Accompagnement social : la maison au coin de la rue
L'association Hors la Rue accueille chaque jour les jeunes migrants, majoritairement roms, errant dans les rues de Montreuil et Paris, et leur propose leçons de français et activités sportives. Une mission loin d'être évidente, tant leur méfiance est grande.
Dans la grande salle du foyer de l’association Hors la Rue, à Montreuil, Moussa, Malien de 17 ans, Vassile, Roumain de 16 ans, et d’autres mineurs étrangers épluchent les légumes aux côtés des bénévoles qui viennent de leur donner un cours de français. Ils partageront ensuite la blanquette de veau avant de retourner, pour certains d’entre eux, dans la rue.
"Sur les 200 personnes que nous suivons au cours d’une année, les trois quarts sont des Roms, qui vivent souvent, en famille ou avec des connaissances, dans des bidonvilles en Île de France", explique Guillaume Lardanchet, 32 ans, directeur de l’association. Hors la Rue accueille quotidiennement une quinzaine de jeunes de 10 à 18 ans dans son centre de jour, dont un tiers de filles. Ils y trouvent des douches, deux lave-linge, des ordinateurs, des canapés noirs pour récupérer des nuits sans sommeil, des livres illustrés, un antique baby-foot. Et surtout l’attention de douze salariés - dont deux éducateurs roumains - et dix bénévoles qui les prennent enfin pour ce qu’ils sont : des enfants et des adolescents, jetés trop tôt dans un monde adulte.
Régulièrement, les équipes de l’association partent à la rencontre des mineurs dans les rues de Paris ou de Seine-Saint-Denis, dont beaucoup sont des Roms de Roumanie. Certains mendient Gare du Nord, d’autres volent des téléphones portables, pour le compte d’un réseau ou de leur famille. La nuit, quelques-uns se prostituent. Il faut bien rembourser la dette contractée par les parents pour venir en France, ou pour vivre tout simplement.
Errance et déshérence
"La société les voit comme des délinquants, mais ce sont d’abord des victimes ! Nous leur expliquons que nous sommes là pour les écouter et les aider s’ils le souhaitent", poursuit Guillaume Lardanchet.
Difficile pourtant d’obtenir leur confiance, surtout quand ils sont en groupe. "Ayant souvent grandi sans repère, ils n’ont pas toujours conscience de leurs propres intérêts, et encore moins de leurs droits. Certains ne savent pas ce qu’est une école. Ils sont dans la survie au jour le jour", ajoute Séverine Canale, une des permanentes. Du coup, beaucoup de mineurs restent indifférents aux offres de service des ONG.
"S’ils se confient à nous, ils éprouvent un conflit de loyauté vis-à-vis de leur famille ou de leur réseau, qu’ils ont l’impression de trahir", constate le directeur de Hors la Rue. Et quand, enfin, le contact est établi et la confiance naissante, le groupe disparaît parfois dans la nature à la suite d’une opération policière ou de la démolition de leur camp de fortune par les autorités... Rares sont ceux qui retournent alors en Roumanie. Certains vivent en France depuis près de dix ans, sans toujours maîtriser la langue, dans un état d’errance forcée - et non de nomadisme choisi comme on le croit souvent.
Certains jeunes pourtant deviennent des habitués du centre de jour. L’après-midi, des activités ou des sorties culturelles sont organisées. Des associations sportives les accueillent. On teste actuellement la "boxe éducative", où le premier coup de poing n’est autorisé qu’à la dernière séance, après avoir intégré le respect des règles et du partenaire. Également appréciée : l’escalade. On y apprend le dépassement de soi et la confiance. Il en faut quand vous avez le sentiment que votre sécurité dépend du camarade ou du moniteur qui tient la corde à laquelle vous êtes suspendu. Et quelle fierté quand l’éducateur vous confie la corde pour l’aider à grimper à son tour ! "Nous observons leur comportement. Cela peut être utile lorsque nous rédigeons une note éducative pour la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui nous envoie quelques-uns des jeunes accueillis ici, après qu’ils ont été condamnés pour des petits délits", explique Guillaume Lardanchet.
L’association est financée par des subventions d’État (50 %) et des collectivités locales (la ville de Paris et le conseil général de Seine-Saint-Denis). Dans le cadre du dispositif Versini d’aide à l’enfance, créé en 2003, Hors la Rue est chargée du repérage des mineurs. Elle les oriente, le cas échéant, vers des structures d’accueil et d’hébergement.
"Nous ne sommes qu’une passerelle vers l’Aide sociale à l’enfance, un jalon d’un long parcours qui peut, si tout va bien, les conduire à un apprentissage et un emploi", insiste le directeur. "Beaucoup disparaissent de nos radars. Nous devons nous satisfaire de petites joies quotidiennes, comme le simple fait que le jeune revienne le lendemain. On leur permet de vivre leur vie d’enfant pendant quelques heures, volées à la rue."