Carnet de voyage : goodbye Mao !

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On m’avait prévenue : à Hong Kong, avant d’acheter quoi que ce soit, il faut négocier. " Prends le temps qu’il faut. Si un prix te paraît exorbitant, lève les yeux au ciel, fais mine de t’en aller, même. Un marchand hongkongais renonce rarement. Il reviendra à toi. " On était au début du mois d’août 2011 et j’avais la ferme intention de suivre le conseil à la lettre.

Je me trouvais dans le quartier de Western, là où l’on est censé pouvoir trouver de vieilles choses. Je venais de lire dans un guide que ce secteur est encore surnommé le " Chinatown " de Hong Kong. Surnom étrange - n’y est-on pas en Chine ? Mais il est vrai que bien plus que dans les grandes artères de la ville et du côté de la baie, dans ce quartier on se sent en Chine : entrelacs de ruelles étroites à flanc de colline, escaliers et, partout, des dizaines d’étals envahis d’objets disparates et de vieilleries. Ce qui tombait plutôt bien, puisque c’était précisément ce que je cherchais : de vieilles choses.

Il faisait chaud mais depuis plus d’une heure j’étais à la recherche du souvenir idéal que j’imaginais comme une sorte de trophée chinois. Je n’avais fait que jeter un oeil sur les boîtes à opium, les colliers de jade, les fioles colorées et les bouddhas : tout cela me paraissait trop attendu. Or, j’étais bien décidée à ramener de Hong Kong un objet spécial.

C’est alors qu’à l’angle d’une rue et d’un de ces escaliers qui sillonnent le quartier de Western, je suis tombée sur un étal exclusivement consacré aux objets de propagande datant de la Révolution culturelle : il y avait là des affiches, des médailles, des badges, des boîtes et même quelques jeux de cartes à jouer à l’effigie de Mao. Au centre de l’étalage il y avait aussi une caisse contenant exclusivement des réveils Mao. Ils pouvaient être en bois ou en métal, de formes et de tailles différentes. Mais l’un me paraissait plus singulier que les autres : il s’agissait d’un réveil dont le cadre en bois avait curieusement la forme d’un pentagone. Derrière une vitre qui semblait en bon état, il y avait une image. Sur un ciel rouge (à moins que ce ne fût un drapeau) on voyait le buste de Mao, de profil. Il portait une casquette avec une étoile et des caractères dorés flottaient autour de lui. Sous le buste, six ou sept gardes rouges brandissaient le fameux petit livre. Ils avaient été représentés suivant une même échelle, qui n’était pas celle du buste de Mao, dont le visage faisait à lui seul la taille de tout un garde rouge. Une aiguille était attachée à l’une des épaules du plus jeune d’entre eux. Me voyant intéressée, le vendeur a pris le réveil et en a remonté le mécanisme. " It works, look ! " (" Ça fonctionne, regardez, ! "). Au passage, il a mis le réveil à la bonne heure. J’ai vu alors le bras-aiguille se transformer en trotteuse. Elle avait l’air de tourner sans difficulté, bientôt le bras a fait le tour du cadran. L’homme en demandait mille dollars hongkongais. " Elle est authentique, elle date de la Révolution culturelle. Une pièce d’époque. " Nous avons engagé le marchandage. J’étais décidée à ne pas me laisser faire. Je m’en suis tirée à bon compte : j’ai fini par l’avoir à deux cents dollars de Hong Kong, soit un peu moins de vingt euros.

J’ai emprunté les escaliers. Plus bas, je suis encore tombée sur des objets de la Révolution culturelle. Visiblement, c’était la spécialité de ce secteur. A l’angle d’une rue, il y avait même un étal qui était presque entièrement consacré à la vaisselle révolutionnaire : on y trouvait des plateaux de différentes tailles mais surtout des bols, petits bols à riz et grands bols à soupe, à l’effigie du Grand Timonier. J’ai alors vu un touriste anglais arborer un instant un sourire aussi radieux que celui de mon garde rouge à trotteuse. Intriguée, je me suis approchée : il pensait être tombé sur une pièce rare, un tout petit bol sur lequel on voyait le visage d’une femme. Il était ébréché mais, a-t-il dit, " il est à l’effigie d’une figure tombée en disgrâce durant la Révolution culturelle - je me demande comment cette pièce a survécu ". L’Anglais a retourné le bol en tous sens, puis il a échangé des mots en chinois avec le vendeur, de manière sérieuse et vive à la fois. Soudain, sans que je sache pourquoi, l’Anglais s’est montré bien moins enthousiaste, puis plus du tout. Finalement, il a reposé la pièce. " C’est un faux... " a-t-il dit, catégorique. Puis il a fait demi-tour. Bien vite, j’ai appris que l’Anglais était un vrai connaisseur. Antiquaire à Londres, il s’était spécialisé dans les objets de la Révolution culturelle chinoise depuis bientôt six ans. " C’est à la mode, un secteur porteur. " Mais après quelques mésaventures, il avait appris à y regarder à deux fois. Il m’a expliqué que la contrefaçon de la vaisselle révolutionnaire était devenue aussi courante que celle des porcelaines de la période Ming. Cette fois, il m’a avoué qu’il avait failli tomber dans le panneau, mais, il en était sûr désormais, ce bol qu’il avait été sur le point d’acheter était un faux.

Presque sur la grande rue, nous sommes passés devant un magasin d’antiquités bien plus luxueux que les autres. Dans la vitrine, il y avait une grande affiche. S’apercevant que j’avais l’intention d’aller la voir de plus près, l’antiquaire anglais m’a lancé : " Le pire, vous savez, ce sont les affiches. Même dans ce type de boutiques, on trouve des faux. C’est facile de jaunir le papier. Vous croyez qu’une pièce a quarante ans, mais elle a été fabriquée en série la semaine dernière avant d’être vieillie dans un hangar à Macao. Vous avez acheté quelque chose ? " Un peu honteuse, je lui ai montré mon réveil Mao. L’Anglais a souri. " Il vous plaît ? " " Oui. " " Bon, ben, c’est l’essentiel. "Nous nous sommes quittés au bas des marches et je suis retournée à mon hôtel avec mon réveil Mao.Dès que j’ai pénétré dans ma chambre, je l’ai posé sur la table de chevet : il marchait encore, le bras du garde rouge qui était en charge des secondes tournait toujours sans difficulté. Et il semblait toujours indiquer la bonne heure. " It works " (" Ça fonctionne "), avait dit le marchand. Ça, au moins, c’était vrai. Puis je me suis souvenue de ce mot d’ordre qui a marqué le début de la Révolution culturelle : " en finir avec les vieilleries. " Et je me suis dit que c’était peut-être ce que signifiaient les idéogrammes dorés qui encadraient la tête du Grand Timonier.

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