. " Mais où sont les alternatives pour les populations ? Où les gens peuvent-ils recevoir une éducation ? Qui va leur fournir le minimum d’infrastructures ? La communauté internationale a nourri des attentes naïves en pensant que cela ne prendrait que quelques années ", entre les accords de paix de 2005 et le référendum de 2011, de construire un État.

  • 1. Southern Sudan at Odds with itself, London School of Economics, 2010

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !
Sur le même sujet