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Espagne : l’indignation et le conservatisme

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Victimes du chômage massif et des saisies immobilières, les Espagnols descendent dans la rue. Mais en tournant la page Zapatero, ils ont aussi voté pour davantage de rigueur.

Le 20 novembre 2011, les électeurs espagnols ont donné le pouvoir au Parti populaire (PP) en lui accordant la majorité absolue des suffrages. La mauvaise gestion d’une crise économique sans précédent a provoqué la débâcle du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Au deuxième trimestre 2011, la dette publique a atteint 65,2 % du PIB, soit huit points de plus qu’un an auparavant (57,2 %), obligeant au passage le PSOE et le PP à faire front commun sur la nécessité d’une " règle d’or " budgétaire. Mais c’est surtout l’ampleur du chômage qui accable l’Espagne, et particulièrement ses jeunes. Aujourd’hui, 21 % de la population active est à la recherche d’un emploi, soit la proportion la plus élevée de l’ensemble des pays de l’OCDE.

Ce n’est pas la première fois depuis la transition post-franquiste (1976-1986) que l’Espagne connaît le chômage de masse, mais son niveau actuel a des causes inédites. L’explosion de la bulle immobilière dès la fin 2007, dans le sillage de la crise des subprimes aux Etats-Unis, a été fatale à l’économie espagnole. Le passage à l’euro, les banques, les grands promoteurs immobiliers, la législation autorisant le crédit hypothécaire - où le bien acheté à crédit constitue la garantie de l’emprunt -, ont encouragé l’endettement des ménages, y compris les ménages peu solvables. Le pays a été précipité dans la crise lorsque les Espagnols n’ont plus été capables de payer les intérêts de leurs dettes, sans pouvoir non plus revendre des logements qui ne trouvaient plus acquéreur. Alors, les gigantesques chantiers immobiliers se sont figés, le chômage a commencé à croître rapidement, les expulsions de familles après la saisie de leur maison ont commencé.

Face à cette contraction violente de l’économie, le gouvernement du socialiste José Luis Zapatero a mis en place, tardivement, une politique de rigueur basée sur le recul de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans et la baisse du salaire des fonctionnaires. Parallèlement, il s’est appliqué à créer un Fonds pour les collectivités locales, et un autre pour la dynamisation de l’économie et de l’emploi destiné à améliorer la situation de certains secteurs stratégiques dans l’industrie et les services. Enfin, une baisse des prestations sociales a été décidée avec la suppression de l’allocation de solidarité pour les chômeurs en fin de droits et une flexibilisation accrue des procédures de licenciements pour " favoriser l’embauche ", dans un pays où le coût du travail n’est pourtant pas très élevé (salaire minimum : 641 euros nets).

Taux de chômage (en % de la population active)

Fragile filet social

Malgré la récession et ces mesures d’austérité, l’Espagne ne s’est pas embrasée. La solidarité familiale a joué, comme par le passé, son rôle d’amortisseur social. Elle demeure un filet de sécurité essentiel pour les jeunes (on parle de " l’ONG famille " en Espagne), d’autant que 85 % des Espagnols sont propriétaires de leur logement, ce qui permet une relative stabilité. Ce filet social est cependant de plus en plus fragilisé en raison de la persistance et de l’ampleur du chômage, et par le fait que de nombreux parents ont eux-mêmes des difficultés à rembourser leur hipoteca.

Faiblesse syndicale

Les syndicats ont été les grands absents de cette période de crise. Loin de la période de politisation extrême des années de la transition post-franquiste, ils sont restés atones face au Parti socialiste. Certains se plaisent d’ailleurs à dire qu’ils vivent des subventions du PSOE. Certes, les syndicats principaux, UGT et CCOO, ont reçu chacun environ 6 millions d’euros de l’Etat en 2009, mais la chose n’est pas nouvelle et les syndicats français reçoivent bien davantage pour un nombre d’adhérents bien moindre. Cette faiblesse syndicale a coïncidé, côté politique, avec une période caractérisée par la venue aux responsabilités des premiers enfants de la démocratie, les quadras du parti socialiste de Zapatero, qui sont davantage des professionnels de la communication que des porteurs d’idéaux. Dans ce vide laissé par les acteurs politiques traditionnels, ce sont donc d’autres mouvements qui ont vu le jour ces dernières années. Plusieurs " plateformes " de défense des personnes menacées par les expulsions se sont développées dès 2004. La plus connue, la Plateforme pour les victimes de l’hypothèque (PAH), créée en 2009, milite pour la défense des ménages endettés et contraints d’hypothéquer leur bien, qui représenteraient au total 300 000 personnes fin 2010. La PAH réclame avec d’autres une réforme de la loi hypothécaire afin que les familles endettées puissent louer leur logement devenu impossible à rembourser, le plafonnement du loyer à 30 % des revenus du ménage et l’annulation de la dette immobilière pour les familles dont la maison a été saisie, mais dont la valeur, en raison de l’effondrement du marché immobilier, est inférieure au montant de l’emprunt.

Cette mobilisation s’apparente, historiquement, aux associations de citoyens sous la période franquiste, lorsque ceux-ci s’entraidaient - déjà pour des questions de logement - dans un contexte où il n’était pas possible de faire de la politique. A ces mouvements s’est ajouté celui des Indignés, qui a mobilisé pendant plusieurs semaines, à partir du 15 mai 2011, des milliers de Madrilènes sur la Puerta del Sol - rebaptisée Place de la Solidarité -, contre le chômage et les mesures d’austérité du gouvernement Zapatero. Les Indignés mobilisent régulièrement des groupes des 80 à 100 personnes, mais reçoivent un soutien mitigé des intellectuels et de la classe politique. Leur tentative de blocage, en juin 2011, du Parlement de Catalogne, a été très mal perçue dans un pays qui, pour avoir vécu jusqu’à hier sous la menace de l’ETA, connaît la valeur de la démocratie.

Variation du prix moyen des logements entre le maximum atteint en 2006-2007 et septembre 2011 (%)

Le cyber-mouvement No les votes (" Ne vote pas pour eux ") promeut de son côté l’abstention pour protester contre la corruption et un système électoral peu favorable aux petits partis nationaux, dont l’avancée a d’ailleurs été l’autre résultat des législatives du 20 novembre. Une autre partie de la jeunesse emprunte d’autres voies. Le succès des Journée mondiales de la jeunesse organisées cet été à Madrid par le Vatican, qui ont réuni un million et demi de participants (étrangers compris), a surpris. Il a révélé la complexité d’une société qui peut combiner mouvement des Indignés, fort taux de participation électorale et mobilisation autour de valeurs plutôt conservatrices. Une complexité dont il faudra certainement attendre la sortie de la crise pour en apercevoir la traduction politique.

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