Julien Campredon : ce diable de Catalan

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Julien Campredon, est un "jeune écrivain vieillissant", auteur de nouvelles parues chez Pocket, Toussaint-Louverture, L'atelier du gué ou Léo Scheer. "Persuadé que seule la modernité et l'innovation sortiront le pays de l'abîme, il écrit rarement sur Paris, jamais sur Venise. Il vit au nord de la Catalogne du sud", écrit un roman de chevalerie, et travaille sur des projets audiovisuels.

Entendu dans un salon du livre :
- Je n’aime pas les Catalans ! Lors des voyages linguistiques avec le lycée, dans les familles, ils ne parlent que catalan. Même la télé est en catalan !
- Vous devriez envoyer vos élèves à Madrid...
- Certainement pas, c’est trop cher !

Je voudrais vous livrer ici, de Gérone à Barcelone, ma carte postale intime, loin des préjugés dont est affublé le Catalan. Il faut savoir qu’un dictionnaire languedocien lui donne le diable pour synonyme, et en Italie, traumatisée par des invasions médiévales, on l’invoque pour faire peur aux enfants.

Ma vision de ce que, jusque-là, je ne prenais que pour une province espagnole a changé avec l’arrivée à Toulouse d’une collègue catalane de mon épouse et de son mari. Celui-ci préparait une bande dessinée et avait un français déplorable. Il francisait simplement son catalan en imitant notre accent la bouche en cul-de-poule, persuadé que cela suffisait.

- Moi, je suis Catalan, je suis très escatologique.

M’a-t-il dit lors de notre première rencontre, puis a embrayé sur toutes les théories envisageables autour du 11-Septembre, ignorant superbement le tabou absolu autour du complotisme qui règne chez nous, précisant aussitôt que la seule valeur historique du 11-Septembre était celle de la commémoration de la chute de Barcelone en 1714 aux mains des Bourbons. À mon tour, j’ai voulu évoquer la guerre civile et le franquisme, ça les a gênés, eux qui dans la discussion semblaient si à l’aise à traiter de nationalisme ou de caca, sujets que pour le coup j’avais trouvé beaucoup plus dérangeants. Bref, très exotiques les uns aux yeux des autres, nous sommes très vite devenus amis.

Ainsi je me suis mis à fréquenter la Catalogne à Toulouse, de l’autre côté du canal du Midi, au treizième étage d’un immeuble des années 1960, réplique parfaite de ceux qu’à Barcelone les autochtones affectionnent tant. Nos Catalans s’y installèrent au moment où un couple d’amis français "bon goût" arrivaient à Barcelone. Eux ne comprenaient pas que les Barcelonais n’habitent pas la vieille ville. On les a prévenus, attention, dans ce quartier il y a des putes, de la drogue, et des rats. Lorsqu’ils ont eu un enfant, ils ont déménagé un peu à cause des putes, mais surtout de la drogue et des rats. De même à Toulouse, on a conseillé à mes amis catalans de trouver un appartement dans les quartiers historiques. Ils ne nous ont pas écoutés, au pied de leur immeuble en béton, il y avait les putes, la drogue, et les rats.

C’est sûr, nous avons un rapport au monde différent.

Quand tous les Toulousains fumaient du tabac espagnol ou andorran, mon ami n’y songeait jamais et l’achetait en bas de chez lui. Le jour, il laissait ses canaris voleter dans son salon, sirotant tasse sur tasse de café en capsules.

- El cafè francès és aigua bruta de merda. ("Le café français est une eau sale de merde.")

Malgré une bonne situation en France et la crise qui s’abattait sur toute l’Espagne, le mal du pays les a poussés à rentrer à Barcelone, emportant souvenirs, capsules et canaris. À peine installés dans le Barri Sant Andreu, ils ont posé leurs souvenirs sur une étagère, et la cage sur le nouveau balcon. Benvinguda a Barcelona, home ! Bienvenue à Barcelone, semblait crier la ville tandis qu’une fulgurance déchirait le ciel : la municipalité venait de lâcher un de ses faucons éradicateurs de pigeons. Celui-ci a décapité un des canaris et arraché la cuisse du second.

Faucon fulgurant catalan 1 - canaris souvenirs français 0.

Avec eux, j’ai appris que du moment que quelqu’un trouve le café français dégueulasse, c’est qu’il ne pense pas comme nous. Idem avec la question linguistique : une apostrophe directe en castillan signifie aux yeux des Catalans que l’on ne s’intéresse pas à leur catalinité ; si, polis, vous vous essayez à trois mots dans leur langue, ils répondront en castillan, présumant qu’en tant qu’étranger vous le maîtrisez mieux que le catalan.

Cette fierté nous est incompréhensible, car avec son indépendantisme pacifique, les Catalans remettent en cause la doxa française. Pour eux la nation préexiste à l’État, quand chez nous ce serait l’inverse. Loin de l’acception qui est la nôtre, ils sont nationalistes comme un Français ne pourra jamais le comprendre, car il s’agit d’un sentiment que nous n’éprouvons pas. Cela nous place dans la position de robots face à la notion d’amour ou d’art, nous ne pouvons qu’admettre, ou pas, car nous avons choisi de détruire, lors de la Révolution, tout attachement autre qu’administratif à un territoire. Pour le visualiser, allez à Gérone. Là-bas, si vous ignorez ce qu’est l’Estelada, la bannière indépendantiste, vous ne pourrez plus l’oublier : c’est comme le drapeau catalan aux bandes rouges et or, le triangle bleu cubain frappé de l’étoile blanche en plus. Elle y est pendue à chaque fenêtre, chaque balustrade, ici on n’est pas en Espagne, c’est écrit partout dans la ville. À l’internationale Barcelone, je préfère cette cité à taille humaine, universitaire, commerçante, propre sur elle et très indépendantiste. Un pont Eiffel nous rappelle que la France n’est pas loin.

Or en France aussi nous avons nos Catalans, ou du moins des retraités qui se sont échoués en terre catalane par héliotropisme. Les commerces y sont fermés, les villages morts, les jeunes ont fui et, bien entendu, on empaille les derniers locuteurs pour se souvenir qu’il y en a eu. Peut-être que les Roussillonnais auraient dû se placer sous la protection de Sant Narcis... En effet, une légende à Gérone veut qu’un nuage de mouches tueuses sorties de la relique de Sant Narcis ait sauvé la ville d’une invasion française au temps de Philippe le Hardi. Sans cela, Gérone serait devenue française, raconte-t-on.

Je voudrais ici conclure ma carte postale, ce que je ne peux faire sans évoquer le caganer, santon traditionnel que l’on place dans les crèches catalanes et qui, littéralement, chie. Aujourd’hui les sculpteurs les déclinent à l’effigie de gens connus, tel François Hollande ou Angela Merkel. On pourrait imaginer Sant Narcis en caganer, des baskets indépendantistes de la marque Vams aux pieds.

Moi aussi, j’aimerais porter des Vams au motif d’Estelada, mais ça risque d’être compliqué parce que, par correspondance, je ne suis pas sûr de prendre la bonne pointure ; le pied si sage du Français correspond-il au pied catalan ? Rien n’est moins sûr, ces diables de Catalans ont probablement le pied fourchu...

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