La couverture santé, toujours un luxe de riches

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Les pays du Sud restent très dépourvus de systèmes d'assurance-maladie et les mutuelles privées tentent de pallier les carences des Etats. Certains pourtant se mobilisent.

Le chiffre est sans appel : 20 % de la population mondiale ont accès à une couverture maladie, d’après le Bureau international du travail (BIT). Une minorité qui se concentre sans surprise dans les pays développés, où la part des dépenses publiques dans les dépenses totales de santé avoisine en général les 80 %. A l’inverse, dans les pays en développement, les ménages doivent bien souvent payer les soins - quand ils existent - directement de leur poche.

Dans les pays riches ou les ex-pays soviétiques, l’assurance-maladie est le plus souvent universelle et s’en rapproche dans nombre d’Etats intermédiaires : 75 % à 80 % au Mexique, par exemple. Cependant, ces taux élevés ne doivent pas masquer d’importantes disparités liées à la qualité des soins proposés. " Les ex-pays communistes avaient l’habitude d’offrir un système de santé gratuit mais son efficacité est loin d’être toujours au point, souligne Valérie Robert, économiste à l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). Et tout dépend de la définition du panier de soins, très variable selon les pays. Ainsi, au Canada, qui offre de bons services de santé, la prise en charge, définie au niveau fédéral, n’inclut pas le remboursement des médicaments, sauf pour les plus pauvres et les personnes âgées. " D’où des dépenses exorbitantes dont peuvent souffrir les classes moyennes.

Systèmes communautaires

Au Nord, ce sont surtout les Etats-Unis et leurs 45 millions d’habitants dépourvus de couverture maladie qui font figure de mauvais élève. " Ce chiffre équivaut à 15 % de la population, mais représente en réalité 19 ou 20 % des personnes en âge de travailler, précise David Carey, économiste de l’OCDE. Car au-delà de 65 ans, les personnes sont prises en charge par l’assurance publique Medicare. " Les plus pauvres, eux, bénéficient d’un système analogue, baptisé Medicaid. Pour les autres, ce sont les entreprises qui paient l’assurance-maladie, sur une base volontaire, mais beaucoup de petites sociétés n’en ont pas les moyens. Leurs salariés, comme les chômeurs, ne pouvant pas payer l’onéreuse cotisation d’une assurance individuelle, se retrouvent sans couverture. Alors que le coût des soins fait régulièrement basculer des Américains dans la pauvreté. Une étude récente publiée par The American Journal of Medecine montre que la chute dans la pauvreté était en 2007 liée à des problèmes médicaux dans plus de 60 % des cas, contre 46 % en 2001, ce qui témoigne en outre d’une aggravation du problème. Mais l’administration Obama a engagé - non sans peine - une réforme afin de parvenir à une couverture pour tous les Américains, comme l’avait promis le candidat démocrate (lire p. 104).

Distribution des dépenses totales de santé par habitant en 2006 (en dollars pouvoir d’achat)

Pour être préoccupante, la situation américaine reste sans commune mesure avec celle, bien plus alarmante, des pays en développement où la question de la couverture s’ajoute au problème global de l’accès aux soins. Pendant longtemps, la tendance a été d’importer le modèle d’assurance-maladie des pays développés. Mais les cotisations ne concernent le plus souvent que les salariés du secteur formel, qui concerne au maximum 5 à 10 % de la population, essentiellement les fonctionnaires. C’est pourquoi se sont multipliés depuis une dizaine d’années des systèmes d’assurance-maladie communautaires, appelés mutuelles de santé. Principalement implantées en Afrique, elles s’adressent aux plus pauvres, à qui elles proposent des primes peu élevées. En 2006, des chercheurs de la Société belge de médecine tropicale ont ainsi recensé 626 systèmes de ce type dans onze pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Mais l’impact est limité car les moyens des mutuelles restent très faibles. Seuls 2 millions d’Africains sont ainsi couverts, sur une population d’environ 900 millions de personnes.

Si de telles mutuelles sont aussi implantées en Asie, celle-ci a plutôt vu l’émergence de micro-assurances privées qui touchent 31,5 millions de personnes sur le continent. Mais les soins couverts sont restreints : d’après Oxfam, en Inde, sur les quatorze systèmes de micro-assurance recensés en 2005, " seuls neuf couvraient les dépenses d’hospitalisation " et " douze excluaient les maladies liées à l’accouchement et à la grossesse. "

S’ils couvrent certains risques et limitent les conséquences financières de certains événements - en réduisant des frais d’hospitalisation, par exemple -, ces régimes ne sont pas à la portée des plus pauvres. D’après une étude du Microinsurance Center, moins de 3 % des habitants des cent pays les plus pauvres avaient accès à des produits d’assurance en 2006. L’Organisation mondiale de la santé indique, elle, que plus de cent millions de personnes passent chaque année en dessous du seuil de pauvreté pour des raisons de maladie ou d’invalidité.

L’extension de la couverture maladie demande un investissement public fort. Certains pays à revenu intermédiaire commencent à mener des politiques actives dans ce domaine. En Colombie, le gouvernement a instauré des taxes sur les jeux, le tabac et l’alcool pour financer l’assurance-santé, tandis que la Chine a initié en 2003 une politique qui vise à exonérer les ruraux des deux tiers du montant à acquitter pour bénéficier de la sécurité sociale. Mais l’exemple le plus frappant, souvent cité, est celui de la Thaïlande. Ce pays a mis en place en 2002 un programme de couverture universelle, intitulé " 30 bahts par consultation " : les patients les plus pauvres ne paient que cette somme (0,62 euros) au centre de santé, qui reçoit une subvention du gouvernement.

Aide internationale

Cependant, les pays les plus pauvres, par exemple en Afrique, n’ont pas les moyens d’une telle politique. La question du financement ne peut être résolue, pour eux, que grâce à la solidarité internationale. Même si les motivations des pays pourvoyeurs d’aide, inquiets des impacts chez eux de pandémies mondiales, ne sont pas purement humanitaires, " ils considèrent désormais la santé comme un bien public, se félicite Christian Jacquier, chef de la coopération technique du département sécurité sociale du BIT. La protection sociale fait partie de leurs priorités et les grands programmes sanitaires mondiaux adoptent des approches dites diagonales : au Rwanda, le Fonds mondial contre le sida ne se concentre plus uniquement sur les pandémies, mais finance des primes d’assurance-maladie pour les plus pauvres. Ça pourrait servir de modèle. " D’autres solutions sont également envisagées, comme le principe d’une cotisation solidaire des habitants des pays riches : la Confédération syndicale indépendante du Luxembourg collecte ainsi des contributions volontaires de ses membres afin de payer l’assurance-maladie des femmes enceintes et des enfants de moins de 5 ans au Ghana. En France, " l’idée est dans l’air ", affirme Christian Jacquier qui confie que " des discussions sont en cours avec la MGEN ". Enfin, une piste est à l’étude au BIT autour des travailleurs immigrés, source de transferts considérables vers les pays pauvres, puisqu’ils représentent deux fois le montant de l’aide au développement. " Alors que ces transferts, réalisés via des organismes comme Western Union, sont aujourd’hui payants et onéreux, on pourrait organiser des transferts d’argent gratuits, afin que les travailleurs puissent cotiser directement dans leur pays pour leur famille ", ajoute encore Christian Jacquier. Mais même si des sources additionnelles de financement restent à exploiter, elles ne règleront pas le problème d’un soutien public international dont le niveau et la prévisibilité restent bien aléatoires.

Dépenses totales annuelles de santé par habitant (en dollars)

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