Géopolitique

Obama : le Nobel, et après ?

6 min

Certes, le président américain a pris ses distances avec les politiques de son prédécesseur, en particulier dans le monde musulman. Mais rien ne garantit le succès de ses ouvertures.

C’est que le monde a changé et que nous devons changer avec lui ". Dès son discours d’investiture, le 20 janvier 2009, Barack Obama s’est empressé de proclamer sa volonté de changer l’image et renforcer l’influence des Etats-Unis à l’étranger. Son premier objectif semble avoir été largement réalisé. D’abord, l’arrivée du premier Africain-Américain à la Maison Blanche a enthousiasmé les populations - sinon toujours les dirigeants - du monde entier. Ensuite, ses premières décisions, comme l’interdiction officielle de la torture ou l’annonce de la fermeture de la prison de Guantanamo fin janvier 2010, ont rendu à l’Amérique son aura de championne des libertés que certaines des pratiques de l’équipe précédente avaient entamée.

Plus généralement, l’administration Obama a cherché à substituer au souvenir d’une équipe républicaine volontiers identifiée à l’unilatéralisme et au militarisme l’image d’une puissance soucieuse non plus de " dicter " mais " d’écouter ", ce qu’a bien résumé la formule " smart power ". Plus concrètement, l’administration a rompu avec l’équipe précédente sur deux grands dossiers : la prolifération nucléaire et le changement climatique. Proclamant son intérêt pour une dénucléarisation progressive de la planète, elle ne s’est pas contentée de répéter son hostilité aux efforts nucléaires de la Corée du Nord ou de l’Iran, mais a prôné la ratification par les Etats-Unis du traité d’interdiction complète des essais (Tice) et ouvert avec la Russie une négociation visant à améliorer le traité de réduction des armes stratégiques - START I, qui expire fin 2009 - en réduisant les plafonds imposés aux deux arsenaux nucléaires. Washington s’est également dit déterminé à s’impliquer " de façon robuste " dans la négociation d’un accord international qui devrait prendre la relève du protocole de Kyoto.

L’équipe d’Obama a aussi multiplié les initiatives pour " tendre la main " à tous ses interlocuteurs dès lors qu’ils ne garderaient pas leur " poing fermé " et proclamé sa volonté de relancer les relations avec le Kremlin, envenimées notamment par la situation en Géorgie, de travailler à " façonner le monde " avec Pékin, d’être plus à l’écoute, y compris sur le dossier cubain, de ses partenaires latino-américains, et de développer un nouveau partenariat avec les pays africains.

Zoom Washington a fait preuve de bonne volonté envers l’Iran

Jusqu’où Obama ira-t-il dans ses efforts d’ouverture envers Téhéran ? Il a multiplié les signes de bonne volonté, a affiché la plus grande prudence après la réélection d’Ahmadinedjad et répondu positivement à une proposition iranienne de conversation, sans doute dans l’espoir de trouver une solution à l’impasse des discussions sur l’enrichissement de l’uranium en Iran. Son administration semble toutefois ne guère nourrir d’illusions et surtout chercher à renforcer sa crédibilité quand elle réclamera d’autres sanctions au Conseil de sécurité. Restent deux questions : Washington pourra-t-il persuader des Israéliens toujours plus inquiets

de ne pas procéder à la frappe militaire qu’ils se disent prêts à effectuer si nécessaire ? Les dirigeants de Téhéran chercheront-ils à recouvrer une popularité très diminuée dans une relance des pourparlers ?

Zoom Washington concentre ses efforts sur "l’Af-Pak"

L’administration souhaite conjuguer la poursuite des frappes contre Al-Qaida et ses alliés talibans et un renforcement substantiel de ses forces en Afghanistan, avec la promotion d’un rapprochement entre l’Inde et le Pakistan (dans l’espoir, jusqu’ici vain, de convaincre l’armée pakistanaise de se concentrer sur le front afghan - et non plus sur le seul Cachemire). Washington compte surtout sur un effort civil important susceptible d’extirper les racines du terrorisme islamique (absence de services publics, corruption) tant au Pakistan qu’en Afghanistan, et de permettre l’ouverture d’un dialogue avec les talibans les plus modérés. Le travail à accomplir est impressionnant et exigera du temps et de l’argent. Les obtiendra-t-il de parlementaires - en particulier démocrates - toujours plus impatients ?

Retrait en Irak

S’il n’a pas affiché un intérêt débordant pour le Vieux Continent, le président n’a pas ménagé ses efforts pour séduire le monde arabo-musulman, n’hésitant pas à proclamer, lors d’un discours historique au Caire, son hostilité à la politique de colonisation israélienne. Il a confirmé son intention de transférer son attention de l’Irak - dont les troupes américaines devraient être retirées d’ici à la fin 2011 -, vers la zone Afghanistan-Pakistan (" Af-Pak "), qu’il avait toujours désignée comme l’aire du plus grand danger.

La nouvelle équipe est confrontée à un immense défi : préserver le mieux possible les intérêts des Etats-Unis et un minimum de stabilité dans un monde où la puissance est moins inégalement distribuée et où leur suprématie militaire ne leur assure qu’une influence limitée, tout en sortant le pays de la profonde crise économique où il est plongé et en procédant au redressement intérieur hors lequel ces objectifs seront toujours plus hors de portée. Mais sa tâche s’annonce d’autant moins facile que les menaces - et avec elles, bien des problèmes - n’ont pas changé, que renoncer à des politiques qui ont échoué n’est ni gage de succès ni sans danger et que, surtout, nombre des inflexions embrassées avaient été déjà amorcées.

Pour commencer, célébrer le multilatéralisme est beaucoup plus facile que le pratiquer. Ainsi, il reste à voir quel sort le Congrès réservera aux projets présidentiels en matière de réchauffement climatique et de désarmement nucléaire. En sens inverse, " écouter " les alliés ne suffit pas à les rallier. Pour preuve, les réticences des Européens à expédier en Afghanistan de nouveaux contingents ont contraint l’administration à y " américaniser ", bien loin de le " multilatéraliser ", l’engagement militaire.

Ensuite, si rien ne garantit le succès des ouvertures auxquelles l’administration Obama a procédé, celles-ci ont, elles, très vite perturbé tous ceux qui redoutent de faire les frais du nouveau " réalisme " qu’elle entend privilégier. Ainsi, alors que Moscou semble toujours aussi enclin à saisir toute occasion d’affaiblir l’hégémonie des Etats-Unis, les ex-membres du pacte de Varsovie s’inquiètent de gestes visant à s’assurer l’appui de la Russie. En particulier la Pologne et la République tchèque, après que Washington a renoncé, le 17 septembre dernier, à installer sur leur sol des bases antimissiles. Et si la Chine n’a encore rien accordé de concret en échange de la relation privilégiée que l’Amérique lui a fait miroiter, l’Inde ne peut que s’inquiéter de cette politique quand les Etats-Unis semblent plus soucieux que jamais de renforcer le régime pakistanais. La " main tendue " à Pyongyang et à Téhéran n’a jusqu’ici produit aucun résultat tangible (même si depuis l’élection d’Obama il est plus difficile pour les dirigeants de la République islamique de diaboliser l’Amérique), mais le nouveau positionnement américain face au régime et au programme nucléaire iraniens remplit déjà d’anxiété tant les régimes sunnites du Moyen-Orient que les Israéliens.

Continuités

Enfin, l’absence ou l’incertitude des résultats doivent d’autant moins étonner que, dans bien des cas, l’administration a moins innové que systématisé ou intensifié des inflexions que, consciente de l’impasse où ses choix antérieurs l’avaient acculée, l’Amérique de George W. Bush avait elle-même, avec plus ou moins de succès, esquissées. Celle-ci avait ainsi progressivement mis en sourdine son unilatéralisme, à partir de 2005, puis, à partir de 2006 et du triomphe électoral du Hamas, son missionnarisme. Dès le début 2007, surtout, elle avait largement embrassé, à travers le renforcement des troupes (" surge ") en Irak, la stratégie de contre-insurrection qui est au coeur de l’approche de la nouvelle administration - le maintien de Robert Gates à la tête du Pentagone et l’envoi de quelque 21 000 hommes supplémentaires en Afghanistan en attestent. Alors qu’en Irak, après le retrait des villes des troupes américaines de combat, en juin 2009, le succès de cette formule paraît loin d’être assuré, il reste à voir ses effets sur un Afghanistan où la corruption est des plus élevée, la situation politique et ethnique d’une extrême complexité et, plus indirectement, sur un Pakistan qui, en raison de son statut nucléaire, est un enjeu infiniment plus important. Sous cet aspect, la fraude électorale massive lors de la dernière élection présidentielle afghane, la persistance des pertes civiles lors des frappes militaires contre Al-Qaida et les talibans, et les réticences de l’armée pakistanaise à cesser de voir dans l’Inde l’ennemi le plus menaçant illustrent les limites du changement.

S’il a indéniablement changé l’image de l’Amérique (ce que l’octroi du prix Nobel de la paix semble avoir voulu saluer), Obama doit encore instaurer son leadership : en affirmant son autorité sur un pays toujours aussi divisé et en convainquant le monde que l’Amérique est la seule à même de l’empêcher de glisser vers un état d’anarchie lourd de périls.

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