Portugal : les Inflexibles veulent dicter la loi

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La précarité n'est pas tombée pas du ciel, elle est en partie le fruit de décisions politiques. Dès lors, pour les défenseurs des "reçus verts", le combat doit aussi se mener à l'Assemblée.

Au Portugal, comme ailleurs, chaque 1er mai, les organisations syndicales défilent pour la fête des travailleurs. En 2007, cependant, un groupe de militants décidait de lancer à Lisbonne sa propre manifestation, comme dans d’autres villes européennes : un Mayday spécifiquement consacré aux travailleurs précaires. À l’époque, peu de Portugais parlaient de "précarité". Pourtant, les relations de travail étaient déjà en train de changer dans le pays, notamment à travers la croissance du nombre de "reçus verts". Cette expression, dérivée du nom du reçu qu’ils émettent pour être payés par une entreprise, désigne des travailleurs indépendants. Du moins, en principe. Car en pratique, beaucoup travaillent dans les mêmes conditions que des employés en CDI, mais sans avoir droit au treizième mois, ni aux congés payés, ni aux indemnités de licenciement puisqu’ils n’ont pas de contrat de travail.

Au fil des ans et des effets de la crise, les militants du 1er mai 2007 ont créé le mouvement Precários Inflexíveis ("Précaires inflexibles", PI) qui regroupe aujourd’hui un noyau dur de 250 personnes, mais mobilise un nombre plus important d’activistes. "En 2007, on nous expliquait déjà que la précarité répondait aux demandes des jeunes qui ne voulaient plus garder le même travail toute leur vie. Et qu’en outre, cela permettrait de créer des emplois", rappelle Ricardo Vicente, un des porte-parole du mouvement. Aujourd’hui, les travailleurs précaires de tout type ("reçus verts", intérimaires...) représentent près d’un quart de la population active portugaise. Les PI se sentent plus nécessaires que jamais, car "cette augmentation de la précarité favorise la détérioration des conditions de travail et la chute des salaires", explique le militant. Longtemps simple réseau, le mouvement s’est véritablement formalisé en 2012 pour obtenir plus facilement le droit d’organiser des manifestations sur la voie publique notamment, et pour mieux assurer son organisation interne (élection d’organes représentatifs, financement...).

Manifestations victorieuses

En 2012, les PI ont contribué avec d’autres groupes, à organiser la manifestation du 15 septembre, qui a réuni près d’un million de personnes (dans un pays qui compte moins de onze millions d’habitants) dans les rues de plusieurs villes pour protester contre les effets des politiques de rigueur auxquelles le pays est soumis sous la pression de ses créanciers internationaux, mais aussi plus spécifiquement pour rejeter le projet du gouvernement d’augmenter les cotisations sociales payées par les salariés et de baisser celle des employeurs. Un projet pourtant critiqué par les employeurs eux-mêmes, inquiets de ses effets sur la consommation. La mobilisation massive a fait reculer le pouvoir conservateur.

Surtout, en juillet dernier, les PI ont réuni, avec quatre autres mouvements, 40 000 signatures pour présenter, ainsi que le permet la Constitution, une initiative législative citoyenne (la deuxième de la démocratie portugaise) contre les faux "reçus verts" et contre le recours abusif à l’intérim ou aux CDD. Bien que les députés aient rejeté cette proposition, ils en ont approuvé une autre, à l’unanimité, qui combat la prolifération des faux "reçus verts". Dorénavant, si l’inspection du travail repère qu’un présumé travailleur indépendant est employé dans les mêmes conditions (horaires, présence sur le lieu de travail...) qu’un salarié en CDI, l’employeur aura dix jours pour régulariser la situation par la signature d’un contrat de travail. Il reste à voir comment le texte sera appliqué, mais pour les PI, c’est une première victoire. "Nous avons donné une voix à des centaines de milliers de travailleurs", se félicite Ricardo Vicente. Outre les conditions de travail, les PI sont de farouches défenseurs des systèmes publics de santé, d’éducation et de transport. "Ce sont des formes de salaire indirect pour tous les travailleurs", explique Ricardo Vicente. Si les PI se déclarent "non partisans" et disposés à dialoguer avec toutes les forces politiques et syndicales, leurs positions sont claires : ils refusent les accords signés par le pays avec ses créanciers internationaux et souhaitent la chute du gouvernement conservateur.

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