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L’Europe centrale paie la crise au prix fort

7 min

Le choc de la récession a mis les nouveaux Etats membres de l'UE dans une situation particulièrement difficile, en raison d'un fort recours au crédit lors des années de croissance.

La crise mondiale a eu un impact violent sur les pays d’Europe centrale et orientale (Peco). Jusqu’à l’été 2008, la croissance de la région l’apparentait plutôt à celles des pays asiatiques. Proche de 5 % depuis le début de la décennie, elle surpassait nettement celle de la zone euro (2 % en moyenne sur la période). Mais depuis, le recul a été sévère, pour cause de contraction des revenus d’exportation et des financements extérieurs, ceux-ci étant principalement liés à l’évolution de la situation économique en Europe " de l’Ouest ".

Face à ce double choc - économique et financier - tous les Peco ne sont cependant pas dans la même situation. Grâce à son vaste marché intérieur, la Pologne résiste bien, continue même à croître et n’affiche pas de déséquilibres macroéconomiques importants. Les autres pays, plus petits, sont en revanche très affectés par la chute des exportations, surtout lorsqu’ils sont spécialisés dans l’automobile comme la République tchèque et la Slovaquie. La Hongrie, quant à elle, était déjà fragilisée par des finances publiques dégradées avant la crise, tandis que les pays baltes et ceux des Balkans affichaient des signes de surchauffe : une croissance trop rapide du crédit et des déficits très importants de leurs balances des paiements courants. Chaque pays est particulier et l’on ne peut pas - encore - parler de cycle commun à ces pays. Reste que tous ces pays ont été brutalement pris à contre-pied par l’ampleur de la crise.

Dynamique d’adhésion

Certains observateurs ont été tentés de comparer la situation des Peco en 2008 à celle des pays asiatiques lors de la crise de 1997. A tort, car ces rapprochements sous-estiment la profondeur des liens qui se sont tissés entre anciens et nouveaux pays membres de l’UE. En effet, le modèle de développement de la région est particulier. Il est basé sur les délocalisations et les investissements d’Europe de l’Ouest (environ 80 % des investissements étrangers) ainsi que sur l’ancrage institutionnel à l’UE depuis le début du processus d’adhésion. Le rééquilibrage des déficits externes provoqués par la crise pourra certes prendre du temps, mais la dynamique du rattrapage des Peco vis-à-vis du reste de l’Union n’a pas été cassée pour autant. Des possibilités nombreuses de gains de productivité et l’intégration institutionnelle, par les flux d’investissements qu’elle induit, assurent une croissance tendanciellement plus élevée que dans les pays de l’Ouest. Ainsi, les liens capitalistiques avec les groupes européens sont plus profonds et amortissent mieux les chocs de la conjoncture qu’ailleurs, à la différence par exemple des pays asiatiques en 1997. Enfin, la trajectoire de rattrapage des Peco corrige une anomalie de ces pays : leur très faible niveau de productivité à la sortie du communisme. Toutes ces caractéristiques distinguent profondément la région de l’ensemble des autres pays émergents.

Balances courantes avec le reste du monde en 2008, en % du PIB

Malgré ces avantages indéniables, la crise a révélé des fragilités anciennes. Le choc de la transition postcommuniste et son cortège de crises monétaires avaient asséché l’épargne des ménages et des entreprises. Ceci a rendu possible, dans les années 1990, la circulation de monnaies fortes - le dollar et le mark dans un premier temps - recherchées pour la thésaurisation et le financement d’investissements de long terme. Par ailleurs, l’ouverture aux mouvements de capitaux s’est imposée dans la perspective d’une candidature à l’UE, tant pour des raisons juridiques qu’économiques. Les banques européennes ont participé aux privatisations du secteur financier et ont introduit des produits inexistants auparavant, tel le crédit à la consommation ou le crédit immobilier, qui a pu se développer grâce à l’utilisation de l’euro, plus marginalement du franc suisse et même du yen. Le sous-développement des marchés financiers en monnaie locale et le différentiel de taux d’intérêt ont favorisé ce mouvement. Les monnaies de ces pays en croissance ayant tendance à s’apprécier en termes réels, il a été plus intéressant de s’endetter en devises. Les banques de la " Vieille Europe " ont ainsi largement accompagné le décollage économique des Peco, dont le revenu par habitant a été multiplié par trois en dix ans, la progression la plus rapide des pays émergents. Toutefois, comme la demande de crédit pour financer les besoins des ménages et des entreprises augmentait plus rapidement que celle des dépôts, il a fallu recourir à des financements externes récurrents. En septembre 2008, lorsque les marchés de capitaux internationaux se sont grippés et que le commerce mondial s’est effondré, ces flux de financement se sont taris, menaçant d’étrangler ces pays qui en étaient particulièrement dépendants. Et de mettre par ricochet en grande difficulté de nombreux acteurs économiques d’Europe de l’Ouest, les banques autrichiennes notamment.

Les pays les plus touchés ont alors obtenu une assistance massive du FMI et de l’UE, au premier rang desquels la Hongrie (20 milliards d’euros) et la Lettonie (10 milliards), en novembre 2008. Puis ce fut au tour de la Roumanie (20 milliards d’euros) et de la Serbie (3 milliards), cette dernière, non-membre de l’UE, n’ayant pas émargé aux fonds d’urgence européens. Par ailleurs, les banques européennes se sont engagées dans le cadre de ces plans de sauvetage à soutenir leurs filiales dans ces pays, ce qu’elles font sous la surveillance des régulateurs locaux.

Mécanisme de soutien

La réaction rapide des organisations multilatérales (UE, FMI, Banque centrale européenne en particulier) incite à penser que des crises financières seront évitées pour les pays de l’UE. Celle-ci a, par deux fois, doublé le plafond global du mécanisme de soutien destiné à aider ses membres à faire face à des difficultés de paiement externes. Mais cette aide d’urgence ne doit pas faire oublier la faiblesse structurelle des moyens dont l’UE s’est dotée pour soutenir le développement économique des Peco (lire p. 34).

PIB par habitant en % de la moyenne de l’UE à 27 (UE 27 = 100)

La Hongrie a été frappée la première, dès octobre 2008, car ses besoins de refinancement étaient importants. La Roumanie fut touchée un peu plus tard, début 2009, après deux années de surchauffe et de creusement des déficits externes. Parallèlement, leurs monnaies ont perdu 20 % contre l’euro, risquant, si cette dépréciation s’amplifiait, de poser un problème pour les systèmes bancaires :la moitié des crédits se trouvent libellés en devises étrangères. La sortie de la récession sera dure pour la Hongrie, car elle doit opérer une consolidation budgétaire pour stabiliser sa dette publique (82 % du PIB). En Roumanie en revanche, le redémarrage progressif du crédit et la reprise attendue des exports (des véhicules bas de gamme et de la métallurgie notamment) devraient permettre, en présence d’une dette moins importante, de renouer plus facilement avec la croissance. Frappés par l’éclatement de bulles immobilières, les pays baltes subissent la récession la plus profonde de la région, après cinq années de croissance à deux chiffres. La Lettonie a reçu une aide importante de l’UE pour lui permettre de rembourser sa dette externe sans mettre en péril le régime de change fixe contre l’euro. Là encore, une dévaluation serait désastreuse car, plus qu’ailleurs dans la région, ménages et entreprises sont endettés en devises ; le coût du remboursement deviendrait insupportable pour les agents aux revenus libellés en monnaie locale. Et une dévaluation pourrait ébranler la confiance dans les autres régimes ancrés sur l’euro (Lituanie, Estonie, Bulgarie), une inquiétude qui explique le fort engagement des organisations multilatérales à leur endroit.

Taux de croissance du PIB pour quelques pays (variation annuelle)

Les Peco devraient retrouver le chemin de la croissance en 2010 ou 2011. Une croissance certes plus modeste qu’auparavant, mais supérieure à celle de la zone euro. Cette crise ne devrait donc pas remettre en cause la stratégie à long terme des investisseurs d’Europe de l’Ouest. En République tchèque, en Pologne, on observe même une légère reprise de la production industrielle et des exports, tandis que les marchés financiers se sont nettement détendus à l’automne 2009 (baisse des taux d’intérêts et des primes de risque) par rapport au mois de mars de la même année, qui avait consacré le pic de l’inquiétude sur la région.

En dépit de la montée rapide du chômage, les Peco ont pu encaisser ce choc majeur sans trop de crispations politiques et sociales. Sans doute ont-ils bénéficié de l’expérience des crises des années 1990, beaucoup plus rudes encore. Par ailleurs, une partie non négligeable de l’économie demeure informelle et la solidarité familiale reste forte, ce qui a permis d’amortir le choc de cette crise. Enfin, il n’existe pas d’alternative crédible au modèle de croissance et de développement institutionnel de la région. La vocation de ces pays est bien de se rapprocher du niveau de développement européen dans toutes ses dimensions.

Zoom Les migrants polonais : un petit tour et puis s’en vont

Le phénomène de l’émigration n’a pris de l’ampleur, dans la Pologne démocratique de l’après-1989, qu’avec l’entrée dans l’Union européenne, en 2004. A la différence des précédentes vagues d’émigration économiques, où la décision de s’installer dans le pays d’accueil dominait 1, les séjours ont commencé à prendre un caractère davantage temporaire. Il semble que la liberté gagnée après 2004 de se déplacer partout en Europe l’ait emporté - en dépit des limitations temporaires de travail - et avec elle, la possibilité de rentrer et de changer plus facilement de métier. Deuxième phénomène postérieur à 2004 : l’aspect communautaire des migrations polonaises. Il a certes toujours existé, mais est désormais plus marqué, l’intégration dans la durée dans la société d’accueil n’étant plus une priorité. Ainsi, après 2005, on a observé que les couples ayant eu un bébé sur place avaient tendance, pour le faire garder pendant qu’ils travaillent, à faire venir une grand-mère. Enfin, ces dynamiques migratoires ont débouché sur la constitution de réseaux transnationaux, largement organisés par des agences spécialisées dans les transferts de migrants, mais aussi adossés à l’Eglise et aux relations familiales. L’optique dans la migration récente est bien de profiter d’une opportunité avant de retourner au pays une fois les objectifs, de gain ou de formation, atteints.

Des objectifs qui ont cependant été contrariés avec la crise de 2008. Si les trois pays de l’Union (Suède, Irlande et Royaume-Uni) ayant ouvert dès 2004 leur marché du travail aux ressortissants des nouveaux pays entrants se sont longtemps félicités des conséquences économiques positives, ils ont évolué vers davantage de scepticisme lorsque leur situation économique a commencé à se détériorer et que le chômage à recommencé à grimper. Résultat : avec la détérioration du marché du travail, les flux migratoires se sont taris, et se sont même inversés : fin 2008, 40 % des Polonais installés au Royaume-Uni étaient retournés chez eux, témoignant ainsi de leur capacité d’adaptation à la crise.

Si l’émigration avait un peu joué sur la baisse du chômage en Pologne (13,9 % de la population active en 2006 , 7,1 % en 2008 selon Eurostat), cette vague de retour n’a pas eu, pour l’heure, l’effet inverse. Le chômage a au contraire relativement peu augmenté, passant de 7,1 à 8 % entre janvier et août 2009. La croissance, qui repose sur le dynamisme de la demande intérieure, devrait rester positive en 2009 (+ 1 %) et repartir en 2010 (2 % selon le FMI), en dépit d’un fort recul en 2008.

  • 1. " Polish "Temporary" Migration: The Formation and Significance of Social Networks ", A. White, L. Ryan ; " Influence of Migration on Origin Communities: Insights from Polish Migrations to the West ", T. Elrick, Europe-Asia Studies vol. 60, nov. 2008.

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