Les précaires ne se laissent pas faire (introduction au dossier)

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Par Yann Mens

Comment ferrailler quand on est en équilibre instable ? Comment se défendre quand on a le sentiment d’être isolé ? Comment réunir des forces quand elles sont dispersées par la noria permanente des effectifs ? Longtemps, les travailleurs précaires, qu’ils soient intérimaires, en contrat à durée déterminée, saisonniers, stagiaires, à temps très partiel... ont eu le sentiment de n’être pas visibles. Les organisations syndicales redoutaient quelquefois en les défendant de cautionner ce qu’ils représentaient (insécurité, moindre protection sociale), espérant sans doute que le phénomène serait passager. Mais la précarité dans l’emploi s’est installée en Europe (lire p. 28), et s’est même intensifiée à la faveur de la crise avec le développement de contrats à la durée de plus en plus courte. De nouveaux publics aussi, plus diplômés, en ont fait l’expérience, et ont éprouvé les effets sur le lieu de travail mais aussi dans l’ensemble de la vie quotidienne (logement, vie familiale, santé...).

Alors peu à peu, des initiatives sont apparues. Parfois venues des travailleurs précaires, eux-mêmes, comme au Portugal pour lutter contre le recours abusif aux faux autoentrepreneurs par les employeurs (lire p. 35). Parfois venues d’autres acteurs, des réseaux militants comme San Precario en Italie (lire p. 30) déterminés à aider, juridiquement, certains salariés que les organisations syndicales négligent. Ou simplement, que les syndicats ont du mal toucher parce que les travailleurs concernés ne cessent de changer de site et de branche professionnelle au gré de leurs contrats, parce que cumulant les temps partiels, ils ont de multiples employeurs à la fois, parce que les horaires sont de plus en plus individualisés et imprévisibles dans une même entreprise... Et enfin parce qu’il est toujours périlleux pour un salarié de flirter avec une organisation syndicale lorsqu’on est suspendu au renouvellement de son contrat.

Gagnant-gagnant

Malgré ces obstacles, les organisations syndicales et des groupes de précaires, tantôt ensemble tantôt chacun de son côté, inventent aujourd’hui de nouveaux modes d’action, à l’instar des grèves surprises d’une heure dans les centres d’appel en France (lire p. 32). Se mobilisent pour que la loi protège mieux certaines catégories, comme les personnels domestiques en Espagne (lire p. 34). Créent des mécanismes de surveillance garantissant les droits des intérimaires aux Pays Bas (lire p. 31) et des salariés mineurs au Danemark (lire p. 33). Ou encore, à l’instar de Ver.di, l’un des principaux syndicats allemands, imaginent des services adaptés aux travailleurs indépendants, encartés ou pas (lire p. 36).

Pour ceux qui subissent la précarité, des jeunes et des femmes surtout, les effets de ces innovations sont tout de suite perceptibles. Pour les organisations syndicales, dont les effectifs se réduisent, elles constituent un moyen de retrouver des forces vives (lire p. 37). Car les avocats les plus déterminés des travailleurs fragilisés sont souvent ceux qui, dans leur propre carrière, ont déjà fait l’expérience de la précarité, et qui sont parvenus à en sortir.

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