Opinion

Trop polio pour être honnête

4 min
Rony Brauman Ancien président de Médecins sans frontières

En l’espace d’une génération, le nombre de cas de poliomyélite dans le monde a chuté de quelque 350 000 cas déclarés annuellement à 220. Succès remarquable, rendu possible par l’existence d’un vaccin efficace, bon marché et facile à administrer par voie orale, ainsi qu’au volontarisme des acteurs de santé publique internationaux et locaux. La découverte récente d’un foyer épidémique en Syrie vient pourtant nous rappeler que, bien qu’à un très bas niveau, l’épidémie demeure active. Est-il possible d’éradiquer la polio, à l’instar de la variole ? Rien n’est moins sûr, les modalités de survie et de propagation de ces virus différant par bien des aspects, mais c’est aux obstacles sociopolitiques rencontrés, non aux objectifs finaux, que je m’intéresserai ici1.

Près de la moitié des nouveaux cas mondiaux se trouvent au nord du Nigeria, où la couverture vaccinale est notoirement insuffisante et où la campagne s’est heurtée à une forte opposition. En 2003 en effet, alors que les efforts de vaccination contre la polio s’intensifiaient, des leaders politiques et religieux musulmans appelèrent à la boycotter, arguant que le vaccin était contaminé par des hormones provoquant la stérilité, par le virus du sida ou encore qu’il était cancérigène. D’autres responsables religieux eurent beau contester ces affirmations infondées et promouvoir la vaccination, la méfiance persista. Si le mot d’ordre de boycott fut finalement levé en 2004, les rumeurs et oppositions n’ont pas disparu pour autant, nourries par la répétition des campagnes, année après année.

L’obscurantisme religieux explique-t-il à lui seul ce rejet ? Rien n’est moins sûr. Dans un contexte où la confiance envers les autorités et l’accès à des soins médicaux de base sont quasi inexistants pour la population concernée, l’imposition insistante, voire agressive, d’un geste préventif concernant une menace considérée par elle comme virtuelle est entachée de soupçons. Par ailleurs, le vaccin étant fabriqué à partir d’un virus vivant atténué, il entretient la présence de virus dans l’environnement, lesquels peuvent donner lieu à des foyers épidémiques dérivés. Contrairement à la vaccination antivariolique, celle-ci doit être par conséquent répétée d’année en année. De plus, administré à des sujets dont les défenses immunitaires sont affaiblies, le vaccin peut lui-même être à l’origine de la maladie qu’il vise à prévenir. Il y a donc de bonnes raisons à la suspicion d’une population envers ces équipes venant à domicile sans y être invitées, pour faire absorber aux enfants quelques gouttes d’un liquide aux propriétés rien moins qu’évidentes.

Au Pakistan, autre pays où la polio est présente, l’emploi de faux vaccinateurs pour repérer la maison de Ben Laden n’a fait qu’aggraver les choses. Plusieurs vaccinateurs ont été assassinés cette année dans ce pays. Non revendiqués, ces crimes furent attribués aux talibans qui avaient également appelé au boycott de la vaccination, en suspendant sa reprise à l’arrêt des frappes de drones. Ceux-ci, après tout, tuent plus d’enfants que la polio !

Le caractère barbare de ces meurtres a occulté le bien-fondé de questions posées par les opposants à cette campagne autoritaire : pourquoi dépenser tant d’argent et d’énergie pour prévenir une maladie rare, quand bien plus d’enfants meurent d’infections banales dont nul ne semble se préoccuper ? Pourquoi répéter les prises jusqu’à dix, voire vingt fois, si le vaccin est si efficace ? Évacuer ces questions pertinentes et les doutes légitimes qui les sous-tendent par l’accusation d’obscurantisme ne peut que renforcer les méfiances. Si justifiable que puisse être une mesure de santé publique, elle suppose des choix et c’est pourquoi elle ne peut être au-dessus de toute interrogation. Au fait, le refus de toute question n’est-il pas la vraie marque de l’obscurantisme ?

  • 1. Pour une analyse d’ensemble de cette campagne d’éradication : Le dernier mile. Faut-il encore croire en l’éradication de la poliomyélite ? [http://goo.gl/U2aNLo], par Claire Magone, La vie des idées.

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