Economie

Pays moins avancés : plus dur est le choc

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Les pays les plus pauvres souffrent, et de manière disproportionnée, des conséquences de la crise au Nord. Ils exportent moins et à plus bas prix, quand les financements étrangers se tarissent.

Pendant un temps, au début de la crise des subprimes en 2007, l’idée d’un " découplage " entre les pays riches et les pays émergents a pu séduire, selon laquelle la crise financière était une pathologie de pays riches, renvoyant aux défaillances de marchés devenus opaques et excessivement complexes. Elle ne devait donc pas toucher des pays aux systèmes financiers moins développés, a fortiori les " pays les moins avancés ", ces derniers étant moins insérés dans la mondialisation 1. Cette thèse n’a pas résisté longtemps aux faits. Pour eux, la crise se traduit par deux chocs : l’effondrement des recettes d’exportation et l’assèchement des financements internationaux.

Les revenus d’exportation sont affectés à la fois par un effet prix et par un effet volume : en réponse au ralentissement économique, le prix des matières premières baisse et les débouchés pour les exportations des pays pauvres, souvent concentrées sur un petit nombre de produits bruts, se contractent. Par ailleurs, les financements internationaux se sont fortement réduits. Les pays ayant accès aux marchés financiers ont subi une fuite des capitaux vers des investissements peu risqués, l’assèchement du crédit et le renchérissement du loyer de l’argent. Ce phénomène touche certes moins les pays qui n’ont pas accès à ces marchés, dont les PMA, mais pour eux aussi l’assèchement financier est très contraignant. Leur commerce est tributaire des crédits commerciaux 2 qui ont fortement souffert de la crise. Ils ont aussi subi la baisse des investissements directs étrangers (IDE) et des envois d’argent des travailleurs migrants à leurs familles. Selon le FMI, les IDE vers l’Afrique subsaharienne ont chuté de 21 % en 2008 (atteignant à peine 30 milliards de dollars) et pourraient encore baisser de 18 % en 2009. Bien que les envois d’argent des migrants soient moins instables que les autres flux, ils ont eux aussi marqué le pas. La Banque mondiale s’attend à ce qu’ils chutent de 7,3 % pour l’ensemble des pays en développement en 2009, alors que ces envois contribuent substantiellement à y soulager la pauvreté. Ils se réduisent en raison des licenciements et des pertes de revenus frappant les travailleurs immigrés dans les pays d’accueil, mais pourraient également être affectés par des politiques visant à restreindre de plus en plus les flux migratoires en réponse à la hausse du chômage.

Zoom PMA : 49 pays sur la liste

La catégorie des pays les moins avancés a été créée par l’Assemblée générale des Nations unies en 1971. Elle répond à des critères de revenu par habitant (900 dollars aujourd’hui) et à des critères socio-économiques. Constituée au départ de 25 pays, elle a été ensuite élargie pour atteindre 49 pays en 2009. Seuls deux pays se sont émancipés de cette liste, le Botswana en 1994 et le Cap-Vert en 2007. Samoa et les Maldives quitteront la liste respectivement en décembre 2010 et janvier 2011. La permanence des membres et l’élargissement de la liste témoignent de la réalité du sous-développement. Les PMA comprenaient 750 millions d’habitants en 2005 (950 millions en 2015), dont presque la moitié vivait avec moins d’un dollar par jour ; plus de 40 % de la population y a moins de 15 ans et l’espérance de vie y est en moyenne de 51 ans.

Etats aux abois

Les pays les plus pauvres ont ainsi connu une baisse sensible de l’activité économique. Après une croissance de 6,9 % en 2007 puis de 5,5 % en 2008, l’Afrique subsaharienne pourrait voir sa croissance se réduire à 1,5 % en 2009 - à comparer à un taux annuel d’accroissement de la population de 2,5 %. Dans plusieurs pays, la croissance par tête était déjà négative entre 1990 et 2006 (Niger, Zimbabwe, Guinée-Bissau par exemple), avant même que la crise actuelle ne les frappe. Ce ralentissement contracte aussi les recettes fiscales, donc la capacité des Etats à investir dans les biens publics et les infrastructures, et à développer les rudiments d’une politique sociale. Au-delà de ces évolutions macroéconomiques, la détérioration des conditions de vie pour une grande partie de la population des PMA exposée à l’extrême pauvreté est la résultante probable de la crise économique, menaçant de ruiner les avancées - insuffisantes - des vingt dernières années dans la lutte contre la pauvreté.

Flux de capitaux nets en direction des pays à faible revenu
Croissance du PIB par tête dans les régions en développement

La crise économique et financière est d’autant plus coûteuse pour les pays pauvres que la majeure partie de la population n’y a ni ressources propres ni protection sociale pour faire face à une diminution de ses revenus. La crise frappe donc les plus pauvres de façon disproportionnée. Mais si elle plonge de nouvelles personnes dans l’extrême pauvreté - 89 millions d’ici la fin 2010 selon les estimations les plus récentes 3 -, celle-ci préexistait. L’action nécessaire pour atténuer les impacts de cette crise dans les pays pauvres n’exonère pas pour autant les pays riches de continuer à les aider dans la recherche d’un développement durable fondé sur une croissance économique pérenne, sur la protection de l’environnement et sur la réduction de la pauvreté, même si les voies d’un tel développement restent encore mal connues.

En fait, la vision que l’on a du développement est biaisée : alors que les pays les plus industrialisés ne représentent qu’une minorité de la population mondiale, leur expérience de croissance est souvent pensée comme la norme, ce qui fait apparaître tout le reste comme un échec - l’histoire récente des pays émergents renforçant cette perception. En renversant la perspective, c’est le maldéveloppement qui apparaît comme le scénario le plus répandu - ce qui ne le rend évidemment pas souhaitable - et le développement comme un succès improbable, une concordance de phénomènes, de comportements et d’évolutions institutionnelles qui se nourrissent mutuellement dans une combinaison mal comprise. Du coup, la critique de l’efficacité de l’aide perd de son sens : comment attendre de l’aide au développement qu’elle suffise à initier ce processus vertueux et improbable ? Cela dit, faire en sorte qu’elle y contribue reste un objectif essentiel.

Les pays industrialisés ont donc dans cette crise une double responsabilité : adopter comme l’a préconisé le G20 une démarche clairement contracyclique, c’est-à-dire compenser - par des flux de ressources publiques plus nourris, tant bilatéraux que multilatéraux - la nouvelle aversion au risque des investisseurs, l’assèchement des financements privés et la baisse des ressources des pays en développement. Et, au-delà de cet effort nécessaire à court-terme, confirmer les engagements pris en 2000 par les Nations unies avec les Objectifs du millénaire pour le développement, puisque l’impact économique et budgétaire de la crise dans les pays donneurs eux-mêmes pourrait menacer le respect de ces engagements.

Dans le même temps, un renouvellement des pratiques de l’aide au développement est nécessaire. Les donneurs, en particulier, devraient faire preuve de modestie et d’agnosticisme quant aux déterminants du développement, surtout à un moment où la crise éclaire les limites de leur propre modèle et où les défis climatiques et environnementaux exigent de nouveaux modes de croissance.

Repenser la mondialisation

Pour de nombreux pays pauvres, aux marchés nationaux étroits et peu solvables, l’insertion dans la mondialisation, essentielle, reste très inégale. Pour faire de la place à leurs productions, il faut améliorer leur équipement en infrastructures, leur éducation et leurs conditions de vie, ouvrir davantage les marchés du Nord, accepter des politiques publiques actives (commerciales, industrielles et agricoles, comme l’ont fait les pays émergents et les pays riches pendant leur décollage) et contribuer à leur financement. La mondialisation pose aux relations Nord-Sud des défis similaires à ceux de l’intégration européenne d’une part, auxquels répondent les politiques structurelles, et à ceux de la cohésion nationale d’autre part, prises en charge par les politiques sociales. L’aide au développement est une façon d’y répondre.

  • 1. La situation des PMA est cela dit plus hétérogène que les grandes tendances présentées ici.
  • 2. Crédit de court terme pour produire un bien, remboursé une fois celui-ci vendu.
  • 3. Lire Protecting Progress: The Challenge Facing Low-Income Countries, Banque mondiale, 2009. Le seuil d’extrême pauvreté est de 1,25 dollar par jour et en 2005 1,4 milliard de personnes vivaient sous ce seuil, selon la Banque mondiale.

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