Cavalier seul

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Elle est belle la France quand elle est virile, vous ne trouvez pas ? Quand elle lève le menton et darde son regard d’acier sur ses voisins pour leur en imposer avec sa grosse voix de vieille puissance qui en a commandé d’autres. Parce que quand même, ce n’est pas n’importe qui la France, non mais ! Vous ne sentez pas qu’instantanément tous les autres en Europe se mettent en rang, le petit doigt sur la couture du pantalon pour la suivre jusqu’au bout du monde. Vous le ne le sentez vraiment pas ? Ben, Pierre Lellouche non plus. Et visiblement, ça l’exaspère, le député de Paris. Il ne l’a pas caché en passant à Bangui le 18 février. Il était allé en République Centrafricaine avec d’autres parlementaires pour se rendre compte de la situation (compliquée) dans ce pays où la France a déjà envoyé 1 600 soldats, et bientôt davantage, pour essayer d’empêcher des massacres. Et même un génocide, selon Laurent Fabius. Qui n’a peut-être pas choisi le terme approprié, mais qui n’a pas oublié qu’au Rwanda, la France de François Mitterrand avait (au mieux) regardé ailleurs pendant quelques mois tragiques il y a juste vingt ans. "Qui sont les alliés de la France dans cette affaire ?", a demandé très colère Pierre Lellouche depuis Bangui en louchant sur toute l’Europe à la fois. Puis il a déclaré d’un ton définitif : "La solitude française doit cesser dans ce type d’opérations". C’est comme si c’était fait, Monsieur le député... Paris a décidé et bien agi. Les autres n’ont qu’à suivre. Il n’y a qu’un problème, mon général : ils n’ont pas très envie et la France n’a pas les moyens de les obliger. Déjà, au début de l’opération Sangaris en décembre, quand François Hollande avait affirmé un peu vite que cela devrait ne rien coûter au contribuable français parce que l’Europe paierait, les voisins avaient ouvert des yeux comme des phares, puis toussoté poliment en rigolant sous cape, vu que ce n’était pas vraiment vrai. Depuis, ils ont dit qu’ils pourraient envoyer environ 900 hommes en République centrafricaine, mais tout le monde loin de là n’est pas volontaire et on se hâte lentement. "Ça vient, ça vient !", dit régulièrement Lady Ashton qui à Bruxelles est chargée de battre le rappel. On peut évidemment condamner ce manque d’empressement à aller empêcher des tueries de masse. Ou au moins, à essayer au risque d’y laisser sa peau. Mais c’est comme ça. Peut-être que nos voisins ne croient pas qu’intervenir militairement dans des guerres étrangères, en Afghanistan par exemple, en change vraiment l’issue. Peut-être qu’ils ne se sentent pas concernés par ce qui se passe au sud du Sahara au point de donner la vie de leurs soldats (surtout quand il faut demander la permission du Parlement avant d’enfiler le parachute). Au Mali, Paris pouvait à la limite expliquer que les jihadistes risquaient de remonter vers le Nord et de traverser la Méditerranée pour faire kamikazes de ce côté-ci. Mais les Centrafricains se zigouillent entre eux sans invoquer al-Qaïda à tout bout de pogroms. Et il y a même des assassins qui se proclament bons chrétiens. Alors... Peut-être aussi nos voisins se disent-ils in petto que chacun n’a qu’à s’occuper de ses anciennes colonies et que les guerres tropicales seront bien gardées. Après tout, quand c’étaient les Sierra Léonais qui se machettaient au début des années 2000, les Français ont laissé les Anglais tirer les premiers. Il faudra juste penser à rappeler Berlin si un de ces jours, c’est en Namibie qu’on s’étripe. En tout cas, quitte à faire du chagrin à Pierre Lellouche, pour que nos copains changent d’avis, il va falloir les con-vain-cre. La discipline des autres n’est plus la force principale de l’Hexagone. C’est tout à son honneur d’essayer d’arrêter des tueries sans attendre d’avoir réuni ses vingt-sept voisins de palier. Mais autant qu’elle le sache : demain, la France risque à nouveau de se sentir seule "dans ce type d’opérations".

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