Economie

Etats-Unis : les jobs et la croissance en berne

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Les plans de relance pour sauver le pays de la crise ont tout juste permis d'éviter le pire. Haut déficit public et fort chômage continuent de plomber l'économie américaine.

A la suite de deux années de recul du PIB (- 0,3 % en 2008 et - 3,5 % en 2009), les Etats-Unis ont renoué avec la croissance. Mais plus de deux ans après cette reprise d’activité (+ 3 % en 2010), l’incertitude demeure sur son ancrage. Face à une première moitié 2011 de quasi-stagnation, l’accélération du PIB au troisième trimestre (+ 0,6 % par rapport au trimestre précédent) a été plutôt rassurante car elle a éloigné les craintes d’un retour de la récession. Cependant les enquêtes de conjoncture auprès des ménages et des entreprises se sont dégradées au cours des derniers mois, rappelant la nécessité de poursuivre les politiques de soutien à l’économie. Au total, la croissance devrait avoisiner 1,7 % en 2011. C’est insuffisant pour ranimer le marché du travail et réduire le chômage.

Au pire de la crise, en octobre 2009, le taux de chômage culminait à 10,1 %, deux fois la moyenne des quinze dernières années. Il a baissé à 8,8 % en mars dernier pour remonter depuis autour de 9 %. Mais, surtout, le chômage de long terme s’est installé : la durée moyenne atteint 40,5 semaines en septembre, une situation inédite dans ce pays habitué à une forte rotation de sa main-d’oeuvre. Si l’on ajoute à ces chômeurs déclarés la population découragée (qui a suspendu ses recherches d’emploi, prolongé ses études...), les personnes en emploi temporaire et celles contraintes de travailler à temps partiel pour des raisons économiques, le taux de sous-utilisation de la main-d’oeuvre s’élève au total à 16,5 %.

Cette atonie du marché du travail s’explique principalement par l’ampleur de la crise et par la faible reprise de la croissance, et non par d’autres facteurs comme l’inadéquation de l’offre et de la demande sectorielles du travail ou une hausse inhabituelle des gains de productivité. Relativement aux crises de 1973-1975 et de 1981-1982, la hausse des gains de productivité horaire des entreprises privées n’a en effet rien d’atypique. Elle est même très inférieure si l’on la compare au profil de la crise du début des années 2000, liée à l’éclatement de la bulle Internet, où la reprise était qualifiée de jobless growth (" croissance sans emploi ").

Lourdes pertes

Le bilan de la crise est au final très lourd : en 2008 et 2009, les pertes nettes d’emplois salariés (destructions moins créations) se sont élevées à plus de 8,7 millions de postes : le secteur de la construction a perdu 26 % de ses effectifs, et l’industrie manufacturière, 17 %. Mais depuis le début 2010, en raison de la faiblesse de la reprise, seuls 2,3 millions d’emplois ont été créés, essentiellement dans les services marchands. En effet, l’industrie manufacturière, frappée notamment par son manque de compétitivité vis-à-vis de la concurrence asiatique, n’a gagné que 0,4 million d’emplois. Et ce gain a été annulé par la perte d’un nombre équivalent d’emplois publics du fait des contraintes budgétaires des Etats.

Pourquoi la croissance américaine reste-t-elle aussi déprimée ? Pilier de la croissance, la consommation des ménages qui représente 70 % de la demande finale peine à se redynamiser. Dans un climat rempli d’incertitude, les Américains jouent la prudence. Ils ont en effet vu leur pouvoir d’achat quasiment stagner en 2011. Surtout, ils continuent de payer cher le prix de leurs illusions passées. Alors que la croissance des années 2000 avait été soutenue par l’endettement des ménages - d’autant plus important que ceux-ci avaient l’assurance de pouvoir rembourser aisément leurs crédits hypothécaires grâce au boom des prix des maisons -, la situation actuelle est marquée par un marché de l’immobilier sinistré. Les prix ont baissé de plus de 30 % au niveau national entre 2006 et 2011 et la valeur du patrimoine immobilier des ménages est passée de 225 % à 140 % de leur revenu sur la même période.

Part des ménages dont la valeur du logement est inférieure au montant de leur emprunt immobilier

Populations fragilisées

Au 30 juin dernier, 22,5 % des ménages endettés, soit 10,5 millions, étaient en situation de negative equity, c’est-à-dire porteurs d’une dette dont le montant est supérieur à la valeur du bien hypothéqué (10 % des ménages endettés avaient une negative equity de plus de 25 %). Cette situation fragilise les populations qui paient pour leurs emprunts des primes de risque plus élevées. En septembre 2011, 8,5 % des ménages endettés avaient des impayés et 4,5 % étaient en procédure de saisie.

Malgré l’intervention des autorités budgétaires et monétaires pour réactiver la croissance, les politiques, même si elles ont évité le pire, n’ont pas réussi à remettre l’économie sur le chemin d’une croissance forte et durable. Depuis trois ans, les plans de relance se sont multipliés, et la dette du gouvernement fédéral s’est accrue de plus de 30 points de PIB pour atteindre 97 % de celui-ci. Le déficit public est encore aujourd’hui à plus de 10 % du PIB. Selon le bureau du Budget du Congrès américain, l’American Recovery and Reinvestment Act voté en février 2009, d’un montant effectif estimé à 825 milliards de dollars (5,5 % du PIB), aurait soutenu la croissance à hauteur de 1,4 point de PIB en 2009, 2,8 points en 2010 et 1,6 point en 2011, et l’emploi (en équivalent plein temps) pour 1 million en 2009, 3,3 millions en 2010 et 2,4 millions en 2011. Sur le plan monétaire, la Réserve fédérale (Fed) a réduit ses taux et multiplié les mesures non conventionnelles - l’achat de titres sur le marché obligataire - pour injecter les liquidités et peser sur les taux d’intérêt des marchés financiers : depuis 2008, elle a acquis l’équivalent de 7,4 % du PIB en titres publics.

Taux de chômage (en % de la population active)
Chômage de longue durée et travail précaire s’installent

Mais la crise est profonde et malgré ces mesures, le marché du crédit ne redémarre pas : les banques préfèrent placer leurs réserves à la banque centrale, et les agents privés les plus solvables ne sont guère enclins à profiter des opportunités qui leur sont offertes.

Sans ces soutiens, l’Amérique serait en déflation. Malgré tout, le risque persiste. C’est pourquoi, au moment où la crise grecque culmine en Europe et que les marchés appellent à des cures d’austérité budgétaire, le président Obama a proposé en septembre dernier un nouveau plan de relance de 447 milliards de dollars pour soutenir l’emploi (en grande partie rejeté par le Sénat le 11 octobre), et la Fed a lancé un nouveau programme de stimulation monétaire. D’où les attaques d’Obama contre la sous-évaluation du yuan chinois par rapport au dollar et les politiques budgétaires restrictives menées en Europe qui freinent les exportations de produits et services américains.

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