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Zimbabwe : transition, année zéro

6 min

Sous la pression internationale, le dictateur Mugabe, après avoir ruiné son pays et volé les élections, a accepté de former un gouvernement avec l'opposition. Sans rien céder sur le fond.

Robert Mugabe, le " lion de l’indépendance " du Zimbabwe, est au pouvoir depuis maintenant trente ans et entend bien y rester. Si les pressions intérieures et étrangères l’ont contraint en février 2009 à désigner comme premier ministre Morgan Tsvangirai, le chef d’une opposition qui a gagné les législatives de 2008 (et aurait pu emporter les présidentielles), il fait tout depuis pour saboter le gouvernement d’union nationale.

La légitimité de l’opposition, incarnée par le Movement for Democratic Change (MDC) est pourtant incontestable. Le MDC, divisé depuis 2006 en deux partis dirigés respectivement par l’ancien syndicaliste Morgan Tsvangirai (MDC-T) et Arthur Mutambara (MDC-M), a gagné les législatives du 29 mars 2008 : 109 sièges sur 210, contre 97 pour la Zanu-PF, le parti de Robert Mugabe. Une victoire conquise malgré le climat d’hostilité et la répression orchestrés par le pouvoir à l’égard de ses militants : lors de la campagne, les services de sécurité ont été jusqu’à passer à tabac et au grand jour Morgan Tsvangirai. Qui, en raison de la terreur et des exactions commises y compris par la police entre les deux tours de la présidentielle - il avait devancé Mugabe -, s’est résolu à boycotter le scrutin.

Zoom Le Zimbabwe en quelques chiffres

Sources : FMI, Banque mondiale, Pnud Données 2009, sauf : * 2007 / ** 2006 / *** 2005

Réforme agraire désastreuse

Inversement, Robert Mugabe n’a plus guère de légitimité dans le pays, en particulier auprès des jeunes générations qui n’ont pas la mémoire de la lutte d’indépendance. Répression ouverte et décomplexée, fraude électorale, clientélisme... Toutes ces pratiques ne lui ont pas permis d’emporter les législatives de 2008 et ne permettent plus de taire la réalité quotidienne de la grande majorité des Zimbabwéens depuis le début des années 2000. Robert Mugabe a plongé le pays dans une crise économique profonde marquée par l’hyperinflation, en déstabilisant la principale base productive du pays, l’agriculture. En raison des différends entre Harare et Londres sur la mise en oeuvre de la réforme agraire prévue dans les accords d’indépendance - accords de Lancaster House, signés en 1980 - dans un pays où les terres les plus fertiles étaient entre les mains d’une minorité de fermiers blancs, l’ancienne puissance coloniale avait fini par en suspendre le financement. A quoi Robert Mugabe a répondu en 2000 par le lancement d’une redistribution " populaire " des terres. Une redistribution musclée qui a conduit au départ forcé des grands fermiers blancs mais non à leur remplacement, à la ruine de l’outil de production et à l’effondrement de la production agricole, tant exportée que destinée aux marchés locaux. Cette réforme agraire, dont les bénéficiaires ont surtout été les barons du régime, fut accompagnée par des nationalisations d’entreprises alimentaires et pétrolières et des tentatives de contrôle des prix. Elles visaient à confier tous les leviers économiques au gouvernement mais ont surtout achevé de désorganiser le reste du tissu économique. Objet depuis 2002 de " sanctions ciblées " de la part des principales puissances occidentales et de l’Union européenne (gel d’avoirs, interdiction de voyager faite à certains dirigeants), le régime de Mugabe est en partie isolé depuis lors sur la scène internationale.

Après les élections de 2008, ces pressions internationales conjuguées à celle d’un MDC resté mobilisé face à un Mugabe refusant de désigner un premier ministre issu de la nouvelle majorité parlementaire, ont permis en septembre 2008 d’arracher un compromis entre la Zanu-PF et l’opposition : l’Accord politique global (APG). Cet accord de partage du pouvoir ouvre une transition de deux ans censée aboutir à une nouvelle élection présidentielle et à un régime démocratique. Il fixe la composition du gouvernement transitoire 1, ébauche une feuille de route pour la relance économique et définit un calendrier pour la rédaction d’une Constitution. La question foncière ayant été l’étincelle de la crise, un audit des propriétés est prévu. Las, Robert Mugabe s’est refusé à appliquer l’APG jusqu’à ce que la Communauté pour le développement de l’Afrique australe (SADC) hausse le ton en janvier 2009 et le contraigne, à la majorité (un véritable tour de force), à former un gouvernement conforme à l’accord.

Dénommé " gouvernement d’unité nationale ", l’équipe actuellement au pouvoir est en réalité un gouvernement des frères ennemis. Dès l’investiture de Morgan Tsvangirai au poste de premier ministre, les chefs des services de sécurité ont rendu public leur refus de lui obéir et réaffirmé leur fidélité à Robert Mugabe, en complète violation de l’article sur la neutralité de l’appareil d’Etat. Le président a bloqué les nominations de nouveaux directeurs des ministères. Il refuse obstinément de lancer l’audit foncier et de remplacer deux personnages clés du régime : le procureur général et le gouverneur de la banque centrale. La première réunion, au printemps 2009, de la commission chargée des consultations pour la rédaction d’une nouvelle Constitution a failli tourner au pugilat. Et l’usage de la rue comme moyen d’intimidation de l’opposition n’a pas cessé. Des invasions de fermes détenues par des Blancs ont encore eu lieu tandis que le harcèlement policier et judiciaire des membres de l’opposition se poursuit. A la fin 2009, aucune avancée majeure n’a été réalisée.

Isolement

Sur le front économique et social, un léger mieux se fait néanmoins sentir. Le paiement des fonctionnaires en dollars américains au lieu de dollars zimbabwéens au premier semestre de l’année a temporairement amélioré la situation sociale dans les villes et endigué l’hyperinflation. L’épidémie de choléra qui a débuté en août 2008 est contrôlée mais les services sociaux sont toujours ineffectifs en raison du manque de moyens financiers, tandis que les prisons du pays sont devenues des mouroirs, au point de recevoir l’appui d’urgence du Comité international de la Croix-Rouge et du Programme alimentaire mondial. Malgré ce blocage général, le gouvernement est parvenu à un consensus sur un plan de relance de l’économie, qui ne peut qu’être financé par l’aide extérieure. La reprise de cette aide est donc un enjeu central de politique intérieure.

Zoom Zimbabwe : "la crédibilité du gouvernement d’union, une fiction"

" La crédibilité et l’intégrité du gouvernement d’union sont une fiction ", a déclaré Morgan Tsvangirai le 16 octobre 2009 en apprenant l’arrestation et la remise en détention pour terrorisme du trésorier du MDC, Roy Bennett. Cet ancien fermier blanc avait déjà été arrêté le 13 février 2009 - jour de la prestation de serment du gouvernement d’union nationale auquel il devait appartenir. " Cette arrestation a révélé que notre mouvement ne dispose pas d’un partenaire digne de confiance au gouvernement. "

Soucieux de rompre l’isolement diplomatique du pays, le premier ministre a effectué début 2009 un " tour d’Occident ", plaidant pour la reprise de l’aide auprès de Barack Obama et des chefs d’Etat européens. Cette première sortie diplomatique n’a été qu’un demi-succès : si une aide supplémentaire pour les secteurs sociaux a été octroyée au Zimbabwe par les pays visités (entre 200 et 300 millions de dollars), les Etats-Unis et l’Europe ont conditionné la reprise d’une aide au long cours à des avancées dans l’application de l’APG et le respect des droits de l’homme. De fait, ils ont exclu tout financement du plan de relance du gouvernement et toute remise en cause des sanctions. Londres a même conditionné la reprise de l’aide au départ du gouverneur de la banque centrale. La transition du pays vers la démocratie en est à son prologue et l’heure est surtout au combat entre le président et le premier ministre, avec des tensions qui s’aggravent : procès pour " terrorisme " du ministre de l’agriculture de Tsvangirai, Roy Bennett, ex-fermier blanc arrêté en février 2009, descente musclée de la police en octobre dans les locaux du MDC. L’échéance du scrutin présidentiel de 2011 reste bien hypothétique.

  • 1. L’accord confère les postes de président et vice-président au Zanu-PF, ceux de premier ministre et vice-premier ministre à l’opposition, et répartit les portefeuilles ministériels.

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