Opinion

Des fissures dans les BRICS ?

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Christophe Jaffrelot Directeur de recherche CERI-Sciences Po/CNRS

Le rejet d’une résolution sur la Syrie au Conseil de sécurité des Nations Unies, le 4 février dernier, a révélé une nouvelle ligne de clivage au sein des pays que l’on regroupe sous le nom de BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud. Il y a un an, lorsqu’il s’agissait de venir en aide aux rebelles libyens à travers la résolution 1973, les BRICS avaient opté pour l’abstention (seule l’Afrique du Sud avait voté pour). En octobre dernier, alors que les manifestants syriens étaient déjà soumis à une répression féroce, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud s’étaient encore abstenus, la Russie et la Chine jouant de leur veto de membre permanent.

Si l’insensibilité aux droits de l’homme était logique de la part de Moscou et Pékin, pareille attitude était moins compréhensible de la part de pays qui se présentent comme les plus grandes démocraties des trois principaux continents et ont formé en 2003 une coalition, l’IBAS (Inde, Brésil, Afrique du Sud), sous cette enseigne.

L’unité des BRICS a semé le trouble en Occident. Si l’IBAS venait à se retrouver sur des positions identiques à celles de la Russie et de la Chine, les valeurs sous-tendant les institutions internationales ne seraient-elles pas d’autant plus mises à mal ?

C’est pourquoi le vote en faveur d’une " résolution syrienne " le 4 février par l’Inde et l’Afrique du Sud - après que ces deux pays se sont concertés avec le Brésil qui ne siège plus au Conseil de sécurité depuis le 1er janvier - mérite une attention particulière.

A la lecture des explications de vote, il apparaît que l’IBAS souhaite tracer une troisième voie qui n’est pas sans rappeler le Mouvement des Non-Alignés.

D’un côté, ces trois pays continuent de partager avec la Russie et la Chine un souci quasi obsessionnel de la souveraineté nationale. C’est là l’héritage persistant de l’impérialisme occidental qui avait mis ces pays en coupe réglée. Mais cela s’explique aussi par leur volonté de traiter à huis clos des questions comme celles du Cachemire ou de l’exploitation de l’Amazonie. Les pays de l’IBAS rejoignent ici la Chine (aux prises avec ses Tibétains) et la Russie (et ses Tchétchènes). Les BRICS se méfient tous des principes onusiens comme la responsabilité de protéger - d’autant que depuis les interventions en Afghanistan et en Irak, les opérations extérieures se sont multipliées. Et ils regrettent amèrement que leur abstention dans le cas libyen ait permis une " offensive armée " - pour reprendre leur terminologie.

Mais les gouvernants russe et chinois redoutent davantage : que la chute d’Assad, après celle d’autres dictateurs arabes, ne galvanise les adeptes d’un changement de régime au sein d’oppositions de plus en plus actives à Moscou et sur la blogosphère chinoise - une crainte que les pays, déjà démocratiques, de l’IBAS n’ont pas.

Pour ces derniers, en outre, le projet de " résolution syrienne " du 4 février était acceptable parce qu’il se calait sur le plan de la Ligue arabe. Or ces pays attachent la plus grande importance aux initiatives régionales pour résoudre les conflits à l’abri des interventions occidentales. N’appelaient-ils pas de leur voeu une démarche africaine dans le dossier libyen avant que n’éclate la guerre ?

L’IBAS a donc vocation à se désolidariser du couple sino-russe pour promouvoir une gestion des conflits qui exclurait les interventions extérieures, autres que régionales et pacifiques. L’avenir dira si cette interprétation pêche par optimisme. Les plus cyniques disent déjà que l’Inde et l’Afrique du Sud ont voté la dernière résolution syrienne parce qu’ils savaient qu’elle ne passerait pas ou - thèse tout aussi plausible - qu’ils ont cédé à la pression des pays arabes (et en particulier des Saoudiens) dont ils dépendent - l’Inde surtout - sur le plan énergétique.

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