Burkina Faso : Compaoré sur la corde raide

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Ayant fait de la corruption et du clientelisme les leviers de son pouvoir, le président Compaoré affronte aujourd'hui une opposition inédite qui ébranle tout le système.

Blaise Compaoré, président du Burkina Faso depuis 1987, est menacé comme il ne l’a jamais été. Même s’il est excessif d’établir un lien direct entre la révolte des pays arabes et la contestation dans cette autocratie sahélienne, nul doute que s’est ouverte, avec la chute de l’ex-dirigeant tunisien, une séquence historique inédite.

A partir de février 2011, les étudiants des deux campus de la capitale se mobilisent régulièrement pour protester contre leurs conditions de travail et dénoncer la présence des forces de police dans leurs murs. Blocage des enseignements et manifestations se succèdent tandis que le mot d’ordre " Dégage ", consacré par la révolution tunisienne, est de plus en plus entendu. Surtout, le décès, fin février à Koudougou, d’un collégien, Justin Zongo, après qu’il a été passé à tabac dans un commissariat, a déclenché un vaste mouvement de contestation populaire. Les magistrats s’y sont associés et ont également déploré l’immunité de militaires impliqués dans des affaires de corruption ou de viols. Puis, le 8 avril, les syndicats ont défilé contre la hausse des prix des produits de base et les coupures d’électricité de plus en plus fréquentes.

Zoom Burkina Faso : quelques chiffres

Sources : FMI, Banque mondiale, L’Année stratégique 2012, Pnud

Mutinerie

Mais le point d’orgue a été atteint le 14 avril 2011. Réclamant de meilleures indemnités de logement, les soldats du Régiment de sécurité présidentiel (RSP), stationné dans l’enceinte même du palais présidentiel de Ouagadougou, déclenchaient une mutinerie, bientôt rejoints par d’autres unités. Blaise Compaoré a été contraint de quitter en urgence la capitale pour se réfugier dans sa ville natale, à trente kilomètres de là. Il ne reviendra que le lendemain, alors que la hiérarchie militaire négociait avec les rebelles afin de rétablir le calme.

Ce n’est pas la première fois que la capitale est sujette à de brutales montées de tension. Mais cette fois, c’est du coeur du pouvoir qu’est venue la menace. Le RSP représente en effet non seulement l’ultime digue du régime mais aussi l’instrument de ses basses oeuvres pour maintenir son emprise sur la société burkinabé. Depuis le Front populaire (1987-1991), du nom du régime transitoire qui a suivi l’assassinat du président du Burkina Faso, Thomas Sankara, et la prise de pouvoir par Blaise Compaoré, qui était pourtant considéré jusque-là comme son frère d’armes (Compaoré est ouvertement suspecté d’être le commanditaire du meurtre), c’est le RSP qui muselle les velléités d’opposition. Il est notamment soupçonné d’avoir exécuté le journaliste Norbert Zongo, en 1998. Ce dernier publiait des articles violemment critiques contre le président et son frère, François Compaoré. Mais aujourd’hui, il semble que l’autorité de Blaise Compaoré s’effrite.

Longtemps pourtant, le Burkina Faso, petit pays d’Afrique de l’Ouest privé d’accès à la mer mais relativement prospère grâce à l’exportation du coton, a été un exemple remarqué de stabilité institutionnelle et politique sur le continent africain. Blaise Compaoré y a régné avec un mélange d’autoritarisme et de charisme qui lui a assuré l’assentiment de sa population. Mais la répétition de succès électoraux " soviétiques " (en novembre 2010, Compaoré était réélu avec 80 % des suffrages), sur fond d’opposition politique circonvenue par le pouvoir, de clientélisme généralisé et de corruption des élites administratives et militaires a fini par enfoncer un coin dans l’autorité du président.

C’est en fait tout le système Compaoré qui s’étiole. Sur le plan intérieur, les inondations de 2009 (150 000 sinistrés) face auxquelles le président a tardé à réagir, la crise alimentaire de 2011, le peu de retombées de l’exploitation des gisements d’or et le blocage politique étouffant auquel le pouvoir se livre exaspèrent la population burkinabé. Et rendent la pauvreté qui frappe près de 44 % d’entre eux plus intolérable encore. Sur le plan extérieur, l’intense activisme de Compaoré dans la résolution des crises continentales, qui était un élément clef de sa popularité auprès de la population, ne fait plus recette. D’autant que les travers autoritaires que les Burkinabés ont dénoncés chez Gbagbo, l’ancien président ivoirien, se retrouvent de plus en plus crûment chez leur dirigeant. Et que la fin de Kadhafi, soutien de Compaoré, tourne une page de la diplomatie du pays.

Gisements d’or, en millions d’onces*

Le secteur des industries manufacturières et extractives a connu une forte croissance en 2010, grâce à la mise en exploitation de la plus grande mine d’or du pays, Essakane. L’or a ainsi représenté 57 % des exportations du Burkina en 2010, contre 23 % seulement pour le coton, au prix fluctuant et aux récoltes aléatoires.

Gisements d’or, en millions d’onces*

Le secteur des industries manufacturières et extractives a connu une forte croissance en 2010, grâce à la mise en exploitation de la plus grande mine d’or du pays, Essakane. L’or a ainsi représenté 57 % des exportations du Burkina en 2010, contre 23 % seulement pour le coton, au prix fluctuant et aux récoltes aléatoires.

Pour toutes ces raisons, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le parti présidentiel qui détient tous les postes clés, ne peut plus se prévaloir de la stabilité institutionnelle qui avait fait l’exception burkinabé. Blaise Compaoré a pris la mesure de la contestation. Il a promu plusieurs de ses fidèles à la tête de l’armée et de la garde présidentielle - pour laquelle il a débloqué d’importants moyens. Et mis en place un Conseil consultatif sur les réformes politiques censé relayer les propositions de la société civile. Mais rares sont les Burkinabés qui croient en la sincérité du président, tenté de modifier la Constitution pour briguer nouveau mandat en 2015, ce qui lui ferait échapper à une mise en examen pour le meurtre de Thomas Sankara. Blaise Compaoré est clairement à la croisée des chemins.

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