Opinion

La tentative afghane de Pékin

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Christophe Jaffrelot Directeur de recherche CERI-Sciences Po/CNRS

Le retrait américain d’Afghanistan n’aura finalement pas l’ampleur que beaucoup redoutaient, Washington et les nouveaux dirigeants à Kaboul - le président Ghani et son Premier ministre Abdullah, intronisés en septembre 2014 - ayant signé l’accord que refusait le précédent chef de l’État, Hamid Karzai : il restera donc environ 9 800 soldats américains en Afghanistan au-delà du 31 décembre 2014, ils se concentreront sur la formation des militaires afghans. Si depuis novembre 2001, les États-Unis ont mis Al-Qaïda hors d’état de nuire - en tout cas Ben Laden - et si aucun autre attentat n’est venu frapper leur sol depuis cette partie du monde, la situation sur le terrain est nettement moins brillante. L’Afghanistan est toujours incapable de subvenir à ses besoins (60 % de ses dépenses sont alimentées de l’étranger) et les talibans font peser une menace immédiate sur le régime. Dans bien des régions du pays, ils exercent un pouvoir de fait, y compris en ville.

Comment l’armée afghane résistera-t-elle à la pression si les appels à la négociation que le président Ghani a lancés en vain aux talibans restent lettre morte ? Après le retrait américain, c’est sur les pays de la région - qui redoutent un effet de contagion en cas de retour des talibans - que risque de retomber le fardeau afghan. L’Inde, liée à Kaboul par un accord de partenariat stratégique, continuera sans doute à former des cadres afghans (y compris militaires), mais ne fera probablement pas beaucoup plus (sauf à livrer quelques armes). En novembre dernier, le président Ghani a d’ailleurs laissé paraître son impatience face aux lenteurs indiennes et il pourrait bien se tourner vers la Chine.

De fait, Pékin, longtemps silencieuse sur la crise afghane, a intensifié ses échanges diplomatiques avec Kaboul depuis 2012. Cela s’explique par le désir de protéger des biens économiques - telle une énorme mine de cuivre acquise en 2007 -, mais aussi par le problème ouïghour. Les Ouïghours, musulmans sunnites, vivent traditionnellement dans le Xinqiang, province de l’ouest chinois qui recèle un tiers des réserves de gaz, de charbon et de pétrole du pays. Un mouvement ethno-religieux de résistance s’y oppose à l’immigration massive de Hans (ethnie de la majorité de la population chinoise) dans la région et à l’oppression par Pékin. À mesure que la répression se radicalise, cette résistance prend une forme plus violente. Entre mai et septembre 2014, plusieurs centaines de personnes ont sans doute péri du fait d’une vague d’assassinats et d’attentats. Ces actions ont été attribuées à (ou revendiquées par) le Parti islamique du Turkestan, dont les liens avec les talibans et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (très implanté à la frontière afghano-pakistanaise) sont avérés.

Il est peu probable que la Chine déploie des troupes en Afghanistan ou lui livre des armes. Elle va plutôt chercher à renforcer Kaboul en lui promettant une collaboration économique accrue s’il obtient des résultats probants sur le front de la sécurité. Mais les sanctuaires des islamistes se trouvent plutôt du côté pakistanais... Sur le papier, la Chine, vieil allié d’Islamabad, dispose à son endroit de puissants leviers, d’autant que l’aide des États-Unis, autre parrain du Pakistan, a déjà diminué des deux tiers depuis 2010. Les pressions chinoises expliquent sans doute en partie l’opération que l’armée pakistanaise a lancée en juin dernier contre des bases islamistes au Nord-Waziristan. Cependant, si comme cela semble se dessiner, les Pakistanais ne s’y attaquent qu’aux "étrangers" (Ouzbeks, Ouïghours et autres) et épargnent les islamistes pakistanais liés aux talibans afghans dans l’espoir de voir ces derniers reprendre le pouvoir à Kaboul - et évincer ainsi les Indiens d’Afghanistan -, l’intervention chinoise n’aura pas contribué à la stabilisation de ce pays. Ce serait un signe de plus que les Chinois peinent à s’intéresser aux désordres mondiaux se situant au-delà de leur périphérie.

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