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Seine-Saint-Denis : le " 9-3 " ne veut plus payer pour les autres

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La majorité des mineurs isolés étrangers, qui arrivent en France, choisissent la Seine-Saint-Denis, où ils trouvent compatriotes et services sociaux compétents. Un afflux que le Conseil général dit ne plus pouvoir financer seul.

Fin juillet 2011, " l’affaire " des mineurs isolés étrangers (MIE) de Seine-Saint-Denis débute par le coup de gueule de Claude Bartolone, le président (PS) du Conseil général. À compter du 1er septembre 2011, annonce-t-il alors, son département suspendra l’accueil des nouveaux MIE arrivant dans le " 9-3 ". Pour justifier la radicalité de sa décision, Claude Bartolone évoque la saturation des structures d’accueil de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) - un service départemental - et l’explosion de leur coût financier : 42 millions d’euros en 2011, soit 20 % du budget annuel de l’ASE du département.

" Depuis des années, Claude Bartolone interpellait sur ce dossier le garde des Sceaux, le Premier ministre et le président de la République pour obtenir de l’aide ", explique Françoise Simon, directrice de l’enfance et de la famille en Seine-Saint-Denis. En 2007, le département accueillait 200 à 300 MIE. L’année suivante, ce chiffre était multiplié par deux, avant d’atteindre le pic du millier en 2010, sur un total de 4 000 enfants (pupilles de la nation, enfants confiés provisoirement par des parents en difficulté, jeunes soustraits à leur famille sur décision judiciaire et MIE) relevant alors des services de l’ASE.

Près de la moitié des 6 000 MIE, qui vivent en France, est concentrée à Paris et en Seine-Saint-Denis. Pour les mineurs comme pour les adultes étrangers, la capitale agit en effet comme un pôle d’attraction. Quant au " 9-3 ", il jouit d’une bonne réputation auprès des étrangers. Département à forte tradition migratoire, des communautés y servent de relais et les services sociaux y sont connus pour leur qualité d’accueil des MIE. De nombreux jeunes étrangers - comme leurs passeurs - savent ainsi qu’ici, ils seront logés, nourris et soignés, voire régularisés par la suite, puisque c’est le cas de 70 % des MIE confiés à l’ASE du département. Après des mois de périple, des enfants du Bangladesh, de Mauritanie ou d’Afghanistan arrivent ainsi en France avec, en poche, les noms de collaborateurs de l’ASE ou d’éducateurs de la Croix-Rouge de la Seine-Saint-Denis.

Système D institutionnalisé

" Face à l’augmentation du nombre de MIE, nous avons créé, en un an et demi, 150 places d’accueil supplémentaires sur les 1 008 que compte le réseau de l’ASE ", poursuit Françoise Simon. " Mais cela ne suffisait pas. Les éducateurs passaient leur journée à appeler les établissements à la recherche d’une place. Toutes les structures étaient saturées. Faute de lieu disponible, quatre-vingts enfants résidant en Seine-Saint-Denis et faisant l’objet d’une ordonnance de placement provisoire 1 ne pouvaient être accueillis, y compris des tout petits. Nous avons dû recourir au système D, en hébergeant les MIE dans des chambres d’hôtel, voire dans nos centres, sur des matelas. "

En février 2011, pour accélérer l’accueil et l’orientation des MIE et soulager les services de l’ASE, une plate-forme départementale gérée par la Croix-Rouge (avec le soutien financier de l’État) est mise en place. Sa mission ? Réaliser un entretien d’accueil et un bilan de santé des jeunes tout en leur proposant, si nécessaire, une aide pédopsychiatrique, des cours de français et un suivi juridique. La plate-forme est en outre chargée de la tâche ingrate de la détermination de l’âge du jeune. " Sur entretien et reconstitution du parcours individuel ", plaide-t-on à la Croix-Rouge, " et pas seulement sur expertise osseuse " (lire encadré p.59).

Zoom Les tests osseux sont-ils fiables ?

Lorsque les policiers ont un doute sur la minorité d’un mineur isolé étranger, ils peuvent demander une expertise médico-légale qui consiste le plus souvent en des radiographies du poignet et de la main gauche, selon la méthode dite de Greulich et Pyle. Sa fiabilité étant sujette à caution, les ministères de la justice et de la santé ont demandé un avis à l’Académie nationale de médecine, qui a conclu, en 2006, que cette méthode " permet d’apprécier avec une bonne approximation l’âge de développement d’un adolescent en dessous de 16 ans ". En revanche, " cette méthode ne permet pas de distinction nette entre 16 et 18 ans ". Les médecins précisent que " l’examen clinique en milieu spécialisé avec détermination du stade de développement pubertaire, et éventuellement un contrôle six mois plus tard, augmente la fiabilité de la détermination ".

Mais ce nouveau dispositif n’a pas suffi. Et ce n’est qu’en octobre 2011, plus de deux mois après le coup de gueule de Claude Bartolone, qu’est intervenue finalement la signature d’un accord entre l’État et le Conseil général de Seine-Saint-Denis. Un dispositif d’urgence a été mis en place : l’ASE accepte de reprendre l’accueil des MIE, mais seulement d’un dixième d’entre eux. Les autres nouveaux arrivants devront être transférés vers une vingtaine d’autres départements.

Manque de places

Certes, ce système de répartition a soulagé la Seine-Saint-Denis, mais, à peine appliqué, il a également montré ses faiblesses. Certains des départements concernés ont ainsi multiplié les entraves à l’accueil de MIE, arguant du manque de places disponibles dans leur propre réseau d’ASE. Au-delà de son résultat pratique, ce sont les conséquences politiques et symboliques de la sortie de Claude Bartolone que redoute Jean-François Martini, du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). " Pourquoi le président du Conseil général a-t-il choisi les MIE pour dénoncer les ratés de la décentralisation ? ", s’interroge-t-il. " Comment peut-il ignorer que cela risque de faire le jeu des discours les plus rétrogrades sur l’immigration ? ".

En tout état de cause, l’accord signé en Seine-Saint-Denis pourrait bien servir d’exemple. En avril 2012, dans son rapport annuel, le Défenseur des droits, Dominique Baudis, préconisait " l’examen de l’extension à d’autres départements de ce dispositif de prise en charge "régionalisé" ".

  • 1. L’ordonnance de placement provisoire (OPP) vise à soustraire à sa famille un enfant en danger.

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