Entretien

France : grève express

3 min
Adrien Mazières-Vaysse auteur de Entre représentation institutionnelle et action collective : la variété des pratiques syndicales dans un centre d'appel , Participations n° 5, 2013

Comment les salariés des centres d’appel en France se mobilisent-ils pour améliorer leurs conditions de travail ?

Adrien Mazières-Vaysse : Les obstacles sont nombreux. Le salaire moyen est faible, du niveau du Smic. Pour vivre, les salariés ont donc besoin de faire des heures supplémentaires ou de compter sur les primes. Ce qui donne au management un pouvoir dissuasif contre d’éventuels mouvements sociaux. Par ailleurs, ces salariés travaillent souvent en horaires décalés les uns par rapport aux autres. À la différence des usines où les ouvriers entrent ensemble, ce qui facilite la distribution de tracts, les représentants du personnel ou les délégués syndicaux des centres d’appel ont du mal à toucher les salariés. D’autant que les entreprises de ce secteur n’ont pas de tradition syndicale. Enfin, en cas de menace de grève, la direction peut rediriger les appels vers d’autres centres, à l’étranger notamment. Ainsi, la plus importante entreprise française du secteur, Téléperformance, dispose d’implantations en Tunisie, au Maroc ou au Sénégal. C’est pourquoi les salariés des centres d’appel ont développé des grèves surprises, d’une heure généralement. Elles sont légales puisque dans le secteur privé, le dépôt d’un préavis n’est pas obligatoire. Et leur courte durée ampute très peu la rémunération des grévistes. En revanche, un arrêt, même bref, désorganise l’activité du centre pour le reste de la journée. L’entreprise doit alors payer des pénalités à ses donneurs d’ordre puisqu’elle n’a pas respecté le quota d’appels qu’elle est contractuellement supposée passer.

Comment s’organise une grève surprise ?

A. M.-V. : Il est très difficile de convoquer une assemblée générale puisque les salariés ne sont pas tous là ensemble et que le vote d’une grève provoquerait le déroutage des appels. Mais dans le même temps, les organisations syndicales souhaitent que la grève soit démocratiquement approuvée par le personnel. Leurs délégués ont donc des conversations individuelles avec les salariés pour recueillir leur avis. Si ce sondage est concluant, ils lancent seuls le mouvement en espérant qu’il sera suivi. Et c’est l’arrêt de travail qui permet de délibérer entre salariés et de légitimer a posteriori le mouvement. Alors que dans une usine, l’assemblée générale permet la grève, dans les centres d’appel, c’est l’inverse.

Les mouvements de grève favorisent-ils la syndicalisation des salariés ?

A. M.-V. : Le taux de syndicalisation est très faible dans les centres d’appel. Qui plus est, le turn over des salariés, souvent jeunes et diplômés de l’enseignement supérieur, est élevé. En tout cas, il l’était avant la crise. Car ceux qui étaient entrés dans ces entreprises en pensant n’y faire qu’un bref passage sont souvent restés, faute de trouver un emploi ailleurs. Cette pérennité peut inciter certains salariés à s’investir dans l’amélioration des conditions de travail et à réclamer une plus grande consultation du personnel dans l’organisation des tâches. À cet égard, les mouvements de grève favorisent la naissance d’un collectif, de projets communs, même si cela ne se traduit pas le plus souvent par un engagement syndical.

Propos recueillis par Yann Mens

À la une

Laisser un commentaire
Seuls nos abonnés peuvent laisser des commentaires, abonnez-vous pour rejoindre le débat !