Italie : San Precario, donnez-nous les moyens de nous défendre !

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Si la grève ou la menace du tribunal ne font plus vraiment effet, alors il faut s'en prendre à l'image de l'entreprise pour se faire respecter. C'est ce que ne cessent de conseiller les avocats et militants du collectif San Precario.

San Precario est un saint patron imaginaire, mais un mouvement italien bien réel qui veut aider les travailleurs précaires à prendre conscience de leur force et à s’organiser. Les Italiens sont en effet de plus en plus nombreux à travailler sous les statuts de "collaborateur sur projet" ("cocopro") ou bien de (faux) autoentrepreneur, assujettis aux mêmes contraintes que les salariés mais sans en avoir les droits (congés maladie, allocations chômage...). Les trois principales centrales syndicales ont créé des branches destinées à les aider, mais d’autres formes de lutte ont vu le jour. Comme San Precario, réseau de militants né en 2004, qui souhaite créer une nouvelle image des travailleurs précaires grâce à une communication agressive sur Internet et à des manifestations comme Mayday, un premier mai parallèle à celui des syndicats.

Si cette activité médiatique et culturelle reste prédominante, le collectif a aussi ouvert des "points" San Precario dans plusieurs villes de Lombardie et à Turin pour aider les travailleurs précaires qui souhaitent engager une procédure légale contre leur entreprise. En Lombardie, chaque année, 400 à 500 personnes contactent ces permanences tenues par des militants et des avocats, et environ 200 procédures sont engagées devant les tribunaux. "Nous n’offrons pas simplement une aide légale. Nous étudions la possibilité de créer une action collective si plusieurs travailleurs sont dans la même situation", explique Massimo Laratro, militant et cofondateur d’un cabinet d’avocats qui travaille à 80 % pour le mouvement. Dans ce cas, explique Stefania Tenan, militant à Monza, "nous encourageons les précaires à se responsabiliser. S’ils ne se mobilisent pas, nous ne les aidons pas ! Ce sont eux qui doivent créer leurs blogs, leurs tracts... même si nous leur fournissons un support graphique et technique." San Precario n’entend surtout pas devenir un syndicat, mais comme le définit maître Laratro, une "agence pour le conflit" mettant à disposition des outils pour que les précaires puissent s’organiser. Le principal moyen de pression n’est pas la grève, mais le Web, notamment en attaquant l’image des entreprises concernées.

L’addition, c’est pour le patron

Les précaires qui font appel au réseau ont en moyenne entre 25 et 45 ans et travaillent essentiellement dans le secteur tertiaire (centres d’appel, édition et presse, communication, formation, secteur social...). "Les entreprises utilisent les cocopro et les faux autoentrepreneurs pour des raisons financières, mais aussi parce que ces travailleurs sont moins enclins à protester", observe maître Laratro. Aujourd’hui, le chômage est tel que les précaires tiennent à conserver leur emploi, si insatisfaisant soit-il : donc, c’est surtout en cas de rupture du contrat les liant à l’entreprise qu’ils se rebellent. Une part importante des procédures engagées vise donc à obtenir, non pas une embauche mais une indemnisation. "C’est toujours plus difficile, car les réformes du marché du travail ont démantelé le système de protection des travailleurs", accuse l’avocat qui observe qu’en quelques années le montant des indemnisations obtenues, après négociation ou procès, a baissé de moitié.

Paradoxe : ce sont essentiellement... les employeurs qui permettent à San Precario de fonctionner ! Car les précaires bénéficient gratuitement de l’aide légale : s’ils gagnent (et le cabinet d’avocats se targue de l’emporter dans environ 85 % des cas), les frais sont pris en charge par l’entreprise condamnée, et les plaignants sont juste encouragés à faire une modeste donation au mouvement. Si la procédure est perdue, les avocats ne touchent rien.

Selon maître Laratro, les précaires italiens ne sont pas forcément demandeurs de CDI, soit parce qu’ils savent que ceux-ci ont à peu près disparu des nouvelles embauches, soit parce qu’ils préfèrent la mobilité : ce qu’ils veulent, c’est une stabilité économique suffisante pour bâtir leur avenir. Raison pour laquelle le principal cheval de bataille de San Precario est la réforme de la protection sociale.

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