Economie

L’OMC malade du souverainisme

6 min

Comme arbitre des conflits entre ses membres, l'Organisation mondiale du commerce fonctionne, tant bien que mal. Mais sur la régulation des échanges, elle est en échec depuis dix ans.

Le directeur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC),Pascal Lamy, déclarait le 15 avril 2007 : "Si la situation n’évolue pas rapidement, les gouvernements devront affronter la déplaisante réalité de l’échec. L’échec, car nous n’aurons pas confirmé l’ensemble très significatif de mesures de libéralisation du commerce et de règles que nous avons déjà élaborées. L’échec, car nous n’aurons pas atteint les principaux objectifs de développement de cette négociation." Comme pour lui donner raison, le 29 juillet 2008, les négociations multilatérales ouvertes il y a sept ans à Dohacapotaient une nouvelle fois sur le dossier des soutiens à l’agriculture, qui oppose pays riches et en développement. L’OMC semble s’enfoncer dans la crise.

Cette situation doit cependant être relativisée. Même si la question de l’adhésion de la Russie n’est toujours pas réglée, des nations continuent d’entrer à l’OMC, dont dernièrement l’Ukraine (16 mai 2008), portant à 152 le nombre d’Etats membres. L’organe de règlement des différends (ORD), la cour de justice de l’OMC, continue d’être sollicité. Depuis 1995, 378 litiges (au 20 juin 2008) lui ont été notifiés. L’institution joue donc bien un rôle de régulation du commerce international, y compris au profit de pays pauvres. En février, la Thaïlande y a eu gain de cause contre les Etats-Unis qui lui imposaient des restrictions sur ses exportations de crevettes congelées.

Nombre de cas portés devant l’OMC (de 1995 à mi-2008)
Exportations mondiales, en milliards de dollars

Lobbies agricoles

Pour comprendrece qui se joue à l’OMC, il faut distinguer ses deux principaux rôles : celui de garant de règles commerciales auxquelles se soumettent les Etats membres, et celui de forum où se négocie la libéralisation des échanges internationaux.

Les membres de l’OMC se sont engagés à respecter des accords relatifs au commerce des marchandises et des services, qui incluent des dimensions telles que la protection de la santé humaine ou animale ou le respect de la propriété intellectuelle. Ces accords, dont l’adoption requiert l’unanimité des Etats membres, relèvent de deux logiques : à des principes fondamentaux - comme l’obligation de négocier - s’ajoutent des règles de "bonne conduite" qui établissent une forme de concurrence loyale entre les membres de l’OMC (interdiction des subventions à l’exportation dans le secteur industriel, du dumping...).

Afin de résoudre les différends qui surgissent lorsqu’un membre considère qu’un autre n’a pas respecté un accord, l’ORD peut être mobilisé. Cette procédure, dont les étapes sont soumises à un calendrier contraignant, privilégie la négociation et ses résultats sont globalement satisfaisants : un quart des différends aboutissent à un compromis. Certains d’entre eux néanmoins s’éternisent : l’Union européenne et les Etats-Unis s’affrontent depuis 1999 dans une histoire à rebondissements sur le boeuf aux hormones (l’UE interdisant l’administration d’hormones de croissance au cheptel bovin) et le régime douanier de la banane (l’UE cherchant à préserver les bananes des pays d’Afrique et des Caraï­bes de la concurrence de la banane "dollar" latino-américaine).

Jouer les arbitres est une chose. Revoir les règles du jeu, une autre. Après l’échec de la conférence ministérielle de Seattle, en 1999, marquée par un premier front du refus des pays du Sud, il est apparu nécessaire de mieux intégrer les préoccupations des pays en développement dans les négociations. D’où l’ouverture, le 1er janvier 2002 dans la capitale du Qatar, d’un nouveau cycle de négociations baptisé Programme de Doha pour le développement. Les discussions devaient initialement s’achever au début de 2005, mais il est rapidement apparu qu’un accord sur une libéralisation accrue des échanges serait difficile, voire impossible à trouver. En cause, notamment, le dossier agricole, extrêmement sensible pour les pays du Sud et sur lequel ils n’hésitent plus, depuis Seattle, à se montrer offensifs. Le débat porte sur la très forte intervention publique des Etats-Unis et de l’Union européenne en faveur de leurs agriculteurs. Des aides qui rendent leurs exportations très compé­titives, ce qui a pour effet d’évincer les pays en développement des marchés mondiaux, mais aussi de concurrencer très sévèrement les producteurs locaux sur leurs propres marchés. Les pays en développement, qui ont pourtant des inté­rêts divergents (le Brésil cherche à accroître ses exportations, l’Inde à protéger ses producteurs), demandent donc aux pays du Nord un abandon de leurs aides publiques à l’agriculture. Ce qui, dans les négociations, conduit les pays riches à réclamer en contrepartie aux pays du Sud qu’ils s’ouvrent davantage aux importations de services et de produits industriels. Le principe de base des négociations à l’OMC est en effet la rencontre d’offres et de demandes d’ouvertures commerciales. Pour que la négociation aboutisse, il est nécessaire que les parties obtiennent toutes un gain net. Or, vu le niveau de l’intervention publique au Nord en faveur de l’agriculture et la fermeture de certains marchés sensibles, par exemple le coton aux Etats-Unis, les pays du Sud doutent de l’existence de gains substantiels en leur faveur. La conférence de Hong Kong, en 2005, n’avait pu que constater les divergences de vues. Après la suspension des négociations en 2006, il y eut de nouvelles tentatives de relancer le cycle de Doha, avec des avancées minimes.Des projets de compromis (agricoles et industriels) ont été élaborés en 2008 sous l’impulsion de Pascal Lamy, mais le dossier agricole continue d’achopper.

Et pour cause. L’adoption en mai 2008 par le congrès américain de la loi d’aide à l’agriculture (Farm Bill) - 307 milliards de dollars de subventions pour les cinq prochaines années, auxquels s’ajoutent des protections spécifiques pour le lait et le sucre notamment - est le signal clair que les Etats-Unis refusent de répondre aux demandes des pays du Sud. De la même manière, Nicolas Sarkozy a pris position le 30 juin 2008 contre Peter Mandelson, le commissaire européen au commerce, accusé de négocier à l’OMC un affaiblissement de la politique agricole commune qui sacrifierait la production agricole "sur l’autel du libé­ralisme mondial". Ces prises de position résultent pour l’essentiel de la défense des intérêts particuliers de groupes de pression agricoles, très actifs aux Etats-Unis et en Europe, en France en particulier, et d’un important poids électoral.

Réciprocité

L’OMC est donc bien en crise, au sens où elle est aujourd’hui dans l’impossibilité de mener à bien une de ses missions essentielles : la libéralisation du commerce mondial. PascalLamy ne cesse d’appeler à la conclusion des négociations, estimant que "le commerce international peut jouer un rôle majeur dans la promotion du développement économique et la réduction de la pauvreté". L’existence d’un lien entre l’ouverture aux échanges internationaux et la croissance économique reste cependant l’objet de controverses. L’exemple des pays d’Asie du Sud-Est a montré que la croissance a été initialement obtenue grâce à une protection et une intervention publique significative, la libé­ralisation des échanges intervenant une fois que les base de l’économie sont bien établies. De plus, pour que les pays du Sud tirent un plus grand profit du commerce mondial, il faudrait que ceux du Nord ouvrent davantage leurs marchés, ce qui est précisément l’un des points de blocage : l’ouverture ne serait consentie qu’en échange d’ouvertures réciproques au Sud. Quoi qu’il en soit, on ne peut que constater une croissance très forte des échanges enregistrée pendant l’enlisement du cycle de Doha : entre 2000 et 2006, le taux de croissance annuel moyen des exportations mondiales était de 11 %. Une libéralisation supplémentaire est-elle vraiment nécessaire ?

Zoom ORD, mode d’emploi

En prenant la succession du Gatt (accord général sur les tarifs et le commerce) en 1994, l’OMC a introduit une innovation majeure : l’Organe de règlement des différends (ORD), sorte de tribunal de l’OMC. Le différend est examiné par un groupe spécial (panel) composé de trois experts et, en cas d’appel, par des spécialistes du droit du commerce international appartenant à l’organe d’appel. L’ORD peut juger qu’il y a eu manquement à une règle de l’OMC et dès lors demander à l’Etat n’ayant pas respecté ses obligations de se mettre en conformité. S’il s’y refuse, l’OMC autorise la partie lésée à prendre des mesures de rétorsion commerciale (comme le relèvement des tarifs douaniers) à son encontre. Sans déroger au principe de souveraineté de l’Etat, l’OMC offre ainsi un rare exemple de mécanisme de sanction en droit international.

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